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Billet de blog 11 avril 2023

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Sur le 53ème Congrès de la CGT

Le témoignage d'un militant participant au congrès.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

53eme congrès de la CGT
Contribution à la réflexion et au débat

Primo-congressiste (comme près de 80% des participants) mais militant actif dans la CGT depuis 20 ans, ayant connu des congrès difficiles au niveau UD et FD, je n’imaginais pas suivre un congrès confédéral comme celui-ci. J’avais imaginé un niveau de discussion politique assez élevé, mettant en perspective les grandes orientations syndicales avec le contexte immédiat et à venir du monde,
du travail et du monde du travail.
A la place, j’ai, nous avons eu le droit à une bataille erratique entre honnêtes militants, les vrais commanditaires des escarmouches ayant décidé de ne pas sortir du bois.
C’est donc empli de sentiments confus et malgré tout conscient de l’importance du moment politique que j’écris ces lignes, dans un style non habituel pour les militants mais qui se veut retraçant à la fois le récit de ce congrès et les enjeux qui se sont joués.
J’ai été soufflé par le niveau politique assez faible en réalité du côté de la direction confédérale sortante ; sur la facilité avec laquelle les «opposants» ont pu renverser le congrès à un moment donné sans que cela produise de réaction des «légitimistes».
Il convient donc d’analyser ce qui a fait que ce congrès s’est déroulé de la sorte.

Les raisons de l’impréparation
Il est de notoriété publique que les CCN des derniers mois se sont déroulés dans un climat houleux, et pas uniquement sur les questions de préparation du Congrès. Trois camps identifiables dans le CCN pouvaient alors être caractérisés tels que : le courant de la ligne Martinez/Buisson, promoteurs de la plateforme « Plus Jamais Ca », du syndicalisme rassemblé et d’un dialogue social sans vrai rapport de force ; le courant de la ligne « Néo-stalinienne », promoteur de la FSM contre la CES/CSI, d’un syndicalisme incantatoire de « l’action » sans construction profonde du rapport de force non plus, partisan du bon « coup » ; et un courant non-structuré attentiste, légitimiste, et opportuniste, se retrouvant au grès des situations à choisir l’un ou l’autre camp de manière ponctuelle et non définitive. Il serait faux de penser que cela se résume un découpage FD=légitimiste, UD= « Néo-stal », Conf = « Martinez/Buisson », l’équilibre des courants tenait plus au débat profond qui agite l’organisation, à savoir un syndicalisme CGT pour quoi faire ?
Ce congrès est en quelques sortes l’aboutissement raté d’un processus entamé il y a maintenant 15 ans avec la signature par Bernard Thibault de l’accord sur la représentativité en 2008, lui même étant alors le résultat de l’institutionnalisation du syndicalisme entamée après la Chute du mur de Berlin, l’accélération du néolibéralisme des états européens et l’adhésion non avoué au courant réformiste actant le cadre indépassable du capitalisme.

L’accord de 2008, bien qu’assez peu contesté en interne dans les structures de la CGT, a permis au courant ayant la main sur la confédération à l’époque de qualifier systématiquement les opposants internes à cette institutionnalisation de «passéïste» ou même «stal» (oubliant au passage que bien d’entre eux venaient plutôt d’organisations trotskistes), d’assurer un virage progressif au centre en infusant cette logique dans les UD et FD, en les enjoignant à devenir les interlocuteurs responsablesdu dialogue social, et acceptant sans vergogne le financement par subventions de l’État, fil à la patte bien gênant quand on veut lancer la grève générale et bloquer le pays.

