
Un pas de côté budgétaire va être nécessaire par rapport aux nouveaux enjeux qui se seront révélés primordiaux. Et l’on mesure l’importance des collectivités locales dans cette évolution. Une conséquence positive sera de redonner des marges pour financer ce qui apporte au bien commun, aux nouvelles priorités qu’il va bien falloir choisir. On parlait voyages, hubs, vitesses de déplacement, Route de la Soie. Et on finançait des infrastructures routières, des contournements, des rondpoints. On est à présent immobile, à l’arrêt chez soi. On parlait cœur de l’Europe, bâtiments d’exception conçus pas des stars architectes, villes intelligentes. On y mettait les moyens, au risque de plomber les finances publiques. On se demande comment trouver des masques pour ceux qui, chaque jour, nous soignent.
Un thème est récurrent, celui du choix des sujets sur lesquels devront être mis à l’avenir l’énergie et l’argent. La situation, comme évoqué précédemment, change, le contexte n’est plus le même. Il va en effet falloir l’analyser, partager les résultats de ces réflexions, débattre de ce qui sera à présent devenu prioritaire. En ce sens, les prochains mois, les années qui viennent devront être remplies, localement et globalement, de discussions, d’argumentations, de lieux d’échange, de dispute parfois. De ces remises en cause probables devront être tirées des priorités, des décisions puis des actions sur lesquelles devront porter les choix budgétaires, lesquels du coup seront, devront être revus, reformulés, adaptés.
Bêtisier : les coussins berlinois. Les Départements ont de l’argent et des services spécialisés dans la voirie. Il existe encore quelques virages pour lesquels, en voiture, on est obligé de ralentir. Alors les Départements et leurs techniciens « rabotent » les collines à grands frais (combien de centaines de milliers d’euros ?) et rendent ainsi le virage moins serré. Les automobilistes alors vont plus vite, trop vite et les Départements sont obligés d’implanter des panneaux de limitation de vitesse inefficaces. En ville, on fait la même chose avec les angles des trottoirs, suite aux demandes de conducteurs qui considèrent que le carrefour est insécure. Ensuite, l’on est contraint de poser des « coussins berlinois » (sic !) ou des gendarmes couchés (re-sic !) face aux récriminations de piétons qui trouvent que les voitures vont trop vite. Faire et défaire…il en restera toujours de l’argent en moins d’un côté et de l’argent en plus de l’autre.
On parlait initiative privée, rentabilité... On parle de solidarité, de survie, d’intervention de l’Etat ou des acteurs publics. On découvre les vertus de la collecte des déchets, de la police, des acteurs de terrain, des professions de santé, l’importance du soin. On parlait productivité, rentabilité, restrictions, diminution de la masse salariale, des budgets de gestion. Le numérique devait nous faire gagner des parts de marché et régler tous les problèmes. On s’angoisse de ce qui se passe dans les EPAHD, où des centaines de personnes âgées meurent parce que l’on a fait des économies sur le fonctionnement de ces lieux de vie. On parlait villes du futur, smartcities et l’on n’a pas été capable d’anticiper puis de gérer les situations présentes. Des chantiers ont mobilisé technologies et compétences sophistiquées, budgets conséquents. Ils sont arrêtés tandis que les soutiers de la vie quotidienne, les éboueurs, les facteurs, continuent de travailler sans protection. On construit des villes entières, vides la plupart du temps, pour accueillir les touristes. Mais on n’a pas assez de lits pour recueillir les malades. Un sou était un sou. On mettait le pays dans la rue pour économiser quelques dizaines de millions. Tout à coup des sommes astronomiques apparaissent : 45 milliards ici, 300 milliards là. Tandis que les indices plafonds, comme le fameux 3% de déficit public, explosent. Chaque territoire y allait de son grand projet prestigieux : un opéra ici, une médiathèque là…Jadis, je critiquais déjà, dans la revue Tous Urbains (N°13 d’avril 2016), la construction de la Philharmonie à Paris, exemple de choix de prestige siphonnant les finances publiques au détriment d’autres thèmes plus importants pour la société. Pour mémoire, un extrait de ce que j’écrivais « (…) Le budget initial était de 170 millions d’euros. A la fin, il s’élèvera à 386 millions, dérive comblée par l’Etat, la Ville de Paris et la Région (…). A ce titre, la comparaison avec certains autres budgets d’investissement est intéressante, même si l’on compare des carottes et des salsifis. En 2015, le budget affecté au logement à Paris : 443 millions d’euros. Celui de Plaine Commune, quand on connaît les difficultés sociales auxquelles ce territoire est confronté : 85,8M€. En 2016, le budget de la Métropole du Grand Paris : 65 millions d’euros (…) ». Je cite la Philharmonie mais la liste est longue, en France et ailleurs, de ce type d’investissement qui, dans un contexte où l’on se préoccuperait du bien commun, ne mériterait pas plus de commentaires. Et comme en témoigne la petite histoire de ma vie, je ne suis pas, loin de là, contre la culture. Juste contre ce genre de projet culturel.
