J'écoutais sur France Inter la candidate à la présidentielle du parti animaliste, Hélène Thouy.
Je m'attendais un peu au pire : une fanatique aimant les bêtes et détestant les gens. Pas du tout ! C'était un discours intelligent et sensé, focalisé, entre autres cibles, contre l'élevage en batterie, faisant le lien avec la propagation des épizooties, y compris à l'espèce ... humaine. Compte tenu de l'état de la gauche, voter pour le Parti Animaliste n'est pas un choix tellement absurde !
Mais ce n'est pas mon sujet. Cette dame dit défendre les intérêts des animaux, humains compris puisque les humains sont des animaux.
Elle a utilisé le mot "intérêt". D'autres (1977, Londres, 1978 UNESCO) parlent des "droits" des animaux. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de "droit" des animaux non humains, pour une raison simple : le droit, écrit ou traditionnel, est affaire de verbe, de langage. Un chien fouetté ne viendra pas plaider, et il ne désignera pas non plus un avocat doué de langage. Le droit des animaux non humains me semble donc un concept creux, vain.
Le mot "intérêt" ne me parait pas non plus pertinent. Certes un animal peut tenter de défendre son intérêt. L'un de mes voisins, chasseur, a tiré un gros sanglier mâle, il l'a blessé et malheureusement pour lui, en cherchant à lui couper la route, il est tombé ... sur le ventre. Le vieux mâle lui a labouré le dos de belle manière : un mois d’hôpital, et un traumatisme psychique conséquent, soigné au pastis. Au bout du compte, le sanglier a été abattu par les camarades de mon voisin.
Nous avons réduit en esclavage tous les animaux de la planète, à l'exception de quelques paramécies, bactéries et virus (lesquels ne sont pas à proprement parler des êtres "vivants"). Ils peuvent difficilement défendre leurs intérêts, soit par le verbe, ou par l'action. Les taureaux qui, dans l’Arène, parviennent à encorner le torero, les éléphants qui écrasent le braconnier, les lions qui bouffent les rois qui chassent, sont finalement assez rares.
Qu'un être humain prenne sur lui de "défendre les intérêts" d'un animal, c'est une démarche un peu scabreuse, involontairement hypocrite, sinon, Il faudrait pour commencer que cet humain soit strictement Végan, c'est à dire non seulement végétarien et végétalien, mais qu'il soit parvenu à exclure toute utilisation d'animaux pour ses vêtements, ceinture, chaussures (pas de laine, pas de cuir). Qu'il soit certain que, pour récolter le blé dont on fait son pain ou l'avoine de sa bouillie d'avoine, aucun insecte parasite n'a été détruit. Que pour ses distractions, non seulement il n'y ait aucune place pour une visite au zoo, mais qu'un film où figure un chat domestique lui soit interdit.
Même alors, en "défendant" les intérêts de l'animal, il l'utiliserait, car l'animal ne l'aurait pas mandaté pour ce faire. En outre, les "intérêts" des animaux concernent des champs bien plus vastes que leurs rapports avec l'espèce humaine. Je prend l'exemple d'un chevreuil comme il y en a dans mon environnement immédiat. Certes, être tué d'une balle de chasseur, c'est un triste sort. Mais j'ai trouvé dans la forêt, l'autre jour, le cadavre d'un chevreuil à demi dévoré par un loup. Les loups ne sont pas pressés de tuer : ils dévorent la bête vivante.
Les cruautés sont innombrables dans la nature, et personne ne transformera la terre en un paradis universel d'amour. C'est ce qu'exprimait Leibniz : ce monde est le meilleur des mondes possibles, avec sa part d'horreur.
