D'un milieu, l'autre
informelCe sujet ne faisant pas partie de nos pratiques culturelles, comment un professionnel peut-il l’aborder ? Dans un des éditoriaux de ce même numéro 15 de la revue Tous Urbains, « Vive le contexte !», je rappelais qu’à mon sens les solutions doivent être recherchées dans le milieu urbain lui-même. Dans le cas de l’informel, on est seulement en présence d’un milieu complexe différent, dont les caractéristiques et les mécanismes sont autres.
Dans les villes européennes, les propositions viennent peu du terrain. Elles sont souvent issues de décisions politiques ou d’initiatives d’opérateurs privés. Le professionnel que je suis répond à des commandes. Il accompagne des collectivités dans leur évolution et, partant de leurs initiatives en cours, les aide à trouver la mesure autour de laquelle les acteurs interviennent et produisent du changement. Les stratégies, les méthodes, les principes, les priorités, les jeux de rôles, les compétences…ce qui fait milieu est organisé au service de la demande et des projets. Ayant commencé à exercer le métier d’urbaniste à un moment où les règles étaient rares, il a été aisé de s’attacher au sens, au fond : qu’est ce qui est important, comment l’on travaille ensemble, qu’est-ce que l’on fait, dans quel but, avec quel moyens? La règle est prise en compte, mais bien après et plus pour éviter l’illégalité que par ce qu’elle apporterait à la qualité du contenu (et qui est discutable).
Dans le cas de l’informel, les propositions viennent du terrain, d’un milieu moins lié aux institutions qu’aux utilisateurs eux-mêmes. Les réalisations - l’habitat, les espaces extérieurs, les commerces…- n’obéissent pas à des règles venues d’en haut ou a des systèmes constructifs ou de financement centralisés. Elles répondent à des besoins, des volontés personnelles liées à la vie de l’habitant et de sa famille, à son insertion dans une communauté. Il est question de survie : on vient s’implanter en ville et ne se pose pas la question de la règle mais celle de la vie et de ses conditions. On construit sans autorisation là où il y a de la place, souvent à proximité de personnes de la famille ou originaires du même pays. On fait appel au bon sens, à la capacité à faire dans les conditions propres à l’habitant et à son milieu. On utilise ce qui marche ici, maintenant et est éprouvé et non les outils qui nous sont traditionnels et ne sont pas applicables ici (préfabrication, emprunt à des banques, règles d’implantation…). Les techniques répondent aux besoins du constructeur et traduisent ses possibilités propres (pratiques, financières, en terme de matériaux ou de mises en oeuvre).
Le temps n’est pas le temps long des autorisations, de la planification, des jeux d’acteurs et des modes de production sophistiqués. Quand on peut le faire, on construit tout de suite. Si des difficultés sont prévisibles du fait de la propriété du lieu, on arrive de nuit et, à plusieurs familles, produit en quelques heures les bases de ce qui deviendra un quartier.
Par rapport aux conditions du « formel », le milieu urbain diffère. Mais on n’est pas si loin des caractéristiques d’un quartier. Pour un professionnel qui doit toujours s’adapter, il est nécessaire d’écouter le contexte et d’être attentif aux attentes, d’intégrer les ressources, de connaître les acteurs… On trouve les idées dans ce substrat. On apprend de ce que l’informel témoigne d’inventivité, de capacité à trouver des solutions avec les moyens du bord. On regarde les qualités et réfléchit à partir d’elles, valorise le positif avant que de juger des faiblesses ou de juger tout court. On s’aperçoit alors que les besoins fondamentaux sont souvent proches ici et là-bas : des arbres pour faire de l’ombre, des espaces pour circuler, une intimité protégée, des lieux où se retrouver, où jouer, de la sécurité. En France, je travaille sur la mise en œuvre de Plans d’actions de quartiers qui visent à en améliorer le confort, la qualité de la vie quotidienne en intervenant, avec des groupes d’habitants, par des actions simples sur les espaces publics, les parcours, les services, les écoles…Le but, dans le cas de l’informel, n’est pas éloigné quand on cherche, avec les acteurs, à « arranger » leur quartier. Mais les réponses sont adaptées au milieu local, le bricolage encore plus présent dont découlent des actions souvent simples, réalisées avec les moyens disponibles et pour répondre à des attentes concrètes. Avec un sens assumé de l’utilitaire, on profite des tranchées d’installation de l’électricité pour élargir un trottoir, on plante des arbres là où on peut et les protège des bêtes, des voitures et des hommes de manière efficace mais frugale, des bus passent chercher les écoliers au bout d’une rue que l’on a essayé de pacifier…A l’origine, il y a peu de prise en compte apparente de ce qui est considéré comme public. Il existe bien des rues mais qui sont plutôt des espaces en terre battue, les lieux de rencontre sont spartiates, l’eau, l’électricité, les écoles, la collecte des déchets, qui sont assurés communément par la collectivité, ne le seront que quand elle aura pris acte de l’existence plus qu’elle n’aura reconnu l’implantation informelle. En attendant ces services existent d’une manière improbable.
Peu à peu l’informel se fait quartier et évolue dans le temps, tant dans sa population que dans son urbanité. La question se pose alors de savoir s’il est un accident de l’histoire des villes alors qu’il représente un pourcentage important de la surface de certaines d’entre elles. Et jusqu’à quel moment peut-on parler d’informel quand les camps palestiniens par exemple sont devenus de véritables cités ?
Texte à paraître dans le dossier consacré à l'informel de la revue Tous Urbains (N°15)
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