Or, ce processus d’institutionnalisation a provoqué des troubles dans les structures de la Confédération, troubles qu’aucun n’a alors voulu voir comme un mouvement de fond. Combien de congrès d’Unions Départementales ou de Fédérations se sont déroulés sans heurts ? 
Assez peu en fait, le blog Où va la CGT s’en fait régulièrement le relai, et systématiquement sur fond de désaccords politiques maquillés en problèmes de structuration ou de fonctionnement. Pour s’institutionnaliser, il fallait abandonner la structuration mise en place depuis des décennies par des militants de base, structuration devant permettre la lutte, avec certes ses forces et ses faiblesses.
Comme exemple du nouveau cadre devant (ne surtout pas) organiser la lutte : la mise en place des comités régionaux, l’attrition organisée des unions locales, la création de syndicats de bassin d’emploi, la formation des militants au cadre du dialogue social organisé par le patron etc. … Tout cela au motif que les interlocuteurs du monde du travail avaient changé et qu’il fallait s’adapter à
celui-ci. A n’en pas douter, le patronat ne dormait plus la nuit de cette nouvelle organisation. C’était être sourd, aveugle, et surtout convaincu de la nécessité d’adopter une posture raisonnable, que de ne pas voir que les honnêtes militants, celles et ceux confrontés au quotidien aux patrons qui
détruisent des emplois, s’abreuvent d’argent public à plus soif, et dégagent des profits sans commune mesure, que ces honnêtes militants resteraient l’arme au pied, acceptant les PSE, les accords d’entreprises sur la baisse des salaires et la remise en cause des 35h. Ceux là ont, par un
mouvement pavlovien inconscient, décidé que non, ils ne se laisseraient pas confisquer leur outil de lutte qu’est la CGT.
Et c’est totalement ce qui s’est déroulé au 53ème congrès de la CGT.

Pourquoi le Congrès s’est mal passé?
Pour des militants chevronnés, quand un congrès est annoncé comme compliqué, nous savons que la méthode le plus souvent employée consiste à préparer au mieux pour faire en sorte que la crise ne finisse pas en éruption, tout en tentant de garder la main. Si ce n’est pas chose facile, et bien des récits de congrès nous le prouvent, ce n’est pas impossible. Je vous en donne même la recette:
• Respecter absolument le cadre statutaire, le moindre pas de côté apparaîtra comme suspect ;
• Ne pas cadenasser les commissions qui permettent d’assurer à tous les participants que les règles seront respectées et que les avis divergents seront pris en compte ;
• Permettre l’expression des congressistes en cadrant scrupuleusement les débats par une présidence de séance sérieuse ;
• Considérer les amendements aux textes présentés ;
• Et enfin bourrer la salle de partisans pour emporter à la fin la victoire et garder la main ;

Et bien de cela, il n’en fut absolument pas question lors du 53ème congrès. A contrario, la direction confédérale sortante a méthodiquement appliqué l’inverse de ce qu’il aurait fallu faire. S’en est consternant de ma fenêtre de primo-congressite, puisque dès que la « machine » du congrès
s’est enclenchée, j’ai pu prédire systématiquement ce qui allait se produire. Et je ne fus pas le seul puisque les oppositions ont facilement pu faire sauter les verrous maladroitement imposés.

Quelques exemples concrets :
•Le règlement du congrès, texte proposé par la CFC sortante, comportait une mention disant que ne pouvaient être candidats que ceux respectant le cadre des critères fixés par le CCN. C’est typiquement anti-statutaire puisque ce congrès est le congrès des syndicats, et que le CCN n’avait pas à fixer quelques critères que ce soit (dans un contexte sans consensus qui plus est) ;

Le bureau du congrès, qui est l’organe de contrôle du bon fonctionnement du congrès, est généralement ouvert aux congressistes volontaires. Mais la CEC sortante a proposé que celui-ci ne soit pas enrichi, laissant penser que cette instance très importante pourrait intervenir dans un sens qui ne serait pas celui des congressistes ;

Les présidences de première et de la dernière séances n’ont pas brillé par leur méthode de distribution de la parole, de respect du temps de parole, se permettant même des commentaires là où la neutralité s’impose ;

Plusieurs cas de contestations d’accès au congrès ont été posés au bureau du congrès, notamment par la fédération du commerce ou sur l’épineux cas de la CGT Police. Il fallut une bronca générale pour que ces situations soient considérées par le bureau du congrès et que les décisions afférentes soient présentées au congrès.

Je passe sur les refus de décompte des votes par mandats levés, la complexité des votes puisque 3 techniques différentes ont été employées (par mandat, par boîtier électronique et par bulletin), les tentatives éhontées de faire taire certains congressistes qui avaient l’audace de huer ces pratiques, ou encore le lancement de séquences vidéo pour renfoncer les demandes d’interventions.

