Cet argument me renvoie à la discussion sur les « Primaires ». On nous disait que Mélenchon devait y participer. Nous répondions que c'était impossible, parce que nous ne saurions promettre de soutenir le vainqueur ni croire que les participants nous soutiendraient si nous gagnions. Nos contradicteurs disaient alors : « Mais Mélenchon va gagner (ou peut gagner) ! ».
Cela ne nous convainquait pas, parce qu'un choix de principe ne peut être basé sur un pronostic.
C'est vrai aussi pour le second tour de cette présidentielle.
Je dois donc dire : les deux candidats, Macron et Le Pen, peuvent être élus, et dans les deux cas, je serai dans l'opposition. Comme je suis totalement opposé, pour des raisons différentes, à ce qu'annonce l'une et à ce qu'annonce l'autre, je ne voterai ni pour l'un, ni pour l'autre.
C'est une position toute naturelle, simple, logique et honnête. Mais on m'objecte : « Pardon ! Je préfère être dans l'opposition de Macron que dans cette de Le Pen ».
Ce n'est pas, à me yeux, un argument aussi fort qu'il y paraît.
Des commentateurs nous parlent de tanks broyant les os, d'autres de muselage de la presse, d'emploi de l'armée, de mise en prison, de camps. Nous aurions eu (nous avions déjà) des fadaises du même type si Mélenchon avait été au second tour : la France serait Cuba, Staline serait au pouvoir, ou plutôt Poutine, le collectivisme, la ruine, le goulag etc.
En réalité, oui, si Le Pen est élue, un grand danger pèsera sur la démocratie. Avec des millions de citoyens nous combattrons pour la défendre. Ce sera difficile, il faudra, par dessus tout, éviter les désordres et les violences inutiles qui ne seront bons qu'à donner des prétextes à la réaction.
Les révolutionnaires du NPA (par exemple) nous répétaient qu'une révolution sociale n'arrive pas par les urnes. Il en est de même de la réaction la plus noire. Une élection ne suffit pas. Avant que Hitler ne soit élu chancelier, les troupes des SA parcouraient les rues des grandes villes et brisaient les vitrines des commerçants juifs, mais aussi des permanences syndicales et des partis de gauche. Durant ces années le mouvement populaire a été brisé.
Les classes travailleuses en France ne sont pas brisées. On peut observer dans la rue (mouvement contre la loi El Khomry) comme dans les urnes (succès de Mélenchon au premier tour dans les villes et les quartiers populaires) qu'elles sont au contraire sur une courbe ascendante.
Ce qu'il faut ajouter, c'est que si Macron est élu, la démocratie sera certainement et immédiatement en danger également.
Macron, c'est l'UE, c'est l'Otan, c'est le Medef, de manière encore plus crue que ce n'était le cas avec Hollande. Nous avons crié dans les rues quand Hollande a voulu la déchéance de nationalité, et quand Valls a utilisé le 49-3.
Macron, lui, annonce qu'il va commencer par les ordonnances, c'est à dire un degré de plus dans le déni de démocratie.
Le mouvement contre la loi travail El Khomry a été long et dur. Croit-on que les classes laborieuses vont laisser appliquer le programme du Medef sans réagir ? Croit-on que le « Petit morveux de Rotschild » (comme certains l'appellent déjà) va se déballonner sans rien tenter ?
Que Le Pen soit élue, ou Macron, dans les deux cas, ce sera le chaos social et politique dans ce pays. Je risque une prédiction : avant la fin de son mandat, l'élu(e) fera appel à l'article 16.
Partant de ces réflexions, que dois-je voter ? Cela n'importe pas tellement, car la question « et si tout le monde fait comme toi ? » n'a pas de sens. Je ne suis pas « tout le monde ». La bonne question c'est : « Est-ce que Mélenchon aurait dû (ou devrait) donner une consigne ?». Parce que là, on peut avoir, dans une certaine mesure, un effet collectif.
Je pense qu'il ne doit pas donner de consigne, car, au regard de ce qui vient, de ce qui se passera si Macron est élu, nous ne devons avoir aucune responsabilité, fut-elle enveloppée d'un suaire nommé « front républicain ».
Ceux qui nous appellent au vote Macron sont d'abord ceux qui ont voté Macron au premier tour. Et quelques autres. Les électeurs les plus lucides de Hamon savaient qu'en ne votant pas Mélenchon, ils travaillaient à envoyer Macron au second tour et savaient qu'ils voteraient pour lui. Les électeurs de Fillon peuvent, comme nombre de leurs dirigeants, comme Estrosi, rejoindre Macron sans souçi... entre ultra réactionnaires.
Pour nous, c'est différent. Nous avons créé, pour la première fois dans l'histoire de France, un mouvement progressiste intelligent, inventif, déterminé, qui a pénétré les quartiers populaires et les grandes villes. Il est hors de questions que nous trahissions ces gens en leur demandant de voter pour un de leurs pires ennemis (l'autre étant Le Pen).
C'est nous qui, de toutes façons, défendrons les conquêtes sociales et la démocratie quoi qu'il arrive.