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Billet de blog 25 octobre 2017

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Clef de voûte ?

L'un de mes contacts sur ce site m'a adressé un mail perso dans lequel il présente différentes objections aux remarques critiques que je fais au cours que JLM imprime à notre mouvement, la France Insoumise. Voici la fin de son message :

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(...) Comme tu vois on peut prendre notre histoire de l'Europe par différents points de vue, en fonction de sa sensibilité particulière et de son vécu familial.  Aussi pourquoi monter en épingle cette sortie de JLM, que MOI je comprends, mais que tu avais le droit de ne pas approuver sans en faire tout un fromage qui alimente nos ennemis ? Je trouve que nous sommes particulièrement doués pour tirer contre notre propre camp. Trouve moi pour l'instant quelqu'un de mieux que l'affreux JLM ?

Bien sûr, ici le mot « affreux » est une pointe ironique à mon endroit.  Je voudrais répondre à mon tour à trois aspects que « JCE » (je vais le désigner ainsi) soulève.

Tout d'abord, dans un passage que je n'ai pas cité, JCE tente encore de justifier ce que JLM dit de la Lituanie « ce n'est pas mon monde ». Il le fait en prétendant que ce pays est gouverné très à droite et qu'on y célèbre des nazis. Au temps où l'on avait quelques exigences de type réthorique (l'art du discours), on aurait immédiatement écarté cet argument comme à côté de la question. Que l'on célèbre les nazis en Lituanie, c'est largement faux, mais de toutes manières, on ne parle pas ici de couleur politique, on parle d'histoire et de géographie. Mélenchon parle de l'Europe. C'est un homme du sud. Ses quatre grands parents sont, pour trois d'entre eux, espagnols et le quatrième, italien mais cela ne l'autorise pas à ignorer l'histoire et la géographie de notre continent. Ni la population du Nord de la France, composée d'une importante part d'immigration polonaise, et la Lituanie n'est guère, dans l'histoire, qu'un bout de Pologne un peu plus oriental.

La Lituanie fait « partie de notre monde », quand bien même nous n'approuvons pas la politique de son gouvernement, et certaines obscénités de certains de ses habitants. Sinon, il faudrait exclure de « notre monde », l'Allemagne (où l'extrême-droite entre en force au parlement), l'Autriche, la Tchéquie ... l'Italie de Berlusconi ... l'Espagne de Rajoy.

Concevoir l'Europe à partir des frontières de l'empire romain est extrêmement ridicule, il serait plus pertinent de concevoir l'Europe à partir des invasions germaniques, les Francs (qui ont donné à notre pays son nom) les Wisigoths (qui ont peuplé l'Aquitaine et l'Espagne) les Burgondes (qui ont donné son nom à la Bourgogne), les Lombards (qui ont peuplé le nord de l'Italie) ... Mais cela aussi serait mille fois trop simplificateur.

J'en viens à des questions plus importantes pour notre actualité. Je parle de ces accusations : il parait que j'alimente nos ennemis et que je tire contre notre propre camp.

Il y a là, une fois de plus, une faute de temps. Tu aurais raison, JCE si nous étions dans l'époque précédente, février 2016, mai 2017. Ces métaphores guerrières étaient alors justifiées. La logique de la cinquième République veut qu'il faille élire UN HOMME. Nous avons soutenu le seul qui portait une alternative émancipatrice, et il la portait bien. Nous avons eu raison, je n'ai pas le moindre doute à ce sujet. Ceux qui canardaient notre candidat étaient bel et bien, sinon des ennemis, au moins des adversaires.

Comme d'autres, JCE, tu n'as pas encore compris que la période est complètement différente. Notre candidat a été battu, il est arrivé quatrième, il a obtenu un peu plus de 7 millions de votes, et nous n'avons obtenu que 17 députés (sur 577). Le parti socialiste s'est effondré, il est passé de 280 à 30, c'est à dire qu'il a perdu 250 députés, et nous n'en avons pour nous que 17.

Cette période est close. JLM et ses 16 camarades constituent l'opposition de gauche. Mais il y a une autre réalité, qu'on ne découvre pas sur les statistiques du ministère de l'intérieur : près de 600 000 citoyens ont appuyé la candidature de JLM et près de 40 000 militants, sur le terrain, ont fait cette campagne, contre nos adversaires et en particulier contre l'univers médiatique à peu près unanime. Que deviennent, dans la nouvelle période ceux qui ne l'ont pas fait roi, mais qui l'ont mené où il est allé, à presque 20% des suffrages exprimés ? Que deviennent ces 40 000 militants ? 

