L'idée de base est originale : défi lancé à la figure d'une avocate chroniqueuse sur RMC, Sarah, coutumière de propos violents et méprisants envers les travailleurs les plus fragiles, surexploités, mal payés. Le défi que Ruffin lui jette à la face : vivre avec 1300 euros par mois.
Sarah n'est pas seulement avocate et chroniqueuse. Elle est riche, née riche dans une famille riche. Elle recevra Ruffin dans un grand hôtel. Elle déguste une sorte de croque-monsieur à la truffe qui coûte 56€.
L'avocate commence par refuser, puis, par bravade, accepte. Elle va suivre Ruffin dans cette exploration d'un monde totalement inconnu : le travail. Le travail socialement utile, et totalement méprisé. Le travail qui casse, qui use, qui fait des vieux handicapés de quarante ans, qui tue.
Elle va payer de sa personne, mouiller son chemisier de soie. Le premier jour, elle est en talons hauts. Elle va comprendre que c'est une erreur.
Elle seconde d'abord un livreur de colis. Pour lui, Sarah est un boulet : « à cette heure-ci je devrais en avoir livré environ cinquante et là...» il regarde sa feuille et compte : ≤ quinze !».
Poseur de fibre optique à plat ventre dans la boue pour attraper le câble. Huit heures par jour, pour le SMIC. Des jeunes qui ont déjà fait dix métiers.
Chargeur et déchargeur de paquets. Des hommes de trente ans y ont perdu les articulations des bras.
Préparatrices de filets de poissons fumés. Il fait froid ! « Je peux garder mon écharpe ? -- oui mais elle va sentir un peu le poisson-- ah non ! j'y tiens beaucoup ! »
Question à un gars : « Où tu pars en vacances ? Je suis jamais parti en vacances. C'est vrai qu'ici, tu es déjà à la mer ! » Rires.
Auxiliaire de vie. « Souvent, les "aidants" (de la famille) meurent avant le malade. » Sarah lave les cheveux d'un gars qui semble avoir quatre-vingt dix ans et qui en a peut-être cinquante, voire moins. L'auxiliaire gagne 1000€ par mois pour faire ça. Elle dit : « On arrive, ils sont tristes, on part, ils ont la banane. C'est le plus beau métier du monde ! Je m'en fiche de nettoyer des excréments !». Sarah est émue, troublée.
Agricultrice : « J'ai trop peur (des vaches). J'en avais jamais vu. » Elle leur donne à manger : raté ! elle a mis la nourriture hors de portée de l'animal.
Sur le tracteur, c'est mieux. Le jeune paysan la drague gentiment.
En cuisine, deux jeunes afghans s'éclatent dans ce travail payé 1300€, moins le loyer, le gaz, l'électricité, le téléphone, les charges, reste 200€ pour vivre, et offrir quelque chose aux enfants. « Ah moi, je ne sais pas cuire un œuf. Il n'y a pas une casserole, chez moi. »
Visite dans une association "zéro chômeurs" qui donne du travail à des gens vraiment cassés par la vie.
De temps en temps, Ruffin demande à Sarah si elle parlerait d'assistés à propos de ces gens. On voit qu'elle est sensible à ce qu'elle voit, mais elle recule assez peu « Aujourd'hui, je serais plus nuancée ».
Les riches ont un cuir de pachyderme et une santé mentale de fer. Il arrive à Sarah d'avoir la larme à l’œil. Mais elle ne change d'opinion qu'à la marge.
Sarah s'achète un sac à main à vingt mille euros : « je peux dépenser mon argent comme je veux ! Je l'ai gagné !»
Son argument c'est : « Tu me montres ceux qui se bougent. Il y en a qui restent sur leur canapé ». Non. Personne ne veut rester sur son canapé. Tout le monde veut un travail, vivre de son travail, être respecté.
L'idée originale "lutter pour la réinsertion sociale des riches" montre ses limites. Ruffin ne veut pas, ou ne sait pas, balancer les bons arguments : non, tu ne l'as pas gagné cet argent, on te paie pour défendre sur RMC les gens de ta caste. On te donne de quoi acheter un sac à vingt mille balles pour que tu défendes la cause des gens qui s'achètent des sacs à vingt mille balles.
Sarah gentille ? Sarah méchante ? Ruffin admet finalement que : « On s'en fout, ce n'est pas le sujet. Le sujet, ce sont les gens ».
Le final du film est irrésistible : c'est une parodie du festival de Cannes, avec champagne et tapis rouge.
En bref, c'est un excellent reportage, et un peu quand même un film. C'est dur, on est ému, on rigole bien. Les sans-dents ne ratent pas une occasion de rire, ils savent qu'ils n'en auront pas beaucoup.
C'est du Ruffin. Un homme peut-être trop honnête, trop sensible pour faire un homme politique à proprement parler.
"Fuck !" les grands tribuns qui trahissent leurs amis. Cent d'entre eux ne valent pas un Ruffin.
S'il n'existait pas, il nous manquerait beaucoup.