Il fallait réapprendre la paix, reconstruire des relations sociales, une économie,
après la guerre de 14-18 qui avait fait des millions de morts, affecté une génération de jeunes hommes dans leur chair et leur âme, anéanti des familles. Le Nord, la Picardie, une partie de la Lorraine, des régions toutes entières étaient déchiquetées, des villes et des villages rasés, les champs explosés. Pourtant le pays s’est remis en marche.
Après la guerre de 39-45, il fallut reconstruire Le Havre, Lorient et bien d’autres cités, en Normandie et ailleurs. Le pays s’est relevé, l’Allemagne aussi. L’un comme l’autre revenaient de loin. Au-delà de la douleur, des deuils, on imagine le travail concret que cela a représenté : le déblaiement des gravats, la reconstruction des habitations, la coordination, la recherche de matériaux, l’approvisionnement en eaux…Il ne devait pas être aisé de trouver à manger mais il fallait quand même remettre en route la culture des champs, faire fonctionner les administrations, relancer la production dans les usines, réorienter vers la paix une économie tournée vers la guerre. Les populations ont du payer un lourd tribu, elles qui devaient manquer de tout : de matériel, de moyens, d’argent, de bras…Et pourtant cela fut fait, comme s’il s’était agi de voir les choses seulement du point de vue de l’humain.
Aujourd’hui l’ont dit la France en dépression. Les indicateurs seraient au rouge, ou au moins à l’orange. Mais les villes sont-elles rasées, sort-on d’une guerre qui a mis le pays à genoux et endeuillé pour longtemps la population, manque t’on de pain, les moyens techniques font-ils défaut, l’administration est-elle désorganisée, y a t’il pénurie de main d’œuvre, de médicaments, d’eau?
Qu’en est-il vraiment ? Les villes ont grandi depuis le temps des guerres. Elles ont pris de l’importance et assument une grande part de la vie publique. Des sommes considérables y sont dépensées pour leur équipement, les techniques sont parfaitement au point, parmi les meilleures du monde, le numérique assure une assistance dans tous les domaines, la compétence des acteurs est très pointue, la vie politique s’y déroule selon les règles de la démocratie …Bien sûr, dans certains quartiers de grands ensembles, les problèmes sociaux perdurent, des SDF couchent encore dans la rue, il n’y a pas assez de logements, le taux de pollution est préoccupant, les transports publics pas toujours à la hauteur, certaines villes sont en perte de vitesse, le taux de chômage des jeunes, est trop important…
Mais sommes-nous au sortir d’une guerre ? La métaphore de la « guerre économique » a t’elle vraiment un sens quand on pense aux deux conflits mondiaux du 20° siècle ? Le niveau de vie actuel en France est-il comparable avec celui des années 20 ? Sommes-nous face à une génération d’hommes atteints, de femmes ayant vécu des conditions douloureuses ? Devons-nous reconstruire des régions, des villes, réapprendre la paix, les relations sociales, la politique ?
A Gaza ou Alep, il faudra le faire et ce sera d’autant plus difficile qu’il s’agit de guerres civiles.
En France ne sommes-nous pas seulement dans la situation d’un pays qui doit évoluer ? Alors, pourquoi ne pas utiliser la commémoration de la guerre de 14-18, non pour réanimer des vertus patriotiques guerrières faiblissantes, faire ressurgir un ennemi ou servir un discours sur la paix lénifiant et qui ne mange pas de pain, mais pour comprendre ce qui a été fait alors par notre pays, les circonstances d’une autre mobilisation, pas pour aller à la guerre « comme en 14 » mais pour assumer la paix. A cette époque, l’Europe était déjà aux prémisses de sa construction : nous avions des ennemis mais aussi des alliés. Si l’on tirait les leçons du courage conscient ou inconscient qu’il a fallu pour recommencer à vivre et faire des enfants, panser les plaies, mettre en place des forces productives, réparer, reconstruire une société, des maisons, des ponts, des routes, des réseaux d’approvisionnement. Si notre pays, au lieu de véhiculer une ambiance dépressive, une sorte de défaitisme alors que nous ne venons pas de nous battre contre la mort, se concentrait sur ce qui mobilise, qui donne envie et énergie, qui fait avancer, sur un engagement positif et pas seulement la critique, la remise en cause et le scepticisme. En son temps, une situation exceptionnelle a permis de rendre plus fluides les relations sociales, plus rapide la capacité à agir. Quelle leçon en tirer ?
Quelques pistes simples dans le domaine de l’urbain et que le débat politique enrichirait à coup sûr, contredirait peut-être. Retrouver l’eau dans les villes, planter des arbres, améliorer les espaces publics et les transports, mettre en valeur les qualités existantes, concevoir des lieux de travail agréables, rendre attractive la vie dans la cité, construire des logements agréables et bon marché, donner envie aux entreprises de s’installer, lutter contre les difficultés sociales, favoriser l’éducation, la culture, être en lien avec le monde…Un programme électoral banal ? Alors discutons le, décidons et concentrons nous sur ce que nous avons envie de faire ensemble. Osons le projet et passons à l’acte !