Et maintenant, nous avons devant nous probablement cinq années. En effet, il n'est pas strictement impossible que l'on assiste à un changement politique avant : il est déjà arrivé que le Président de la République soit obligé de dissoudre l'Assemblée Nationale, même quand elle soutient sa politique. De Gaulle l'a fait en Juin 1968, avec succès, et Chirac l'a fait en 1997, et il a dû appeler Lionel Jospin au poste de premier ministre. Mais ces dissolutions faisaient suite à des évènements profonds et non planifiables. Je rappelle qu'on ne déclenche pas un mouvement social long et profond en appuyant sur des boutons ou en lançant des mots d'ordre. Le peuple travailleur n'obéit à personne et se met en mouvement, toujours, de manière imprévue.

Durant ces cinq années, il y aura des grèves et des manifestations, pour s'opposer aux mesures dramatiques que prend et que prendra le gouvernement. Sauf si ces mouvements atteignent un niveau extraordinaire, Macron ne reculera pas.

Mais les travailleurs vont résister, avec leurs syndicats et en dehors de leurs syndicats. Et les traditions de la classe ouvrière française sont telles que les « Réformes » de Macron seront freinées, mal appliquées, tournées, sabotées de l'intérieur.

Pendant ces cinq années, si Macron va au terme de son mandat, il faut que la conscience de classe des travailleurs progresse. Tu te souviens que plus de la moitié des électeurs ne votent pas, et qu'une bonne partie des ouvriers et petits paysans qui votent, votent pour le FN. Notre immense marge de progression est là.

C'est à partir de ces éléments qu'il faut poser la question : quel est le rôle des 40 000 militants des groupes d'appui ?

La convention telle qu'elle est organisée les laisse complètement à part, en tant que sujets politiques.

Ce que le dispositif prévoit c'est que JLM décide seul ou entouré de quelques uns qu'il a choisi. Des cervelles de linottes (petit oiseau réputé avoir une petite cervelle) répondent : « Mais il n'y a rien à décider : on a le chef, on a les dirigeants, on a le programme ». Ah bon ? Proposer du haut d'une tribune une manifestation d'un million sur les champs Elycées avec la CGT, ce n'est pas DECIDER ? Les « Casserolades », cela n'a pas été DECIDÉ ? Pour le 18 novembre prochain, iln'y a rien à DECIDER ?

Le tirage au sort pour la convention, qui l'a DECIDÉ ?

JLM a donc décidé que la FI serait un club de supporters, et non un mouvement militant, car les gens à qui on ne donne aucune prise sur les décisions ne militent pas, ils suivent.

Je pense que c'est un mauvais choix. Mais je ne ressent aucune urgence à le démontrer « intellectuellement » (Alberteins à fustigé comme il convient--c'est traditionnel, les intellectuels). Vous le constaterez vous-même. Pour le moment, il y a certainement une majorité de « suivistes », mais la vie les instruira, et je ne suis pas pessimiste. Même s'ils passent par des moments de découragement, les erreurs du chef et les coups de Macron les renverront vers l'activité militante dans les mois qui viennent.

J'en viens pour finir, JCE à ta dernière phrase : qui, à la place de JLM ?

Dans ce fabuleux entretien à N°1HEBDO, Jean-Luc Mélenchon se dit la « clef de voûte » du mouvement.

Ce terme architectural remonte au moyen âge, et relève d'une science appelée la stéréonomie, art de tailler les pierres pour qu'elles tiennent ensemble, même sans ciment ou autre liant, pour des raisons simplement géométriques1. la clef de voûte est celle qui, tout en haut, fait tenir l'ensemble en annulant toutes les pressions. Si, mal insérée, cette pierre unique saute, l'édifice (au moins la voûte) s'écroule.

L'image évoque-t-elle une « nouvelle manière de faire de la politique » ? Je ne le pense pas.

De nos jours, on construit des édifices bien plus grands et plus hauts que ne l'étaient les Eglises romanes, sans clefs de voûte, avec des verticales et des horizontales. C'est ma réponse à ta question.

Nous avons besoin d'un mouvement de militants, mouvement adulte, militants pensant par eux-mêmes, avec des relations verticales et horizontales des responsabilités tournantes, le tout sous le contrôle des citoyennes et des citoyens engagés sur le terrain.

Nous n'avons pas besoin d'une clef de voûte, ni d'un chef qui décide de tout.

JPB, 25/10/17

1On trouvera tous les détails sur cette science dans mon livre Homo Mathematicus, Vuibert, 2001, page 121

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