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Billet de blog 16 février 2024

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D'un petit bonhomme mis en colère

par un non-évènement : la montée de l'exigence démocratique dans la France Insoumise

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On m’avise ce matin d’un texte incendiaire produit par un député de la FI, Antoine Léaument.

https://antoineleaument.fr/2024/02/14/nos-idiots-utiles-dans-la-classe-mediatique/

Il y est question de la réunion à Gagny de signataires d’un texte qui exige une France Insoumise démocratique.

La cible de Monsieur Léaument, ce sont les journalistes (spécialement ceux de Médiapart !) qui, en informant leurs lecteurs de cet appel et de cette réunion, ont, si nous l’en croyons : « renoncé à la liberté d’informer », ce qui leur coûtera cher, un jour, d’après la menace en fin de billet : « c’est le pluralisme qu’il nous faudra rendre possible une fois au pouvoir ».

Pour soutenir le flot de haine qu’il déverse sur la presse, Léaument fait une longue citation du Monde Diplomatique qui stigmatise, à juste titre… le soutien qu’une certaine presse apporte à la propagande israélienne. Mais ça n’a aucun rapport, Léaument.

Et d’abord, nous dit-il, combien étaient-ils, à cette réunion ?

Selon les sources, entre 60 et 100. C’est peu ! Il connaît des gens qui ont retiré leur signature… Mais ça arrive dans tous les appels. Il y a des signataires qui ne sont plus dans FI ! C’est vrai. Les gens qui exigent la démocratie étant exclus…

Le lecteur doit savoir qu’il n’y a ni carte, ni cotisation dans la FI. On est « dedans » si votre adresse email est sur « la plateforme ». Et si « On » vous raye de la plateforme, vous êtes « dehors ».

En mai 2017, il y avait plus de 500 000 inscrits sur « la plateforme », et encore plus de 200 000 en 2022. Environ 80 000 aujourd’hui, dont à peu près 60 000 acceptent de cliquer sur une touche pour donner leur accord à ce que décident des « chefs » dont aucun n’a été élu par les militants.

Donc des gens qui ont été FI et ne le sont plus, il y en a, par soustraction, beaucoup plus que ceux qui y sont encore. Et oui, il y en a qui ont signé notre texte, parce qu’ils partagent encore les principes énoncés dans L’AEC, et parce que Bompard exclut à tout va.

En sus, Léaumont  assène un argument massue : l’une des personnes qui a signé… est décédée. Mais non, nous ne faisons pas voter les morts, comme on le dit de certaines élections en Corse. Elle est décédée après avoir signé… Tout ceci est absolument dérisoire.

On en vient au fond : les signataires auraient tort car la FI serait totalement démocratique. Mais pas démocratique comme ces odieuses organisations (les syndicats, les partis, les associations de pêche à la ligne) dans lesquelles il y a des adhésions, des cotisations, des statuts, des congrès, des motions, des confrontations, des débats, des égos, des manœuvres… et dont les dirigeants sont élus par les militants ! Ah non ! Pas ça !

Il faut savoir qu’Antoine Léaumont a fait des études de politique : un master « Affaires Publiques », option « administration politique ». On ne lui a pas enseigné que ces arguments contre la démocratie sont éculés. Que des Joseph de Maistre, des Albert de Mun, des Maurras, des Brasillach, des Bardèche, les ont déjà portés et défendus, y compris, sous une forme bien atténuée, des Charles de Gaulle, pestant contre « le régime des partis ».

Il ne sait pas, je veux le croire, qu’en récusant la forme démocratique il piétine la Révolution Française, il insulte Robespierre. Il ne sait pas qu’en parvenant à se convaincre, et à convaincre des gens sans expérience qu’il n’est pas bon que les militants puissent poser des questions politiques, décider et finalement désigner leurs dirigeants, il pave la route du fascisme.

Et alors, il va tenter d’embrouiller son lecteur, comme les compères de Bompard tentent d’embrouiller les militants en nous parlant d’élaboration collective, de votes par clics, de tirage au sort, de boucles et autres merveilles.

Pourquoi se plaindre, tout vient à point : La France Insoumise est un mouvement évolutif. Et pourquoi ? Parce qu’il n’existe aucun modèle de ce que nous avons entrepris.

C’est inexact, ce type de fonctionnement est celui des Assemblées Évangéliques très répandues aux USA et au Brésil, au sein desquelles, des tas de gens peuvent décider d’un tas de choses, mais seulement celles que le Bon Pasteur a autorisées.

Il n’est pas trop difficile de dissiper ces rideaux de fumées. Il suffira de poser quelques questions.

Les partisans de ce système nous disent qu’il y a L’AEC. On est d’accord avec L’AEC, c’est bien. On est en désaccord, on s’en va. Pas de troisième terme. Donc pas besoin de débats, on n’a pas le temps. Dans le Groupe d’Action, on discutera de la distribution de tracts (tracts pour une liste commune aux européennes, par exemple) au marché. Quelle date ? Combien de tracts ? Qui sera là ? Car chaque groupe est libre de décider ce genre de choses ! Mais on ne discutera pas pour savoir si cela a du sens politique de vouloir « tordre le bras » de nos partenaires. La ficelle est grosse !