Que restera t’il de ces choix dispendieux, une fois le coronavirus passé ?
Ce qui a été fait à Périgueux illustre la nécessité d’arbitrer, d’analyser le contexte puis de concentrer les moyens sur des priorités. J’ai accompagné durant cinq ans la politique urbaine de cette cité, capitale du Périgord. Un projet politique avait été élaboré par l’équipe municipale. Nous l’avons traduit dans un projet urbain qui mettait l’accent sur l’amélioration du centre et des quartiers de la ville. Des arbitrages ont alors eu lieu au bénéfice de ces territoires et de ces thèmes. Des réalisations concrètes en ont découlé : améliorer les rues et les places du centre, redonner des qualités à la vie quotidienne en facilitant l’accès aux écoles, aux équipements, à la rivière, créer des pistes cyclables, améliorer la desserte en transports publics, en partenariat avec l’Agglomération... Le budget de la Ville a été décidé et organisé pour permettre de réaliser ces actions considérées, durant le temps du mandat, comme prioritaires. Les moyens humains eux-mêmes ont été concentrés dessus, en assurant une sorte de veille pour ne pas, ailleurs, affecter la gestion quotidienne.
Les dernières élections à Lyon ont montré un autre exemple des débats nécessaires avant que ne soient opérés des choix. La programmation d’une nouvelle autoroute a en effet été l’objet de fortes divergences politiques reflétées dans les programmes électoraux. D’une part, une telle discussion témoigne de la vivacité de la vie publique alors que, fut un temps, elle n’aurait même pas eu lieu. On peut pourtant se demander comment il peut encore y avoir de telles propositions d’un autre âge, coronavirus ou pas. S’il n’est pas déjà passé à la trappe, qu’en restera t’il après que la moulinette, le rouleau compresseur de la crise auront chamboulé certitudes et habitudes ? On peut aussi s’interroger sur les raisons qui ont poussé notre société à générer de telles initiatives, alors que tant d’éléments montrent que le sujet est depuis longtemps ailleurs. Les scientifiques disent qu’il ne reste que dix ans pour agir en faveur de la planète…
Il va falloir remettre sur le métier le choix de ce qui est vraiment important et y concentrer les moyens financiers. Il est probable alors que de tels projets anachroniques ou superflus seront abandonnés, des marges budgétaires alors vont réapparaître. Peut-être même seront-elles conséquentes, compte-tenu du coût considérable de tels équipements, indépendamment de leur utilité. Quoi que l’on en dise, si l’on compare avec d’autres territoires en Amérique du Sud ou en Afrique, l’Etat et les collectivités, en France et en Europe, ne sont pas exangues. Il reste des marges budgétaires dès lors que l’on fait cet exercice de retrouver ce qui est essentiel. Parmi les priorités, il est évident qu’il va falloir reconstituer les capacités de résilience des villes et de leurs administrés, redonner des moyens aux soignants et aux hôpitaux. Il faudra se préoccuper de nourriture, de mobilité, d’énergie et de bien d’autres thèmes. Face à tout ce qu’il y a à faire, les marges retrouvées suite aux économies ne seront pas de trop. Et elles devront être utilisées aussi pour permettre aux collectivités d’accompagner les conséquences, pour les personnes, de l’arrêt actuel de l’économie et de sa nécessaire évolution à venir. Ce sujet sera abordé dans un des chapitres à venir, intitulé pour l’instant « Tentative d’analyse du changement ».