Le plus grave est l’effet produit par ces conditions désastreuses, un niveau de débat assez pathétique et pas du tout à la hauteur des enjeux pour les travailleurs de ce pays. Imaginez une salle interpellant constamment une tribune sur des questions de méthodes de débat et une tribune qui au
mieux n’entends pas ou pire, méprise. Toute ressemblance avec des éventements récents n’est pas fortuite, et vous pourrez entendre sur les vidéos disponibles sur le site du 53ème congrès, lors de l’envahissement de la tribune le lundi 27 mars après-midi, des slogans contre le 49-3 syndical.
Ambiance.

L’ultime «faute» de Martinez
Elle a été mis en lumière par l’intervention de Myriam Morand, de la FNIC CGT, dans son intervention le mardi 28 mars après-midi, comme ultime faute d’une longue série de celui-ci. Parmi celles qui ont été évoqués au congrès, la signature de la tribune avec Berger sur le chèque en
blanc pour le Plan de relance Macron/Merkel en 2020, l’apposition de la signature au plan Plus Jamais Ca, sont autant de coups de boutoir à la démocratie syndicale si importante dans la CGT.
Mais il ne faut pas oublier ce qui n’a pas été abordé au congrès, et ce que Martinez laissera à la postérité : le refus de prendre partie pour les camarades de la CGT PSA Poissy « historique », coupables d’avoir développé un syndicalisme sans compromission, l’attentisme organisé en 2019
face à une base refusant déjà le projet de réforme des retraites Macron/Philippe/Berger (Rappel : c’est l’UNSA RATP qui bloque le réseau parisien de métro en septembre 2019), la poursuite des discussions dans le cadre du dialogue avec le gouvernement pendant tout le premier quinquennat, la
faible contestation de la réforme de l’assurance chômage.

En interne à la «Maison Confédérale», on retiendra aussi le licenciement abusif d’un personnel de gardiennage qui s’est terminé aux prud’hommes, le conflit des personnels de restauration soutenus par la fédération du commerce, la mise de côté des camarades historiques de la sécurité du complexe, le recrutement d’une cheffe de cabinet cerbère de la porte du bureau du SG. Plus ce que les semaines à venir nous apprendrons, les langues se déliant progressivement.

La « direction » Martinez, c’était une méthode floue, un avis rarement tranché ou tout du moins variant selon l’interlocuteur, et une capacité à s’emporter facilement quand on n’était pas de son avis. Et c’était surtout une prédisposition à prendre des décisions seul, sans tenir compte de la base ou même de certains conseillers confédéraux pourtant ne venant pas du sérail.Faut-il donc parler de faute ? Une faute pourrait impliquer une sorte d’inattention, de maladresse.


Ce n’est donc pas une simple faute, mais une série de fautes intentionnelles laissant penser à une entreprise organisée de démantèlement de l’organisation historique de lutte des travailleurs. Que penser du fait que ce soit Marie Buisson qui ait prononcé le discours d’ouverture du congrès ? Si ce n’est que Martinez n’avait pas pris la mesure de ce que cette mise en avant de sa dauphine allait provoquer parmi les congressistes. Il n’a même pas daigné assumer son bilan, tentant de le défendre et d’extraire Buisson de celui-ci. En période d’orage, personne ne veut jouer le rôle du
paratonnerre. Or, c’est le rôle que Martinez a attribué à Buisson, avec le résultat que l’on connaît maintenant.

L’ultime faute de Martinez est double, et pleine de duplicité. Le mardi 28 mars au matin, Martinez n’est déjà plus secrétaire général puisque le congrès s’est ouvert la veille. Le congrès est souverain et donc est la seule instance de direction de la CGT en la période. C’est donc ce matin là, lendemain d’une journée extrêmement tendue, 10ème journée de mobilisation national intersyndicale contre la réforme des retraites, que Martinez choisit de s’aligner sur Berger pour exiger une « pause dans la réforme et une médiation » sur l’antenne de BFM.
Alors que les manifestants se préparaient, que les grévistes votaient la reconductible, que les militants élaboraient les slogans, l’ex-secretaire général de la CGT Philippe Martinez réserve ses derniers mots publics à une chaîne du capital, désavouant la lutte actuelle.
Quand la camarade Myriam Morand lui demandera de retirer ses propos concernant la pause et la médiation, il ne répondra rien. «Quel mandat avais-tu, camarade Martinez, pour te prononcer là dessus?», c’est là dessus qu’il sortira, par la petite porte.