Mais L’AEC traite-t-il la question de la gifle de Quattenens ? La question de la guerre en Ukraine : faut-il que la France fournisse des armes ? La question de l'attaque du Hamas le 7 Octobre : comment caractériser le Hamas ? La question de savoir si le gouvernement israélien commet un génocide (les députés FI n'ont pas suivi le PCF lorsque, voici quelques années, il a présenté une motion dénonçant l’apartheid), la question de la NUPES ? Est-elle morte ? Faut-il qu’elle meure ? La question de savoir s'il fallait faire campagne toute une année pour une liste unique aux élections européennes (alors que EELV avait décidé, EN CONGRES, de présenter une liste indépendante) ?

Les gens qui ont écrit L’AEC sont Jacques Généreux, Charlotte Girard, Martine Billard, Liêm Huang Ngoc, Corrine Morel-Darleux. Elles et ils ont tous quitté le mouvement en dénonçant l’absence de démocratie.

Est-ce que c’est L’AEC qui a décidé que François Ruffin, que Raquel Garrido, que Danièle Simonnet (qui suit Mélenchon depuis trente ans – le petit Léaumont ne savait pas encore lire) que Eric Coquerel, Alexis Corbière et pas mal d’autres seraient écartés de la direction exécutive du mouvement. Qui a décidé ça ? Qui a décidé d’écarter nos meilleurs camarades, les plus fidèles, les plus talentueux, les plus expérimentés ?

Qui a décidé qu’à la place, ce seraient des petits Antoine Léaument ?

Mais qui est le petit Antoine Léaument ? C’est un bon jeune homme de tout juste trente et cinq ans, qui nous vient de Châteauroux, dans l’Indre. Il est instruit et moderne.

Après des études primaires et secondaires dans les écoles catholiques Léon XIII, où il fait sa première communion et sa communion solennelle, il étudie, à l’annexe universitaire de Chateauroux, les « Affaires Publiques», option « administration politique ».

Ainsi instruit, il se rapproche du Modem, puis en 2011, du Parti de Gauche.

Il devient alors stagiaire auprès de Martine Billard, stagiaire au Conseil Régional, enfin stagiaire auprès de Jean-Luc Mélenchon. Il connaît bien Youtube, la chaîne Twitch, le site linsoumission.fr.

Il a toutes les compétences d’un influenceur, quoi d’autre ? Ah oui, il est député de la dixième circonscription de l’Essonne. On peut cependant dire sans exagérer qu’il était en terrain conquis.

Julien Dray (gauche du PS) en a été le député durant vingt cinq ans, et Malek Bouthi cinq ans de plus. Charlotte Girard y a été battue en 2017, ayant contre elle un candidat du PS, un candidat du PCF et un candidat écologiste. En 2022 le petit Léaument, soutenu par toute la gauche, et bien que cette gauche ait perdu, sous sa houlette, 2000 voix, il a été élu ! Ouf ! Mais bien sûr, c’est le RN qui a engrangé les voix perdues par la gauche.

Donc Antoine Léaument, disons-le sans aucune méchanceté, c’est peu de chose. Un jeune homme qui n’a aucune formation politique, n’a jamais travaillé autrement que comme youtubeur, ne semble pas avoir jamais été syndiqué (s’il l’avait été il saurait qu’un syndicat est organisé selon l’épouvantable démocratie qu’il vilipende), encore moins dirigé une section syndicale, ni organisé une manifestation ou une grève.

Pour finir, il nous déclare (et on devine qu’il serre ses petits poings rageurs) « En tous cas, la déclaration des principes exclut formellement les fractions et réunions fractionnelles. Cela ne changera jamais.

Mais ce n’est pas ce qu’on te demande, petit bonhomme. Le droit de fraction n’existe pas dans les statuts des syndicats. Même le droit de tendance n’existe pas dans tous les partis. Cela se discute. Ce qu’on veut c’est juste que des adhérents (derechef qu’ils existent), des cotisants, exercent les droits que leur confèrent d’honnêtes statuts, et que nous puissions choisir nos dirigeants. Plutôt Raquel Garrido, par exemple, que toi.

Vois-tu, Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT a été élue par un Congrès dans lequel des motions et des candidatures opposées ont été débattues. Ce congrès était lui-même composé de délégués élus dans des assemblées, suite à des débats et à des votes. Et certes durant ce processus il y a eu des manœuvres et des chocs d’égos, parceque les êtres humains sont ainsi.

Dans le secret de ton cœur, (ou de ton âme), petit Léaument, dis-moi : qui est le plus légitime à « diriger » ou à « représenter » quoi que ce soit : Sophie Binet, élue, ou toi qui a été désigné par on ne sait qui ?

Jean-Pierre Boudine

«...Ni Tribun » Éditions "à plus d'un titre", 2019.

« Critique de la raison gazeuse » Éditions "à plus d'un titre", 2022.

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