Des nouvelles
La convention de la France insoumise se prépare, et l'on sait déjà que les délégués seront tirés au sort parmi des volontaires. Je suis de ceux qui ne seront pas volontaires.
La procédure du tirage au sort, qu'un bon peu d'ignorance permet de rattacher à de supposées origines grecques (le tirage au sort avait alors lieu dans un but et un contexte sans aucun rapport avec la constitution d'une CONVENTION) présente deux défauts majeurs.
Premièrement elle dessaisit les militants des cercles d'appui qui ne peuvent désigner leur délégué(e) et restent donc à l'écart de la Convention, simples spectateurs.
Deuxièmement, la convention se trouve alors constituée avec des gens qui ne représentent personne, d'un côté, et une "direction" cooptée par Jean-Luc Mélenchon, de l'autre. La signification de cette procédure, c'est l'impossibilité, et d'ailleurs le déni de toute discussion politique : il n'y a rien à débattre. Nous verrons que ce n'est pas vrai.
Certains groupes d'appui se sont immédiatement réunis et ont décidé de n'envoyer personne (aucun volontaire) à la Convention-Tombola.
Par ailleurs, un bruit court selon lequel la "direction du mouvement" serait simplement composée (à l'issue de la Convention), du groupe des députés FI, au motif que les députés sont élus par le peuple. Plus peut-être d'autres personnalités "tirées au sort". Une conséquence évidente, c'est encore le dessaisissement complet des militants des groupes d'appui.
Un entretien gazeux
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'entretien accordé par JLM au périodique "N°1-Hebdo" décoiffe. Je comprends bien que c'est voulu : les hommes politiques, de nos jours, doivent avancer des thèses bizarres, réputées modernes, faute de quoi, ils passent pour des zozos conformistes. Sur ce plan, notre JLM a fait très fort et si le buzz ne propulse pas ses formules en haut de l'affiche, ce sera injuste. En voici une assez belle : "
"Je sais que ce n’est pas évident à comprendre pour les seniors de la politique qui trimballent leurs vieux scénarios des années soixante, mais le but du mouvement de la France insoumise n’est pas d’être démocratique mais collectif. Il refuse d’être clivant, il veut être inclusif."
C'est magnifique ! Et je confirme : pour un senior de la politique qui trimballe etc, ce blabla n'est pas évident à comprendre ! Bonne chance aux juniors de la politique, pages vierges où l'on peut tenter d'écrire de telles formules magiques.
Une seconde qui n'est pas mal non plus :
Le but numéro un du mouvement, c’est l’auto-organisation du peuple. C’est pour ça qu’on ne parle pas la même langue avec ceux qui me demandent : « Comment sera élue la direction du mouvement ? » On s’en fout comme de notre première chemise ! Le système multipolaire actuel nous convient.
Cocteau disait : "Surtout, surtout, soit indulgent ; hésite sur le seuil du blâme...". Notre candidat, qui a fait une extraordinaire campagne présidentielle, dans laquelle, en ce qui me concerne (les lecteurs de Mediapart le savent, mais aussi les militants de mon cercle d'appui) je me suis pleinement investi (d'ailleurs depuis 2010), notre candidat a perdu pied. Il s'est envolé, il plane, il plane à une hauteur immense (comme l'aigle Gorgo).
Il explique plus loin que son mouvement ne sera ni horizontal ni vertical mais gazeux. Il est dans la stratosphère, qui plus est, sans scaphandre, et même si nous sommes nombreux à souhaiter qu'il redescende sur terre, c'est difficile à croire. JLM a raison sur un point : on ne peut pas organiser un mouvement politique aujourd'hui comme en 1917, ni en 1980. Trouver la bonne formule, le bon équilibre c'est en effet un défi intellectuel. Mélenchon n'est pas armé pour résoudre ce problème. La route prise n'est pas la bonne. Ce n'est pas non plus un théoricien. La formule "l'insoumission est un nouvel humanisme" ne peut rien baser : les mots s'y opposent (j'y reviendrai).
Que peut dire aujourd'hui au sujet de la FI un senior de la politique (qui trimballe, etc) ?
Sept millions d'électeurs ont voté pour Mélenchon, dont la campagne a clairement dessiné une politique progressiste de transition sociale et écologique. Le programme LAEC, à de rares exceptions prêt (le passage sur la question palestinienne, page 96, est très insuffisant), manifeste le travail politique remarquable des nombreux experts dont Mélenchon a su s'entourer.
Des dizaines de milliers de militants ont lutté pied à pied tant sur les marchés que dans les médias accessibles pour assurer le succès de cette campagne. Ils ne sont pas prêts, en tous les cas, pas tous prêts à constituer un club de supporters dans une convention-tombola.
JLM conçoit "son" mouvement un peu (pardon de la comparaison, qui ne vaut que pour un aspect sociologique) comme ces mouvements musulmans radicaux qui se sont implantés en jouant des rôles d'assistant(e)s sociaux auprès des personnes en difficulté : s'inscrire sur les listes électorales, remplir les formulaires pour demander une aide, lutter contre "les punaises de lit" (voir l'entretien), etc. Ce n'est pas faux, il faut faire cela, mais nous sommes en France, un peuple politique, et LAEC, ce n'est pas la charia, il n'y a pas d'Ayatollah, les militants ont absolument besoin de discuter, d'élire, de voter. Débattre, ce n'est pas cliver, Jean-Luc, ne transporte pas avec toi ton expérience des luttes de fractions internes au PS ! Oublie-les !
Il y aura donc, nolens, volens, des débats et des clivages, et de l'eau dans le gaz. Je ne pense pas que cette force, les militants des cercles d'appui, va s'anéantir et en fin de compte, c'est la situation politique qui en décidera.
Le fond de la pensée de JLM, c'est qu'il a tout prévu et qu'il n'y a rien à discuter. Mais ce n'est pas vrai et nous en avons déjà une preuve : l'appel à une manifestation d'un million de citoyens aux champs Elysées derrière les syndicats réunis, cet appel lancé le 23 septembre depuis une tribune, s'est révélé un flop. Aucun syndicat n'a même relevé la proposition. Elle gît dans le ruisseau, et ce n'est pas la faute à Rousseau.
Les abonnés qui me font le plaisir et l'honneur de lire mes billets savent que j'avais signalé cette proposition comme constituant ... un gros risque politique, un pari très risqué. Pour le moment, c'est un pari perdu et, si Jean-Luc était accessible à la discussion, il se serait épargné cet échec. Je sais qu'il y a eu des gens pour le mettre en garde.
L'heure est à l'offensive et, comme senior, j'observe que Bernie Sanders, comme aussi Jeremy Corbyn creusent leurs sillons dans les traces du socialisme. Peut-être traumatisé par le PS français, JLM cherche autre chose, quelque chose de plus junior, de plus chic, de plus gazeux ("wizzz !!!"). Podemos aussi. Podemos ? Tiens, qu'est-ce qu'ils deviennent ceux-là ?