Jean-Pierre Boudine (avatar)

Jean-Pierre Boudine

Mathématiques. Musique.

Abonné·e de Mediapart

189 Billets

2 Éditions

Billet de blog 21 août 2017

Jean-Pierre Boudine (avatar)

Jean-Pierre Boudine

Mathématiques. Musique.

Abonné·e de Mediapart

À propos de l’avenir de la FI (5)  De l’impossible

Jacques Lacan, encore lui, s’est amusé à identifier le réel et l’impossible.  « Tout est Possible »[1] dans l’imaginaire. Quand il y a de l’impossible, c’est qu’on touche au réel, un réel étrange, qui traumatise. Qui est impossible à symboliser. On rencontre tout de suite des impossibilités dans les sciences humaines, dans un cas qui nous intéresse : la représentation.

Jean-Pierre Boudine (avatar)

Jean-Pierre Boudine

Mathématiques. Musique.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s’agit de ce problème essentiel de l’articulation du « JE » au « NOUS » : des personnes votent pour élire des représentants. S’il y a trois candidats A, B, C, ou davantage, ils ont des préférences. Il est possible qu’une majorité préfère A à B, une majorité également préfère B à C, et une autre majorité (dans le même corps électoral) préfère C à A. Ce phénomène est dit « intransitivité des préférences ». C’est le « Paradoxe de Condorcet » (1785). Il est apparu comme une curiosité un peu artificielle, mais deux siècles plus tard, Kenneth Arrow, (prix de la banque de Suède) l’a considérablement approfondi jusqu’à démontrer un résultat d’impossibilité dont la signification doit nous faire abandonner nos illusions : il ne peut exister de modalités d’élection sans graves défauts et contradictions. Le théorème d’Arrow a été discuté, sa portée a été relativisée, mais il reste incontournable.

De toutes manières, notre expérience toute fraîche des élections américaines ou française nous offre assez d’occasions de sentir l’imperfection radicale des systèmes électoraux. Nous retrouvons ici la contradiction fondamentale de la condition humaine, entre l’exigence subjective et la réalité collective et nous soupçonnons avec le théorème d’Arrow qu’il n’y a pas de solution qui ne soit gravement insatisfaisante !

Avec un système différent, Sanders aurait peut-être été élu, plutôt que Trump. Or une conséquence de cette différence peut être la guerre.

Mais bien sûr, beaucoup d’autres facteurs jouent pour fausser l’expression de la volonté électorale. En France, la campagne médiatique effrénée de surestimation d’un prétendu « danger fasciste » a porté au pouvoir un candidat médiocre et confus, sans autre projet que l’obéissance aux diktats de l’UE. Cette impossibilité d’un système non pas idéal, mais au moins dépourvu de défauts majeurs, doit nous guider pour aborder les questions d’organisation dans un parti.

Parti, ou mouvement ?

Le parti appartiendrait au passé (décrépitude du PS et du PCF), le mouvement à l’avenir. Soit. Mais quelles sont les différences ? C’est à voir ! Un parti doit avoir une base programmatique, une conception du monde, des statuts, des instances représentatives, un règlement intérieur. On y adhère (on peut avoir une « carte »), on paie une cotisation (proportionnelle au revenu), on élit des représentants locaux, régionaux, nationaux, un « comité central » qui désigne en son sein un « bureau politique » et peut-être un « secrétaire général ». Bien sur, tout ceci évoque le PCF de la grande époque stalinienne. Mais le fonctionnement du PS n’est pas différent. Il ne faut pas s’imaginer que changer les dénominations constituera un immense progrès.

Et un mouvement ? Comment ça … marche ? Le mouvement « En Marche » qui a soutenu la candidature d’Emmanuel Macron s’est structuré sans difficultés. Si l’on comprend bien, il y a un chef, le président de la République, et il n’est pas question que quoi que ce soit échappe à son autorité. Les « adhérents » sont là pour marcher dans le sens exact qu’il indiquera. Il y a des protestations, des dissidences, mais je prévoit qu’elles seront sans grandes conséquences. En réalité, ce mouvement ne sert à rien. La question du pouvoir des adhérents à participer aux décisions ne se pose pas dans un mouvement bourgeois. Un tel mouvement, ou parti, ne sert qu’à avoir un réseau de relations pour obtenir de bonnes places. Les orientations sont décidées (souvent dans la confusion) par les clans d’oligarques. Dans le cas présent, d’ailleurs, il s’agit de clans qui résident à Bruxelles et à Berlin.

Les choix que nous aurons à faire dans les semaines qui viennent ne sont pas entre « un parti » et « un mouvement ». Rien de général : nous avons devant nous un cas particulier, produit des circonstances et de la volonté, et c’est ce cas qu’il faut traiter.

