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Billet de blog 22 décembre 2022

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L'égalité

Liberté, égalité, fraternité, c'est la devise de la République. Mais ces mots sont au loin, aujourd'hui. Qui se soucie de leur sens ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En octobre 2017, Jean Luc Mélenchon, notre candidat à l'élection présidentielle, écarte explicitement la démocratie du fonctionnement de "son" mouvement «Le mouvement n'a pas vocation a être démocratique, mais collectif» déclare-t-il en 2017 à l'hebdomadaire N°1.

Ce mouvement, la France Insoumise, est en 2017 la seule nouveauté politique importante... depuis un siècle, depuis la création du PCF.

C'est en 2016 et en 2017 le nom d'une plateforme destinée à soutenir la candidature Présidentielle de JLM. Cette plateforme comptera jusqu'à 600 000 noms en mai 2017.

En même temps, ce mouvement surgit après quarante ans de reculs politiques profonds : chute des effectifs des partis, chute des effectifs des syndicats, chute des voix de gauche aux élections, reculs sociaux de toutes sortes, triomphe de l'ultra libéralisme, du pouvoir des actionnaires et montée formidable des inégalités de rémunérations et de patrimoines.

Les années 1970-1980 sont celle des tentatives de renouveau théorique, dans le camp de l'émancipation. C'est un moment où le trotskisme, qui affirme porter la continuité politique du marxisme et du léninisme, est au plus haut. À partir de 1981, le trotskisme décline, absorbé par son contraire, le mitterrandisme.

La France Insoumise surgit après quarante ans de désert théorique. Les militants (qui en septembre 2017 sont encore pas loin de cent mille), ne voient pas malice à la déclaration de JLM : la démocratie ? Bah ! C'est pour "les vieux, coincés dans leurs schémas...".

Aujourd'hui, il y a crise ouverte dans la FI (qui doit compter, je crois, entre dix et vingt mille militants de terrain) tant à la base qu'au sommet.

Certains, et non des moindres rapprochent la détestation de la démocratie dans le mouvement et une position opposée à la démocratie dans la République, qui, elle s'apparenterait à une position autoritaire de principe, ou fasciste.

Ruffin fait le lien quand il demande : «À quoi ressemblera notre VIème République ?" Cette question suscite l'indignation de militants fidèles ! Accuser Mélenchon de souhaiter un régime autoritaire, dictatorial ? Quel scandale !

Pourtant, je n'ai entendu encore personne m'expliquer pourquoi et comment on pourrait être favorable à une République démocratique et opposé à un mouvement démocratique.

Les arguments de JLM contre la démocratie dans le mouvement : bal des égos, disputes vaines, divisions... sont mot pour mot ceux des adversaires de la République Démocratique. L'Action Française les employait dans les années trente. Mot pour mot.

Cette controverse assez confuse présente un avantage : elle nous renvoie à 1789 et à ce que l'idée de démocratie avait d'extraordinaire, et même d'extravagant. La question s'est vite concentrée sur une autre, qui en découle : le suffrage universel (qui ne fut complètement instauré en France qu'en 1945 avec le vote des femmes).

Le suffrage universel renvoie, lui, directement à une autre idée scandaleuse : l'égalité ! Poser que tout citoyen peut voter, que son vote compte pour UN, qu'il soit riche ou pauvre, instruit ou non, né d'une grande famille ou de paysans sans terre, jeune (au dessus de 20 ans, ou de 18 ans) ou vieux, expérimenté ou non, admiré ou méprisé, c'est une utopie, une exigence extraordinaire, qui a été longtemps combattue avec les meilleurs arguments. C'est un idéal contraignant.

Ici, je repense à mon expérience de mathématicien. Il se présente dans ce milieu, comme dans beaucoup d'autres (par exemple en musique) des inégalités fantastiques de compétences et de talents. Pourtant... Dans ma jeunesse, j'ai assisté à un cours de Claude Chevalley. Chevalley était un grand mathématicien ("Bourbaki") un grand créateur. Lors de son cours, il a commis une erreur de calcul. Un étudiant la lui a fait observer. Chevalley a corrigé, il a refait le calcul.

Autre souvenir : à Orsay, j'ai suivi le cours de géométrie différentielle intrinsèque de Paul Malliavin. Au détour d'un argument il affirme que telle "intégrale est convergente". Un étudiant lève la main et dit : "Pouvez-vous le démontrer ? Je ne vois pas pourquoi elle l'est". Malliavin  a passé vingt minutes au tableau à démontrer la convergence ! Il n'était pas "de gauche" ! Fils du fondateur de Rivarol, il partageait les idées ultra réactionnaires de son père. Mais en mathématiques, il était démocrate (j'ai adoré ce cours et j'ai été deuxième sur la liste des reçus...).

C'est à dire qu'il n'y a PAS d'égalité, mais que celui qui pense (peut-être à juste titre) être supérieur, doit en convaincre ses interlocuteurs.

La démocratie renvoie à l'égalité, et l'égalité renvoie au débat contradictoire.

Un mouvement politique se donne les moyens d'une action collective. Un mouvement politique qui bannit le vote des militants est un mouvement qui nie le principe même de l'égalité, le principe même de la démocratie, le principe même de la République.

Si par ailleurs, comme c'est le cas de la France Insoumise, ce mouvement se veut progressiste, émancipateur, se veut du côté des exploités, il y a une contradiction violente. Ce sont les effets de cette contradiction qui sont à l’œuvre dans la présente crise.

Ces effets ne s'expriment pas encore clairement, ils prennent le biais d'une dispute à propos de la gifle commise par Adrien Quatennens et de ses conséquences : faut-il le suspendre du mouvement, ou l'en exclure ?

Que l'on me permette de soulever un autre aspect de la question. En giflant son épouse, Adrien Quatennens a cru qu'un geste violent pouvait couper court à une dispute. Il s'est lourdement trompé. Mais le même Adrien avait accepté, peu auparavant, d'être nommé par Jean-Luc Mélenchon dirigeant de la France Insoumise, sans la moindre concertation avec les militants de ce mouvement. C'est à mes yeux une autre violence. Quatennens a été lui-même la gifle que Mélenchon a donné à son mouvement.

Tout se paie.

Nous devons, vite, fonder démocratiquement la France Insoumise, car ni le PCF, ni le PS, ni EELV sont capables de s'opposer à Macron, et au RN. L'accès au pouvoir d'une coalition dans laquelle figure une gauche fermement anti libérale et fermement démocratique est une nécessité absolue. C'est une question de vie ou de mort pour la démocratie.

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