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Billet de blog 24 mai 2014

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Pour en finir avec l'idée de terminer

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

«  Je souhaite être réélu car je veux terminer le travail que nous avons commencé ». 

Cette phrase, tirée de la profession de foi d’un élu d’ailleurs de grande qualité, laisse à penser que grâce à lui, la ville sera au bout du compte achevée. Le propos est heureusement déplacé et l’idée fausse : les cités changent au gré de l’évolution des pratiques et du monde. Pourtant, les professionnels de l’urbain, des élus aux techniciens, font comme si les données du présent étaient suffisantes pour déterminer ce que serait le futur. Nous prenons des  décisions, faisons des projets qui partent de l’illusion que l’avenir peut s’anticiper. Nous agissons comme si nous entendions achever le cadre urbain et conduire ce milieu complexe, sinon chaotique du moins en tension, vers la plénitude.

Depuis plusieurs décennies, on répare ce qui fut mal fait, qui a été abîmé ou ne fonctionne plus : les infrastructures, les espaces publics, des quartiers, les berges de fleuves. Les exemples sont légion, dans les villes françaises et européennes, de sites que l’on doit reprendre alors qu’ils furent réalisés en leur temps avec les meilleures intentions du monde. L’ambition déjà que nos projets soient assez bien pensés pour durer n’est pas mince. De là à dire qu’ils prennent un caractère immuable…

Tout prouve que la vie urbaine change en continu. L’on ne se déplace pas comme il y a 20 ans. La manière dont les espaces sont utilisés est différente, plus complexe. Ils accueillent piétons, livraisons, stationnements de courte ou de longue durée, bus, arrêts de vélos ou de voitures en libre service, fêtes et manifestations, terrasses de café été comme hiver, utilisateurs du téléphone portable, fumeurs… Ces évènements quotidiens en tous genres témoignent d’un monde de plus en plus urbain.

Le rapport entre centre et périphérie lui aussi a changé. Les centralités nouvelles donnent aux cœurs historiques un rôle plus symbolique que névralgique. L’industrie du 19° siècle avait façonné des villes et des régions entières. Reste une histoire sociale et urbaine qui peu à peu s’évanouit. Les traces des usines s’estompent. Elles deviennent parcs, lieux d’expérimentation ou ont carrément disparu. Perdurent des quartiers d’habitat ouvrier, souvent de grande qualité, certains comme le quartier des Etats Unis à Lyon, ayant facilement intégré la mutation contemporaine.

La mondialisation aussi imprime sa marque sur les cités, faisant disparaître des industries ici, créant là une offre commerciale uniforme. Quand elle ne conduit pas à une évolution profonde de l’habiter, des quartiers à l’origine paisibles se paupérisant en devenant lieux d’accueil de populations rejetées.

Nous agissons comme si nous allions finir la ville. Bien sûr, les documents de planification laissent des « zones » à urbaniser ». Mais les espaces vides sont considérés comme des opportunités pour  construire ou aménager. Nous organisons des quartiers complexes en créant des relations entre les lieux comme si elles ne devaient plus bouger. Evry est à ce titre caricatural. Les espaces publics sont conçus pour répondre aux usages d’aujourd’hui, rendant difficiles les mutations de demain. Lors de la  concertation n’écoute t’on pas patiemment toutes les requêtes ? Parfois, l’on mobilise une telle recherche esthétique que la forme devient le cadre dans lequel les pratiques doivent rentrer, et pour longtemps. Les bâtiments sont conçus dans une logique de production, d’économie d’énergie, guère avec l’idée qu’ils pourraient changer d’affectation, leur structure ne permettant pas cette éventualité. 

Dans le domaine financier, les collectivités empruntent de l’argent pour investir et s’endettent. L’impact des budgets de gestion des réalisations est peu mesuré. On laisse ainsi moins de latitude encore aux générations qui vont suivre pour agir. Elles devront pourtant affronter des problèmes réels, inconnus aujourd’hui. Dans les années 70 pouvait-on imaginer les difficultés dans les banlieues, la crise du système bancaire ? N’avons nous pas déjà une capacité d’investissement plus faible ? Alors que faire ?

Concernant les espaces publics, les rues, il convient de leur donner de l’espace et de les aménager sobrement afin qu’ils puissent accepter l’évolution des usages : avec voitures à un moment et sans plus tard, lieu de manifestation l’après midi et de fête le soir, square ouvert puis place ombragée ensuite…

Il ne faut pas imaginer tout finir mais « en laisser pour les autres » et donc ne pas construire partout, laisser des terrains sans affectation, se concentrer sur certains projets, certains lieux et ne pas chercher des solutions pour tous les sites en friches et les usines désaffectées. En revanche, il faut assurer une veille afin que ce qui ne fait pas l’objet de projet ne devienne pas foyer de difficultés. L’on doit assurer une maintenance des quartiers, une gestion renforcée afin qu’ils ne se dégradent pas dans tous les sens du terme, y compris social. Cette approche, qui procède d’un bon sens élémentaire, n’est pas courante : l’on sait investir mais peu entretenir. Va t’on vers une maturité de la pratique urbaine ?

L’on peut laisser les changements advenir, ne pas décider maintenant de choses dont on n’a pas les clés, permettre le mûrissement. Des réponses, des opportunités viendront que nous ne connaissons pas. Occuper temporairement des lieux, les faire vivre différemment permet d’explorer des possibles. Mais il existe bien d’autres solutions dés lors que l’on se penche vraiment sur le sujet.

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