La question de la FSM évacuée, mais pas close
Question centrale de l’offensive des syndicats «Néo-staliniens» lors du 52ème congrès à Dijon en 2019, il y avait fort à parier que cela le serait aussi lors de celui-ci. Principalement parce que pendant le mandat 2019-2023, ceux-ci n’ont pas engagé un quelconque processus de désarmement
sur les questions internationales. La critique majeure à l’encontre de la direction confédérale est que malgré la décision d’ouverture vers la FSM prise au 52ème congrès, nombre de structures CGT ne se sont pas approchées de la FSM, soit par soumission au chef, soit par désintérêt des questions internationales. Et, malgré les attaques de Bachar El Assad contre son peuple, malgré la répression des syndicats Biélorusses des chemins de fer qui ont engagé des grèves et blocages pour s’opposer à l’invasion russe en Ukraine, malgré la répression des travailleurs et travailleuses iraniennes par le régime des mollahs et son organe professionnel «La Maison des Travailleurs», malgré que la FSM soit liée à tous ces régimes soit par des financements, soit en étant présent dans les instances dirigeantes, le courant des «Néo-staliniens» avait prévu d’ouvrir le débat pour pousser la direction sortante dans ses cordes. Mais là non plus d’insister sur ce point pour ne pas se faire coincer sur les dossiers trop
brûlants.


Sauf qu’ils n’avaient pas prévu l’intervention de la représentante des syndicats indépendants et membre de Solidarité Socialiste avec les Travailleurs en Iran, Sara Salemi. Ou plutôt ils ont fait le choix de ne pas la considérer comme pouvant emporter une adhésion de l’ensemble des
congressistes. Et pourtant! C’est à la lecture du message du Syndicat des travailleurs/euses de la Régie des transports de Téhéran et sa banlieue (Vahed), décrivant ce à quoi le syndicat Maison des Travailleurs, affilié à la FSM et organiquement lié au régime des mollahs, sert vraiment, en matière de répression, de délation, de torture et d’alibi, que ceux qui ne voulaient pas savoir ont été mis devant ce que sont réellement ces organes de répression. Non pas des syndicats, mais des clubs de tortionnaires mafieux affiliés aux régimes dictatoriaux maintenant les travailleurs sous le joug en place.Qui alors pour défendre la FSM ? Si ce n’est une déléguée de l’UD CGT du Val de Marne, connue comme étant un centre de promotion politique du courant FSM dans la CGT. Celle-ci tentera vainement de mettre en miroir les récents scandales du dirigeant de la CSI, celui-ci étant impliqué dans le versement de sommes d’argent par le Maroc au niveau de la Commission Européenne.
Certes, l’évocation de ces pratiques entretient légitimement la défiance que nous pouvons avoir, nous les militants de base, à propos de la CSI et de la CES. Mais que je sache, la CES ne dénonce pas les manifestants s’opposant à la réforme de retraite en France auprès du régime de Macron, les
responsables de la CSI ne participent pas à des séances de tortures des grévistes en Allemagne, et Ursula Van Der Leyen n’est pas Secrétaire Général de la CSI. Toute comparaison des défauts des deux centrales internationales s’arrête donc là. Et c’était la seule
réponse à apporter aux congressistes pour clore un débat assez puant.


A la place, la réponse apportée me laisse encore songeur sur la conscientisation du moment et de la gravité du sujet par la direction confédérale sortante : «La CSI regroupe plus de 134 confédérations syndicales à travers le monde, alors que la FSM n’est que le regroupement de quelques fédérations ou unions syndicales. La CGT ne peut pas sortir de la CSI au risque de s’exclure d’un mouvement international de travailleurs indispensable dans le contexte du capitalisme mondialisé ». C’est il est vrai un argument, mais franchement secondaire au regard de ce qu’est la réalité des travailleurs réprimés par les syndicats affiliés à la FSM en Biélorussie, en Iran, en Syrie. C’est en cela que la question de la FSM a été évacuée au congrès, maladroitement et pas au niveau de ce que nous aurions pu attendre de la CGT, organisation où la culture internationaliste est forte et où le glissement de certaines structures vers la FSM devrait susciter une réponse politique bien plus forte. Évacuée donc mais pas close, au regard de la réponse. Nous, militants syndicaux CGT, prônant la liberté des peuples à disposer d’eux même et la liberté syndicale partout dans le monde, exigeons une ligne claire et sans détours sur le sujet.