La FI, il faut y revenir, est d’abord l’ensemble des citoyens (plus d’un demi million) qui ont soutenu par leur signature, leur adresse et souvent de l’argent, la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Dans la foulée, il y a eu, sur une échelle numérique sans doute dix fois plus petite, une activité militante intense, la participation à la rédaction d’un programme, d’une charte, la désignation de candidats à l’élection législative. Tout ceci impulsé par une équipe nationale autour de notre candidat, équipe qui s’est magnifiquement comportée.

Fin août 2017, la FI n’est rien de plus que cette réalité, en attende d’un minimum de structuration : de nombreux « cercles d’appui » réunissant plus ou moins 50 000 militants, un groupe de députés à l’assemblée nationale. Un certain nombre de « têtes » dont la période récente a confirmé ou révélé la valeur : Jean-Luc Mélenchon, bien sûr, et pas mal d’autres : Danièle Simonet, Alexis Corbières, Manuel Bompard, etc.

Certains ont posé la question de savoir quelle était la « nature politique » de la FI. Il est évidemment trop tôt pour en parler beaucoup, mais on doit constater que, parmi les personnalités les plus connues, la plupart viennent du mouvement ouvrier (au sens politique) : du PCF, de l’OCI, du NPA, de la gauche du PS. La même chose est largement vraie dans les cercles d’appui. Le programme électoral de la FI est un programme hardiment réformiste et progressiste.

Pour ce qui est des fondamentaux de la conception politique, j’ai déjà dit ce que je pensais de la tentation « populiste de gauche ». La citation que j’ai faite de Chantal Mouffe revient clairement à préconiser que le rassemblement populaire ne se fasse PAS autour des couches de travailleurs et de leurs revendications. En apparence, c’est un simple décalage en direction des aspirations des couches moyennes. Y adhérer serait à mon avis un suicide politique, assez comparable à celui qu’a connu le PCI (parti communiste italien) : le grand compromis historique.

En outre, pour ce qui concerne directement les questions d’organisation, dont je n’ai de cesse de répéter qu’elles sont à peu près insolubles, mettre notre centre de gravité politique du côté des couches petites bourgeoises les aggraverait de manière dramatique. Ce sont précisément les petits bourgeois qui ne comprennent pas que l’on puisse pas discuter de tout à tout moment, sur n’importe quel ton et dans n’importe quelles conditions. Les travailleurs, en activité ou au chômage, comprennent qu’il y a des limites imposées par la nécessité de l’action.

Je disais dans mon premier billet sur l’avenir de la FI qu’à mes yeux, les questions d’organisation sont des apories, c'est-à-dire des impasses. Il n’y a pas de solutions parfaitement satisfaisantes. J’ajoutais que je ne me donnerai pas le ridicule, à la fin de la démonstration … de prétendre apporter des solutions satisfaisantes !

Il ne peut pas y avoir de « démocratie » dans une organisation, sauf en un sens très limité.

Une direction (et peu importe qu’on lui donne un nom plus modeste : équipe d’animation et de proposition…), est obligatoirement constituée de peu (oligos) de gens qui exercent un certain pouvoir (archos). Les cercles de bases (les groupes d’appui) ont nécessairement une vie politique. Ils participent aux actions décidées par « le haut », ils prennent également des initiatives, et ils ont des opinions sur la manière dont l’organisation est dirigée. L’idéal serait qu’une partie de la fermentation « d’en bas », ait quelques effets positifs « en haut ». C’est très difficile et cela exige de grandes qualités de maturité, tant « en bas » que « en haut ».

Les « Egos » perturbateurs ne sont pas seulement en haut. C’est aussi, à la base, ceux qui exacerbent les désaccords et manifestent une assurance exagérée quant à leur opinion particulière. Il y a eu des manifestations éclatantes de ce genre de choses au Parti de Gauche à propos des questions « plan A, plan B ». C'est-à-dire qu’à partir d’une position qui est en gros aussi claire que possible depuis 2010, certains ont réclamé toujours plus de tranchant et de précision dans un domaine où, visiblement, on ne pourra ajuster les détails tactiques qu’au dernier moment, en fonction des réactions de l’Allemagne et d’autres nations.

Une difficulté concernant « le haut » peut surgir du fait que notre vie politique se déroule de manière parfaitement ouverte et publique, sous le regard de nos adversaires. Lorsque Jean-Luc Mélenchon déclare, par exemple « Je suis keynésien », on peut penser qu’il entre dans cette déclaration étrange (Maynard Keynes était profondément attaché au capitalisme et en particulier à la LOI DU MARCHE) une part de tactique électorale. Mais si nous, la FI, nous partagions avec Keynes le respect de la loi du marché, tout ce que nous racontons par ailleurs, ce serait du pipeau. Parce que dans la situation actuelle du capitalisme, la loi du marché est antagoniste à toute mesure de progrès social.

