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L’urbain présente une infinité de situations. Mais les projets qui en découlent sont eux-mêmes loin d’être d’égal intérêt face aux enjeux sociaux, politiques ou économiques. Je tiens donc à célébrer une réussite du fait de ses propres qualités et des leçons que l’on peut en tirer : la médiathèque Françoise Sagan, réalisée dans le 10ème arrondissement de Paris. Et je ne peux qu’exprimer mes doutes quant à ce que va apporter le projet d’Europacity au Nord de l’agglomération parisienne.
Pièce urbaine rare et sorte de bijou précieux à l’usage de tous, la médiathèque est située au cœur d’un îlot, à une des extrémités de la rue populaire du Faubourg Saint-Denis. Elle s’inscrit dans un site complexe formé d’un square assez banal et des bâtiments de l’ancien Carré Saint-Lazare. Ce dernier fut hôpital, puis prison pour femme avant de redevenir hôpital et de fermer ses portes il y a quelques années. Le programme a consisté en la création d’une médiathèque, d’un gymnase, d’une école maternelle, d’une crèche et d’un centre social : un pôle d’équipements publics au service des habitants des quartiers alentours.
Auparavant totalement fermé du fait de ses usages, la transformation du site a permis que bâtiments nouveaux et édifices historiques organisent avec subtilité le passage d’une fonction à une autre, d’un espace à un autre, d’une histoire à une autre. Des parcours internes fluides et généreux relient salles et placettes dont l’une, intérieure, est réellement magique. Les autres sont partagées avec le quartier, l’ensemble formant une pièce urbaine exceptionnelle, traversée de toutes parts et entretenant de multiples liens avec l’extérieur alors qu’elle était auparavant close. Les bâtiments anciens ont été rénovés et offrent des espaces lumineux et accueillants, étroitement imbriqués avec les nouvelles constructions. L’ensemble est d’une grande beauté, les volumes et les espaces respirent l’attention à l’utilisateur, à son bien-être, l’ouverture aux gens et au monde. Et l’on ressent le même soin dans les services offerts par la médiathèque. En effet, elle est en symbiose avec la sociologie cosmopolite du quartier : des enfants de toutes les couleurs, des gens âgées, des étudiants étrangers, des personnes probablement sans-papiers, tous trouvent là un endroit accueillant dans une ambiance apaisée…
Un lieu comme un cadeau non seulement aux utilisateurs mais aussi au quartier tout entier. On considère souvent à juste titre que le tableau de l’urbanité est noir. La médiathèque Françoise Sagan le contredit et raconte que l’on peut produire des projets positifs pour la ville et la société urbaine. Il faut juste le faire bien, par des actions qui ont un sens y compris social et politique et complètent, relient, transfigurent, offrent…
A une autre échelle, le centre-ville de Saint-Denis a été rénové dans les années 2000. Le but était double : redonner un centre accueillant et actif à un site difficile et fragile et s’inscrire dans ce secteur de l’agglomération parisienne comme un des leviers de son dynamisme. Pour ce faire la complexité urbaine a été abordée grâce à uns stratégie portée par les élus et qui comportait 43 projets reliés et traitant de tous les domaines : l’habitat, les espaces publics, le commerce, la vie sociale et culturelle, les transports, le tourisme… Il furent conduits avec un souci de cohérence avec le territoire autour, d’attention aux usages, aux fonctions et aux liens, de mise en valeur de ce qui était déjà là. Et pour qu’habitants et acteurs soient impliqués, dans une ville où la pauvreté contredit la participation même à la vie sociale, une attention particulière a été apportée à écouter, concerter, discuter, s’appuyant sur l’évolution du centre pour mettre en partage l’action publique dans la ville toute entière.
Le projet Europacity interroge. Situé à proximité de l’aéroport de Roissy, sur le « Triangle de Gonesse », il s’agit de la création d’un pôle de loisirs, culture, commerces et hôtels sur une surface de 80 hectares. Quel que soit le professionnalisme des acteurs, je doute de la capacité de quiconque de mesurer les conséquences sur l’environnement en termes d’activités, de commerce, d’emploi…Au contraire, ne s’agit-il pas d’une action guidée par la facilité de construire là où il n’y a rien, au contraire du projet de réparer ce qui est déjà là ? Pourtant La Courneuve, Aubervilliers, Sevran, Aulnay et d’autres le mériteraient bien eu égard aux difficultés urbaines, économiques et sociales auxquelles elles sont confrontées. Mais cela demande du temps, de la mesure, la capacité à mener des actions cohérentes entre des acteurs aux enjeux différents, la prise en compte de la complexité du déjà là…Europacity est au contraire conçu dans son emprise et, là où il est situé, on voit bien qu’il peut rapporter gros. La seule question qui compte n’est-elle pas « en quoi ce projet va t’il contribuer à améliorer fortement le territoire alentour et non en accélérer la dégradation » ? Certes, le maître d’ouvrage n’a pas lésiné sur les explications concernant l’insertion du projet dans le secteur : concertation, appel à des experts justifiant toutes les allégations, comparaisons, un sociologue de renom a même été mis à contribution pour dire qu’il y avait là « l’occasion d’inventer une nouvelle urbanité ».
Mais au-delà des slogans et des effets de « publicité urbaine», la réponse n’est pas évidente et le danger bien réel. Rappelons seulement les propos qui, dans les années 60, étaient destinés à vendre les grands ensembles : « la ville dans la nature… ». Plus près de nous : la « canopée » des Halles. S’agirait-il de deux conceptions opposées du développement et de l’urbain ? Assurément et elles méritent une véritable confrontation.