Comme si le printemps des villes arrivait, les nouvelles réalisations fleurissent, les transformations se multiplient.
Quelle ville européenne n’affiche sa renaissance, son dynamisme, son ambition ? Même les villes asiatiques ou d’Amérique latine ne sont pas en reste, on pourrait même dire surtout elles, qui ont aussi inscrit l’action urbaine dans leurs nouveaux gènes politiques. Dans les prochaines années des lignes de tram seront inaugurées, des boulevards, des rues, des places seront aménagés, des équipements publics tout neufs vont voir le jour, de nouveaux logements, des centres commerciaux... On ne peut guère critiquer le fait que la politique se soit emparée du sujet de l’urbain, des pays du Nord à ceux du Sud, les élections à présent donnant le rythme des études et des réalisations. On ne peut être non plus hostile à ces améliorations dont nous allons bénéficier dans notre vie quotidienne.
Mais faut-il vraiment, dans chaque nouvelle réalisation, cette profusion de matériaux induite par le dessin systématique de lignes séparatives entre les usages ? Faut-il de 4 à 6 lignes de bordures de granit ou de calcaire de 20 à 40 centimètres de large pour une rue, jusqu’à 8 lignes pour un tram ? Faut-il cette fréquente profusion de mâts d’éclairage, ces alignements de poteaux hors d’échelle? Ils montrent que l’on recherche moins la qualité de l’ambiance nocturne que l’effet produit par un mobilier supposé chic. Or il est souvent inconfortable, il envahit le paysage de la rue et représente une part importante des budgets publics. Faut-il certaines transformations d’espaces dont on perçoit que le but était de faire œuvre mais qu’elles ont si mal vieilli que l’on se prête à comprendre les utilisateurs qui s’en sont vite détournés. Est-il bien judicieux de réaliser un projet prestigieux et cher à un endroit, sous le prétexte de marquer son passage ou son temps, d’être « moderne », et de ne pas améliorer le reste du territoire. Or les villes européennes, avec leurs grands ensembles de périphérie ou leurs zones pavillonnaires, celles du Sud et leurs vastes quartiers d’habitat informel, mériteraient qu’une attention d’autant plus forte soit portée sur ces sites qu’elles y concentrent les problèmes les plus difficiles. Faut-il que chaque commune ait sa médiathèque, faut-il même construire toujours un nouvel équipement public et ne pas chercher à mieux utiliser ce qui existe ? Les écoles sont closes quatre mois par an, elles sont fermées le soir. Ne peuvent-elles servir alors de salles de travail pour des associations, de salle de lecture, de lieu pour un usage public ? Ne peut-on faire l’effort de s’attaquer à faire fonctionner mieux ce qui existe plutôt que de suivre la facilité qui consiste à chaque fois construire du nouveau ? Là encore des budgets importants sont en jeu.
Et si les notions de simplicité, de justesse, de pertinence étaient des marques de la qualité, plus que celles de visibilité, d’outrance, de nouveauté à tout prix ? La créativité trouve autant matière à s’exprimer en valorisant déjà ce qui est là et en le transcendant. En ce sens, Paris Plage continue à être une initiative remarquable. Nous n’avons pas besoin de ces kilomètres de bordures cossues pour rendre un site efficace, agréable, poétique. Certaines réalisations d’Amérique latine nous donnent à cet égard des réponses dignes d’être méditées. Comme le Transmilenium à Bogota, bus qui circule sur un site dédié réalisé directement sur la chaussée de l’autoroute. Il diminue de fait la circulation des voitures et n’a nécessité qu’une séparation et des stations d’ailleurs très confortables et efficaces. La modernité n’est pas que dans ce qui est neuf. En se contentant de propositions plus simples, on dégage des budgets pour mettre l’argent ailleurs, sur des thèmes, des problèmes plus cruciaux. Dans les années 60 et 70 en Europe occidentale, on équipait les pays et investissait souvent sans compter sur ce qui allait faciliter les déplacements automobiles. A présent, le développement urbain a remplacé l’approche fonctionnaliste et c’est heureux. Faut-il pour autant ne pas se préoccuper de ce qu’est le juste projet, de ce qu’il convient de dépenser au regard d’une ambition raisonnée, fondée sur la vision d’une dépense publique intelligemment ventilée? Certaines villes d’Amérique latine comme Lima auraient intérêt à tirer les leçons de cette histoire passée. En effet, elles ont investi ces dernières années des sommes colossales dans la construction d’infrastructures autoroutières au détriment d’un travail de fond sur le quotidien de leur territoire, qui représente pourtant l’essentiel de la superficie urbanisée, notamment les quartiers pauvres,
Les temps changent. Les difficultés financières des collectivités, l’attention au développement durable obligent à réinterroger nos manières de faire et de concevoir l’évolution. Et si un contexte peu amène a priori était l’occasion de régénérer les pratiques et les choix, de retrouver un pragmatisme éclairé ? Il n’est pas obligatoire de remettre à neuf tout ce que l’on touche. On peut réutiliser, recycler, améliorer et certaines initiatives dans les pays du Sud sont riches d’enseignement. Il n’est pas nécessaire de tout aménager. On peut seulement transformer l’usage sans coût notable. Toutes les villes ne peuvent porter l’ambition illusoire d’être de stature internationale. Elles ne sont pas toutes obligées de créer un Musée Guggenheim. Ne mettons pas fin à ce qui est engagé et qui est essentiel au développement d’une société devenue largement urbaine. Mais replaçons le dans une vision politique où c’est bien le contexte qui guide les choix et non l’habitude, la mode ou l’application du savoir-faire, quand ce ne sont pas les intérêts particuliers.
Article paru dans Alter Architectures Manifesto 2012, Infolio, sous la direction de Thierry Paquot et d'Yvette Masson