Commençons par l’Acropole ou plus largement et en accéléré la civilisation grecque. Comment un tel petit pays a-t-il pu, il y a plusieurs millénaires, inventer le théâtre, la démocratie, la philosophie, une architecture et une organisation urbaine adaptées…et bien d’autres choses encore. Comment ces lumières ont-elles pu s’éteindre pendant de longs siècles ? La civilisation humaine aurait-elle une évolution qui ne serait pas linéaire ? Il nous reste bien sûr l’Agora qui est un vernis historique incontournable de tout projet d’espace public contemporain. Pourtant, il n’est pas si courant aujourd’hui qu’un philosophe local exprime ses doutes publiquement à côté du supermarché, du parking et de l’aire de jeux pour enfants. Une civilisation a pu exister (il en est d’autres comme celle des Incas) et en partie disparaître sans laisser de leçons à celles qui l’ont suivie. A méditer pour un urbaniste qui intervient sur des villes et des société urbaines : il faut avoir la conscience que nous ne sommes que de passage…
L’Acropole témoigne d’une organisation urbaine, politique et sociale largement étudiée depuis longtemps. Mais à quelques centaines de mètres, plusieurs quartiers des années 50 à 70 sont profondément dégradés, probablement en raison de la crise économique. Des immeubles de 5 à 8 étages en partie vides, des squatts, des commerces peu actifs en rez de chaussée, des rues défoncées, sans trottoirs, où l’assainissement lui-même n’est pas vraiment assuré, où les poubelles débordent. Ces quartiers jouent un rôle puisqu’ils accueillent les immigrés et l’on aperçoit de temps en temps quelques foyers positifs, issus d’initiatives publiques ou privées redonnant vie à des micro-lieux : une placette ici, un bistrot là…Pour l’urbaniste que je suis, qui travaille depuis longtemps sur la rénovation des grands ensembles ou des centre-ville dégradés, le fait qu’un quartier central de cette dimension soit dans un tel état interroge. Dans des sites où généralement l’action privée est peu présente car elle n’y trouve pas d’intérêt, l’action publique est obligatoire. Mais elle est difficile et complexe et nécessite un temps long. Y a-t-il à Athènes aujourd’hui la volonté politique et la capacité financière sans lesquelles le quartier ne s’améliorera pas naturellement ? En France, nous agissons avec plus ou moins de bonheur depuis plus de 30 ans sur les grands ensembles dans des conditions sociales proches, avec des méthodes qui ont évolué mais ne sont toujours pas d’une totale efficacité, malgré les sommes astronomiques mobilisées par les pouvoirs publics. Combien d’années faudra t’il pour redonner du dynamisme ou de la qualité aux quartiers d’Athènes en question ?
Et si, sans le dire ils étaient laissés à eux-mêmes, à la dérive ? Il ne s’agit pas de donner des leçons aux grecs qui pourraient au contraire nous apprendre comment survivre en temps de crise réelle. Des propos entendus : « on en a marre de l’Acropole, c’est bon pour les touristes ! Ce n’est pas là que l’on vit, cela ne nous représente pas ! ». Encore un motif d’étonnement pour l’urbaniste français : la Fondation Stavros Niarchos a commandé et financé un immense complexe conçu par Renzo Piano et implanté sur des terrains situés entre le centre et la mer. Il s’agit de la création d’une colline artificielle comportant un ensemble Opéra, Bibliothèque nationale, parc, Centre culturel et éducationnel. On est loin de la construction irresponsable de centres commerciaux hors les murs destinés à faire de l’argent, même s’ils vident les cœurs des villes françaises. Le lieu, imaginé de toute pièce, est devenu emblématique pour les athéniens qui s’y retrouvent symboliquement et physiquement : un autre centre en quelque sorte…Et cela marche, que ce soit en raison de la qualité même des architectures et des programmes, de l’ambiance du parc, de la création d’un promontoire duquel on découvre la ville à 360°. Et cela interroge. Fallait-il s’intéresser plus au centre dégradé, voir comment lui redonner des qualités au lieu de créer un centre ex nihilo à l’extérieur ? En un temps record une Fondation privée a construit un lieu aux portées autant urbaines que politiques, économiques ou culturelles. Cela marche et une des leçons à en tirer est moins de se perdre en conjectures que de reconnaître les vertus d’un pragmatisme qui recherche les chemins les plus pas seulement urbain au sens des réseaux ou des formes urbaines. Il convoque l’économie, la psychologie, la politique, les plus efficaces dans la situation spécifique dans laquelle le projet s’inscrit. Le contexte dans ce cas n’est, l’humanité … le temps et les choix. Que peut-on faire dans une temporalité opérants raisonnable ? Que doit-on choisir de réaliser pour que le résultat soit réel et non une illusion par rapport à des problèmes qui seraient ailleurs ?
L’exemple d’Athènes interroge certains lieux communs urbains qui ont la vie dure : « le patrimoine est le substrat à partir duquel tout projet doit se penser ; ce que fait le public est bien, le privé n’est là que pour faire de l’argent ; il faut coûte que coûte réhabiliter… ». Il interroge aussi les politiques urbaines conduites en France et notamment la nécessité de construire des stratégies adaptées à la complexité des contextes et non d’appliquer des méthodes éprouvées ailleurs.
Texte à paraître dans le numéro 19 de la revue "Tous Urbains" (PUF Ed.)