Fin du monde/fin du mois, même combat, mais quel syndicalisme pour y répondre ?
Ce 53ème congrès aura été l’occasion de régler un contentieux fort dans la CGT, la place du collectif «Plus Jamais Ça». Ce collectif a été initié par plusieurs associations et ONG avec l’ambition de mettre en actes la convergence des luttes sociales et environnementales. On ne peut
qu’adhérer à cette ambition en tant que militant conscient de l’impact du capitalisme sur la terre et les hommes, et pourtant… Le contentieux s’est noué sur la forme et le fond. La forme d’abord, puisque les membres de la CEC et du CCN ont découvert la participation à ce collectif sans que leur avis n’ait été sollicité, la fameuse méthode Martinez du «c’est moi qui décide!». La participation à une telle démarche aurait du l’être en portant les revendications CGT, mêlant exigences de progrès sociaux et humains ainsi que la défense d’une certaine place des
services publics.
Mais non, la CGT s’est clairement mise à la remorque des associations motrices (Attac, Oxfam, Greenpeace) en n’étant pas suffisamment porteuse d’un message de dénonciation du capitalisme. Et aussi en ne rendant pas compte au CCN et à la CEC, de ce qui se passait dans ce collectif. Les
fédérations professionnelles n’ont pas été associées, alors qu’elles auraient eu à dire. Faute de
méthode, on prends des risques. Le fond ensuite. C’est clairement un message d’adaptation au capitalisme qui s’est déployé dans ce «plan de rupture», un réformisme ne prenant absolument pas conscience de la guerre qui a été engagée par le capital pour maintenir ses marges dans un contexte de guerre et de changement climatique. De même, la décroissance portée dans cette plateforme, présentant même les défenseurs
du nucléaire civil comme des arriérés patentés, ne pouvait en rien rencontrer les revendications des travailleurs des centrales nucléaires.En cela, le message de ce collectif nous aura fait perdre du temps, puisque face à un capitalisme qui s’organise en permanence, la CGT s’est déchirée en interne pour avoir cosigné des mesures gentillettes là où nous aurions du montrer les dents. Il faut aussi avoir en tête le moment où ce «plan de rupture» est paru, la période d’après le 1 er confinement. L’entrée de la conf par Martinez dans cette démarche est cohérente avec la signature
de la tribune avec Berger à la même époque. On peut d’ailleurs s’étonner qu’il n’y ait pas eu une démarche commune sur cette base réformiste, la CFDT choisissant elle de se lancer dans un «Pacte contre la vie chère» avec la fondation Abbé Pierre (sûrement une question de leadership plutôt que de désaccord profond puisque les démarches sont assez identiques et compatibles). Il faut s’imaginer la direction confédérale, devant son poste de télévision, écoutant (religieusement) Macron dire le 13 avril « Nous retrouverons les Jours Heureux », et y croire pitoyablement. Une
fois de plus, c’est une lecture réformiste dénuée de sens politique profond qui a animé la démarche « Plus Jamais Ça ». Par ailleurs, le Medef lui aussi y a cru mais pour ses bonnes raisons. Et maintenant que le 53ème congrès a censuré la participation de la CGT à ce collectif, comment traiter la question du changement climatique dans notre syndicalisme? Le congrès ayant été mal préparé, cela n’a pas permis d’ouvrir la discussion et d’aboutir à une position partagée.