Oui mais, disent les Végan, l'homme étant une espèce capable d'éthique, elle doit, ELLE, s'interdire de provoquer la souffrance d'autres êtres sensibles. La prémisse de cette déclaration semble bien arbitraire : depuis l'aube des temps (au moins depuis le néolithique, avant, on n'en sait pas grand chose), l'homme massacre, torture, réduit en esclavage... ses semblables. N'est-ce pas follement prétentieux que de nous prétendre "capables d'éthique" ? Capables, peut-être, mais jusqu'à présent cette capacité est restée inemployée.
Je crois donc que personne ne peut envisager sérieusement de défendre les intérêts des animaux.
Pourtant, moi aussi, je suis opposé à tout ce qui avilit la condition animale, comme à l’indifférence à la souffrance animale provoquée par nos semblables.
L'élevage intensif, pour ne parler que de cette réalité, me fait horreur. Des milliers de poules élevées dans des cages dont elles ne sortent jamais, survivant quelques semaines dans leurs déjections, des centaines de porcs entassés dans des prisons d'où coule l'urine et la merde, des vaches traitent si souvent par des machines qu'il y a du sang dans leur lait (on doit y ajouter un produit pour cacher le rouge) des lapins élevés dans des cages dont le plancher est un grillage, si bien qu'ils finissent leur vie avec des moignons en guise de pattes, des animaux abattus dans des conditions cruelles et abjectes...
Tout ceci me donne le sentiment d'un avilissement qui touche de plein fouet toute l'humanité. Oui, les humains peuvent tout aussi bien infliger de tels traitements à leurs semblables, ils l'ont fait, des centaines de fois, presque dans toutes les cultures, même si rarement à la même échelle que ce n'est le cas ces derniers temps.
Dans un ancien film on voyait un "bushman" tuer à l'arc une petite antilope, puis lui adresser une sorte de prière : "Pardon, j'ai pris ta vie, pour nourrir ma famille".
Je suis partisan d'une attitude qui respecte la dignité animale. La dignité est quelque chose qui est concédé par un ensemble. La dignité d'un travailleur c'est de faire bien son travail, même quand il est exploité. De même que la dignité des Canuts ou celle des Communards peut aller jusqu'au sacrifice de leur vie en combattant l'oppression. Nous avons besoin que la dignité des animaux soit respectée, parce que nous sommes des animaux. Nous avons besoin de respecter le vivant, afin de vivre.
Dans l'élevage intensif, la VIE est piégée par un processus mécanique. Notre science ne sait pas produire la vie. Nous ne savons pas (nous en sommes loin) comment s'est opérée la transition de l'inorganique à l'organique. Nous sommes incapables de produire, à partir de ses composants, la moindre cellule vivante, même dépourvue de noyau. Et sans le moindre respect pour ce qui nous dépasse, nous mettons en cage la vie comme telle et nous nous en gavons.
La dignité n'est pas la sainteté. Jamais on ne me fera espérer que les sujets humains se conduisent "bien". Je n'espère pas que notre espèce soit MOINS cruelle qu'un léopard ou une araignée. Je rêve seulement que sa fameuse conscience l'autorise à ne pas l'être un million de fois PLUS, plus cruelle, plus abjecte, plus indigne du vivant.
Soyons pratiques. Si les poules, les vaches, les moutons et les cochons vivent dans les champs, et sont abattus de manière décente pour être mangés, après avoir un peu vécu, il y en aura moins, et ce sera plus cher. Je n'ai pas parlé des poissons. Mais le même discours vaut, à cet égard.
Eh bien il faut augmenter les salaires pour que les familles de travailleurs aient le choix d'éventuellement ne pas être végétariens. Et il faut que les classes aisées, sans parler des riches, des parasites, mangent moins de viande, de volailles et de poissons, beaucoup moins.
Mais à quoi servent la dignité et le respect ? À prendre place dans une communauté, ici, la communauté des vivants. Dans les cités antiques, l'indigne était exilé, sort pire que la mort. Ayant perdu la dignité des vivants et le respect de la vie, l'humanité disparaîtra. En fin de compte, les élevages intensifs sont l'un des symptômes de l'imminence de notre auto destruction.