L’Etat et les collectivités locales absentes des banlieues ? Certainement pas.

Je n’ai pas l’ambition d’apporter la solution sur ce que doit être l’action publique face aux évènements récents. La liste des certitudes venant de ceux qui n’y ont jamais mis les pieds risque d’être suffisamment longue. Mais il s’agit du témoignage d’un acteur impliqué pendant des années, d’abord comme chef de projet des Minguettes, à Vénissieux, puis à divers titres y compris dans des villes étrangères comme à Naples.
L’Etat et les collectivités sont présents, reste à savoir comment. On pourrait appeler cela « de l’art de courir après une réalité urbaine sans jamais la rattraper ».
On a dit, face aux difficultés de logement, que la création des grands ensembles s’était faite dans l’enthousiasme. Chez moi, à la campagne, on les appelait « des cages à lapins ». Depuis le milieu des années 70 et leur achèvement, les procédures se sont suivies sans toujours se ressembler. Des sigles successifs racontent l’évolution de la réflexion et de l’implication publique. Après la rénovation du bâti (HVS), parfois avant même que les quartiers soient terminés, on a mis l’accent sur le social (DSQ), que l’on a relié ensuite à l’urbain (DSU), cherchant les solutions au sein du quartier. La réflexion a été étendue hors des sites et tous les thèmes abordés en même temps : les espaces publics, le commerce, la culture, l’éducation. On a alors pu voir les limites de la rénovation. Des démolitions et reconstructions ont donc été engagées. Là, on sait faire, on est efficace, point d’atermoiement, une agence a même été créée pour cela, l’ANRU. Les gens ? On ne les a pas oubliés mais les projets sont de plus en plus complexes, les montages de plus en plus lourds. On tente donc de les intégrer, de tenir compte du social, de l’éducatif, de la sécurité. Des gens engagés y mettent toute leur énergie, est-ce à l’échelle de difficultés qui augmentent au fil des décennies ?
Agir est nécessaire et l’amélioration de la qualité de vie dans les quartiers est en général manifeste : création d’équipements publics, de squares, de rues, rénovation des écoles, des transports en commun plus pratiques... Mais l’action publique n’est pas toujours concluante. Des sommes énormes ont été investies mais parfois pour quels résultats ? Un oeil averti repère sur un bâtiment les époques de « réhabilitation » successives. A la fin des années 70, des fresques censées apporter l’art ont égayé les pignons et bien vite vieilli. Dans les années 80, les revêtements des façades d’origine ont été remplacés par des isolations moins solides. Les années 90 ont adjoint des balcons, des portiques rapidement dégradés. Puis on a « résidentialisé »…La liste est longue, le résultat parfois peu brillant. C’est que le sujet est difficile. Agir dans des lieux où les espaces collectifs sont très sollicités exige du professionnalisme. Or l’on manque de transmission des savoirs, la perte de mémoire conduisant à refaire les mêmes bêtises. Les intervenants apprennent sur le tas quand travailler sur les banlieues est spécifique, quand la réhabilitation, l’espace public demandent d’autant plus de soin. Alors, avec les meilleures intentions, l’on produit souvent des projets de faible qualité que l’on ne sait gérer ou qui se dégradent vite…
Que dire de la continuité institutionnelle. La volonté politique, bon an mal an, perdure. Mais les procédures et donc les critères de la sacro sainte éligibilité changent. On passe deux ans à élaborer un dossier pour répondre aux exigences de l’administration centrale, le ministre est démis, la politique redéfinie et l’on doit refaire sa copie sur des bases différentes. Face à des phénomènes graves, changeants, on perd du temps dans des dossiers, des procédures de plus en plus compliquées. Au bout du compte, les solutions sont dépassées avant même d’être appliquées. Si l’on ajoute les lourdeurs administratives de tous poils, l’action sur les quartiers sensibles marque les difficultés de l’action publique, l’importance de la technocratie et montre crûment les limites de la politique et du pouvoir de la République. Que dire du sentiment que peuvent en avoir les habitants !
Que faudrait-il faire ? Quelques suggestions. Au lieu de chercher toujours la solution miracle forcément nouvelle, de tout remettre en cause régulièrement, les politiques publiques doivent avoir de la continuité et élaborer des stratégies partant de l’existant, de l’acquis, tirant les leçons pour améliorer, enrichir. Il faut éviter les solutions toutes faites et être capable d’agir d’une manière adaptée à un monde et à des structures sociales complexes et qui bougent. Les réponses miracles n’existent pas. L’on doit faciliter l’action, la réactivité et donc alléger les procédures, les processus, coordonner les initiatives. Il faut des gens expérimentés et cumuler les savoirs, les compétences dans des équipes légères, actives et soutenues par un pilotage politique fort et continu. Il est nécessaire de renforcer les services publics et non de les fragiliser, d’inventer de nouveaux processus, de dépasser les conservatismes, les conventions : mettre énergie et moyens pour construire de vraies démocraties locales, un projet de société qui ferait du bien à la société toute entière.
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