Mais on peut tout de même trouver quelques pistes de réflexions : les camarades de la FNIC ou des Ports et Docks ont exprimé la chose suivante : On ne fera pas du syndicalisme de luttes des classes et des luttes contre le réchauffement climatique contre les travailleurs qui travaillent dans les
secteurs dit polluants, mais avec eux. C’est une chose sur laquelle la confédération CGT aurait pu être en pointe si elle avait retenu les leçons du mouvement des Gilets Jaunes. Pour mémoire, ce mouvement part à l’automne 2018 sur la contestation des hausses de prix des carburants par les travailleurs, puis se greffent un certain nombre de revendications sociales et d’exigences de meilleur fonctionnement démocratique.
Encore aurait-il fallu avoir une lecture politique de ce mouvement.

L’instrumentalisation de la question du féminisme et des violences
Le terme d’instrumentalisation est sciemment choisi ici pour interpeller le lecteur militant sensible à la question des violences et du féminisme dans la CGT. Le 53ème congrès de la CGT s’est ouvert quelques jours après que Benjamin Amar ait été exclu de la CEC, sans que les raisons de son exclusion n’aient d’ailleurs été présentées publiquement. Sauf que c’est un secret de polichinelle. Amar est mis en cause dans une affaire d’emprise sur une militante, avec à la clef agression sexuelle et acte de torture et de barbarie. Si la justice a décidé de
classer sans suite, l’AVFT a elle envoyé un courrier circonstancié à la Confédération afin de l’interpeller sur son inaction ( Amar n’avait été que mis en retrait de ses fonctions à la CEC), apportant des précisions sur les éléments du dossier et donnant la substance de la dangerosité du
personnage. Et donc, le congrès s’ouvre. Hormis la référence à la mise en place d’un cadre commun de lutte contre les violences à l’encontre des femmes dans la CGT, la direction sortante ne s’empare pas du sujet. Ce qui se passe est pourtant grave, puisque pour autant le « camarade » Amar est toujours considéré comme pouvant être membre de la CEC dans le cadre du renouvellement. Le document « cadre commun » suffit-il à traiter la question ? Non bien sur. Mais personne ne prend ses responsabilités pour affronter les soutiens d’Amar (qui sont aussi les Néo-Stals) directement. Personne pour prononcer les mots «Il ne peut pas être dans la future direction ». Son ombre planera d’ailleurs sur le congrès, on croit le voir ici ou là, on s’imagine qu’il va faire une entrée en cassant la baraque. La gêne de la direction sortante sur ce dossier est pourtant en décalage avec l’image présentée par Marie Buisson. C’est en effet elle qui s’est particulièrement investieavec les associations féministes proches de la CGT et qui a donné à la cellule d’écoute une place à part entière qu’elle n’avait pas auparavant. Pourquoi cette gêne alors?
Plusieurs raisons: Philippe Martinez n’a jamais réellement porté le sujet de l’égalité Femme/Homme comme un sujet
« CGT ». Il s’est inscrit en ce sens dans la même veine que ses prédécesseurs qui ont toujours considéré qu’il fallait parler du travail, des travailleurs et que dans les travailleurs, il pouvait y avoir des travailleuses mais que cela ne servait à rien de le pointer particulièrement. Si la CGT a souvent intégré des militantes femmes, cela s’est fait dans la douleur pour nombre d’entre elles qui ont eu à subir le manque de reconnaissance, la méprise, le sexisme et les agressions de la part d’un « corps militant » principalement masculin, venant de l’industrie où les femmes étaient déjà victimes de ces comportements par les patrons. Sur la question des violences dans l’organisation, Martinez ne s’est
jamais vraiment exprimé non plus. Le fait que ce soit Benjamin Amar qui soit le protagoniste de ces violences a mis dans l’embarras la direction confédérale, du fait que celui ci était son principal opposant en interne, critiquant vertement Martinez tout en ayant régulièrement ses entrées à BFM. Pour dire les choses directement, la direction confédérale a eu peur d’un procès en instrumentalisation (quel comble !).
En effet, en mettant le sujet sur la place publique, Amar aurait eu beau jeu de se présenter en
victime d’une kabbale.