Le minimum pour assurer la cohérence d’une organisation, c’est que la direction dise toujours la vérité. On peut être « habile », mais pas trop. Le « haut » doit respecter les militants.

J’en termine, après tant de lignes où l’espoir est mesuré chichement, par quelques très modestes propositions, que j’ai d’ailleurs posées dans la « boite à idées » en dépit du fait que le principe de cette « boite à idée » est discutable : chaque militant est invité à confier à Manuel Bompart ses bons vœux… 

  1. Je pense que les cercles d’appui doivent envoyer leurs délégués à la convention nationale, sans exigence de « parité » et sans tirage au sort. L’exigence de « parité » n’est pas toujours une mauvaise chose, mais beaucoup de féministes la dénoncent, comme humiliante, et en tous cas, il ne faut pas la mettre à toutes les sauces. Les femmes sont des militants comme les autres. Elles ne sont pas des infirmes méritant une « discrimination positive ». Les cercles d’appui envoient le délégué qui leur semble, par sa compétence, sa modération constructive et son implication, le mieux indiqué. Le tirage au sort dans ce contexte n’a aucun sens.
  2. Je crois qu’il doit sortir de la convention nationale une direction nationale provisoire (quelque soit le nom qu’on lui donne) d’une quinzaine de membres qui sera ensuite élue par les militants des cercles d’appui, et le vote peut être étendu à tous les signataires ayant apporté leur appui à la candidature de JLM.
  3. Je crois que cette direction nationale ne doit pas comporter de députés de la FI, parce que ce serait un cumul préjudiciable. En particulier, selon moi, Jean-Luc Mélenchon ne doit pas en faire partie. Il est responsable du groupe de députés, et il reste évidemment l’homme politique le plus important de notre mouvement, mais pour cette raison même, et pour que l’organisation respire, il est préférable qu’il soit à part. D’ailleurs, à titre personnel, j’aimerais beaucoup qu’il s’investisse fortement sur Marseille.
  4. J’ai proposé qu’il y ait un forum de discussion horizontal permettant la circulation des idées et l’échange, dans un esprit constructif et fraternel. Une initiative de ce genre a été prise et se met en place, le Forum de la FI : fifor. Cette initiative n’émane pas de l’équipe nationale issue des élections. Je souhaite que la direction élue que nous aurons bientôt soutienne cette initiative, sans la contrôler. Ce forum doit être modéré par ceux (dont je ne suis pas, je le précise) qui en ont pris l’initiative et sauront s’en montrer dignes.
  5. Le programme électoral « l’avenir en commun » est excellent, mais il doit évoluer : un programme électoral n’est pas le programme d’une organisation. Ce dernier peut être plus court, plus ramassé, plus principiel et voir plus loin que la prochaine élection.
  6. Dans le respect des principes partagés par la FI jusqu’à  présent (qui seront précisés par le programme évoqué ci-dessus) les cercles d’appui doivent avoir toute liberté de prendre toutes initiatives locales, et quand cela a un sens, se regrouper plus largement pour une action commune de plusieurs cercles.
  7. Avec la même restriction que ci-dessus, les militants doivent pouvoir être organisés, dans l'espace politique de la FI, selon d'autres courants : le PG, les communistes insoumis, d'autres encore. Il faudra beaucoup de mesure, de tolérance et de respect mutuel pour que cela tourne à l'avantage de l'organisation, mais c'est peut-être possible, et l'interdire serait pire.

Comme disait un autre, avec humour : « J’ai dit, et j’ai sauvé mon âme »… L’avenir de la FI va se décider dans les semaines qui viennent. J’imagine que la direction de fait, issue de la campagne électorale, peut être tétanisée par l’enjeu, en particulier du fait de l’acquis militant, qui est énorme. Elle a devant elle, nous avons devant nous, la possibilité de construire un outil formidable pour l’émancipation du monde du travail. Cinquante mille militants, convenablement organisés avec ce qu’il faut de discipline et ce qu’il faut de liberté de discussion et d’initiative, cela en fera évidemment le premier « parti » de gauche, de très loin. Ils peuvent, de ce fait même, céder à la tentation du contrôle, de crainte du désordre et des dérapages. J’espère que l’intelligence leur épargnera cette erreur fatale.

[1] Ce fameux « Tout est possible aux audacieux » figure dans une déclaration de Marceau Pivert, militant de la gauche du PS en mai 1936.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.