De lui-même, en 2019, à deux reprises, Jean-Luc Mélenchon s’était comparé à Sisyphe, ce roi de Corinthe condamné, dans les Enfers, à rouler un lourd rocher au sommet d’une montagne, d’où il retombe éternellement. Condamné, donc, à répéter un échec.
A-t-il mesuré ce qu’impliquait cette comparaison ?
Il a déclaré explicitement : « Quand le rocher est en bas, on recommence. »
Sur la faute qui a valu au roi de Corinthe ce châtiment, les auteurs divergent (construction d’un gigantesque palais, viol d’une vierge, divers défis aux dieux…) mais ils s’accordent sur l’hybris, c’est à dire une vanité démesurée.
****************
En ce début d’année 2024, un étrange climat règne au sein du mouvement de la France Insoumise, comme du Parti de Gauche et plus largement, de la NUPES.
Les instances (nombreuses dans un dispositif difficile à déchiffrer) mises sur pied par Manuel Bompard, avec l’accord de Mélenchon, excluent des militants FI, à tour de bras, dans le Nord, dans le Vaucluse, dans les Bouches du Rhône et en d’autres lieux.
Ces instances … nul statut, nul vote n’en fixent l’existence et le fonctionnement. Elles seraient composées de « tirés au sort », mais, bizarrerie statistique, on retrouve parfois le même nom tiré au sort dans cinq instances différentes (cas de Richard Béninger, ancien directeur du journal « l’Humanité ») !
Dans ce climat, non seulement le mouvement ne se construit pas, mais il se délite. Certains « historiques » s’en inquiètent. Ils ne sont pas non plus à l’abri de sanctions. Raquel Garrido a été mise au piquet. Tout récemment, au local du P.O.I. où se tenait une assemblée parisienne de militants, Danielle Simonnet a subi une tentative d’intimidation de la part de Sophia Chikirou.
****************
Le 27 janvier, JLM a accordé un entretien au Figaro.
J’en extrais quelques morceaux.
* JLM déclare qu’ils « se voit bien vivre encore cent ans, grâce aux progrès de la science ». Il s’agit d’une plaisanterie... mais les philosophes ont établi que le premier pas de la sagesse humaine consiste à ne pas oublier que l’on va mourir.
* À la question : sera-t-il tête de liste de la liste FI aux européennes il ne répond pas, mais évalue que si alors la liste passait devant les autres listes de gauche cela « tuerait le match » pour 2027.
* Il n’exclut pas d’être candidat en 2027. Il considère que la population se radicalise et que le mouvement paysan manifeste l’aspiration à changer le système.
* S’il considérait auparavant que la Nupes était « le chemin le plus rapide » vers la victoire en 2027, il a maintenant pris acte qu’il faudra faire sans.
* Il invite fermement tout ceux qui contestent tel ou tel aspect de ses déclarations ou de ses actions (c’est à dire ceux qui demandent un fonctionnement démocratique du mouvement) à ficher le camp :
« Tu es d’accord avec la stratégie du mouvement, oui ou non ? Si tu n’es d’accord avec rien, et que tu dis que je suis un tyran, qu’est-ce que tu fais encore là ? Moi quand je n’étais plus d’accord, je suis parti du PS !».
* Ruffin...«fait de bonnes choses...mais parfois des erreurs...»
****************
Que dire ? Tout ceci ressemble à un naufrage de la pensée. Pourquoi cent ans ?
Dans les hommages ne dit-on pas « Hourrah ! Qu’il vive mille ans! ».
L’allusion aux élections européennes sent le soufre. Tout indique qu’elle briseront le mythe d’une France Insoumise dominant « la gauche » et que c’est cette échéance qui rend Manuel Bompard aussi nerveux.
Une quatrième candidature à la présidentielle ? Remonter encore une fois le rocher, pour qu’il retombe ?
Oui, la population se radicalise. Jean-Luc Mélenchon est-il le seul homme politique à ne pas voir que c’est le Rassemblement National, du fait de la division des forces de progrès, qui est en position d’en profiter en 2027 ?
Il y a la Nupes, ou du moins l’aspiration à l’union, et il y a Mélenchon. Duquel des deux peut-on dire qu’il « faudra faire sans » ?
La phrase qui est censée fustiger les frondeurs pousse la mauvaise foi jusqu’à la dérision.
****************
JLM invite tel ou tel de ses partisans, s’il manifeste un désaccord, à s’éloigner. Beaucoup l’ont fait : Claude Debons, Charlotte Girard, Jacques Généreux, Corinne Morel-Darleux, Liêm Hoang Ngoc… la liste est interminable.
Ceux qui restent sont des survivants : Danièle Simonet, Raquel Garrido, Alexis Corbières, Eric Coquerel suivent toutes ses initiatives politiques depuis vingt et trente ans, ils ont pris des responsabilités dans toutes les structures qu’il a créées. Clémentine Autin, journaliste, féministe, entrée en politique par le PCF, est plus indépendante, et Ruffin, lui, journaliste, cinéaste, auteur, élu député, deux fois, avec le soutien de toute la gauche, ne lui doit rien (c’est sans doute pour cela qu’il l’épargne).
À l’extrême opposé, on trouve Manuel Bompard, qui n’a pas existé politiquement avant sa rencontre avec Mélenchon, en 2008, dans une librairie, et qui n’existe, depuis, que comme la voix de son maître, élu député sur la circonscription laissée par JLM.
S’il n’en reste qu’un, ce sera lui.
Ingénieur dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (si ce n’était pas vrai, il faudrait l’inventer!) il a construit une « usine à gaz » censée maquiller le refus de toute démocratie. Cela doit fonctionner par consensus et tirage au sort. Résultat, la FI n’est, trop souvent, que conflits, diatribes et expulsions.
Plus loin encore, dans le registre de la violence, Sophia Chikirou. Politiquement, elle est passée du PS à « La gauche moderne » de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’état du gouvernement Fillon. Elle tente d’obtenir le soutien de l’UMP pour une candidature aux municipales de 2008 (sans succès). Elle rencontre Mélenchon à cette époque. Elle crée le cabinet de communication Mediascop en 2011, et participe à différentes opérations en Amérique du Sud, puis, en 2012, aux campagnes de Jean-Luc Mélenchon. Elle participe en 2017 à la création du site d’actualité Le Media et en assure la direction jusqu'à son départ un an plus tard, dans un contexte de crise sociale, éditoriale et financière. Elle est, depuis, toujours au premier plan du combat contre les frondeurs. Perpétuellement au cœur d’innombrables conflits financiers et humains, accusations d’homophobie, harcèlements, violences verbales...
****************
Jean-Luc Mélenchon mérite d’être ainsi rapproché d’un autre mythe grec, celui de Cronos. Fils d’Ouranos, Cronos a émasculé son père. En réponse il a été averti que l’un de ses fils lui rendrait la pareille.
Pour empêcher que cela soit, Cronos a dévoré ses enfants.
Mais à l’un d’eux, sa mère a substitué une pierre. Ainsi Zeus vécu et renversa Cronos.
Je laisse le lecteur choisir les identifications… qui s’imposent !