Enfin, cette crainte aurait pu être fondée avant #Metoo, avant la déflagration qui secoue notre société sur les violences faîtes aux femmes. Quelle personnalité publique ayant été mise en cause par des victimes et ayant tenté une ligne de défense sur l’inversion des responsabilités peut encore
se prévaloir d’une quelconque légitimité ? Aucune. La direction confédérale aurait du prendre ce risque en estimant que c’était le moment, que cela aurait grandi l’organisation et répondu à des réalités militantes. Au lieu de ça, la poussière a été mise sous le tapis, comme souvent dans la CGT. J’ai une pensée pour les congressistes, uniquement des femmes, qui sont montées au créneau sur le sujet, elles. Elles ont parlé de ce qu’elles ne voulaient pas, de ce qu’elles ne voulaient plus. Elles ont évoqué le cadre toxique de certaines structures. Avec bien plus de courage que la direction confédérale sortante, qui s’est enfoncée dans son siège. L’instrumentalisation, c’est laisser croire aux militantes et militants qu’on prend ce sujet à cœur, qu’on le porte, mais que lorsqu’il faut sortir du bois, on se dégonfle. Une fois de plus, une fois de trop, Martinez porte une lourde responsabilité.

Les défis de la nouvelle direction confédérale
La facilité pourrait être de dire qu’il faut faire l’inverse de Martinez pour résoudre les défis qui s’annoncent. C’est à la fois vrai mais loin d’être suffisant. En premier, l’enjeu de la démocratie interne me semble être le principal à relever pour pouvoir engager les autres. Martinez et son aréopage n’ont été qu’une énième étape dans la lente dégradation de la démocratie de l’organisation. Et la remise en place de la démocratie n’est pas une chose aisée, qui peut se régler uniquement par la désignation d’une nouvelle tendance à la tête de la CGT. Cela requiert des efforts conséquents, dont le respect des instances de décision interne doit être prépondérant. Parce qu’il est indispensable de rappeler que Sophie Binet n’est pas la « patronne » de la CGT mais la secrétaire générale, que l’instance de direction est la CEC et que le CCN est une instance de débat dont la teneur est à intégrer dans la ligne à conduire. Un équilibre compliqué mais qui peut fonctionner. En remettant chacun dans son rôle, cela redonnera aussi un sens à l’organisation en confédération. En second, il faut accepter collectivement de « refaire de la politique ». J’ai fait plusieurs fois le constat depuis une décennie que dans nombre de structures (UD ou FD), le fait de faire de la
politique semblait être devenu tabou. Et en faisant de la politique, il faut donc accepter nos dissensions, nos différences de points de vue, non pas pour les étouffer ou pour nous affronter jusqu’à la mort mais plutôt pour rechercher une ligne commune sur laquelle nous puissions nous
rassembler. Cela sera d’autant plus compliqué que dans la CEC, les équilibres des courants ne sont pas respectés (Buisson/Mateu/Verzeletti/Binet). Pour que la confédération fonctionne, il faut que laCEC s’implique et puisse exposer son discours politique afin de le défendre. Ce n’est pas si simple dans un environnement où le silence a prévalu pendant longtemps. En troisième, sortir de la culture du Chef ou de la Cheffe. L’existence plus que centenaire de la CGT, son importance politique et historique pour le mouvement ouvrier français et international, semble prévaloir pour certains « camarades » qui s’imaginent faire « carrière » dans la CGT. Ces mêmes camarades ne se rendent pas uniquement coupable de s’arranger pour se construire des carrières de bureaucrates syndicaux, mais en plus soumettent les structures dont ils sont issus à des fonctionnements sectaires, où la voix du Chef s’impose sur la discussion collective. Certes, la nouvelle direction confédérale ne peut pas tout, qui plus est dans une myriade d’organisations telle qu’est constituée la CGT. Mais la démonstration par l’exemple peut fonctionner, et cela ne coûte
rien d’essayer.


Enfin et surtout, il est indispensable que la nouvelle direction confédérale se confronte à la réalité du moment. Macron n’est réélu que depuis un an et il s’emploie déjà à accélérer les mesures contre les travailleurs et à déployer les mesures de répression contre leurs organisations et leurs luttes. En faisant cela, il devient le meilleur promoteur du RN. Nous, organisation des travailleurs, devons nous employer à combattre le pouvoir en place par la construction d’un rapport de force à la hauteur des risques, et devons contrer par tous les moyens l’accession du fascisme au pouvoir.

Ce texte a vocation à contribuer au débat interne au mouvement ouvrier, et toutes les idées développées peuvent être critiquées.

Joseph DIVERES

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