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Billet de blog 28 octobre 2013

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Idées reçues et autres lieux communs

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Et si les raccourcis, les simplifications abusives, les idées reçues était plus dangereux qu’on le croyait ?

Un premier exemple qui sera suivi d’autres éditoriaux: « Ville émergente, ville archipel, ville durable… ».                                

Le sujet est-il si inabordable que l’on doive le conceptualiser, en parler de manière abstraite pour tenter d’en saisir les contours ? Une telle approche le rend-elle plus compréhensible ?

Depuis des décennies et pas seulement dans les villes occidentales, des savoirs, des compétences se sont peu à peu constitués, des maîtrises d’ouvrage conduites par des professionnels formés se sont mises en place. Les maîtres d’œuvre ont appris à travailler avec d’autres, à faire des projets abordant la complexité. Des méthodes ont été élaborées. Certaines réalisations ont fait leur preuve, d’autres se sont révélées inutiles, voir d’un effet négatif. Il suffit, pour mesurer le changement, de regarder les espaces publics rénovés ou créés aussi bien dans les centres que dans les banlieues. Alors que, jusque dans les années 80, l’on s’évertuait à construire des infrastructures qui la plupart du temps dégradaient l’espace des villes et l’urbanité. Des politiques de transport se sont peu à peu mises en place. Elles se traduisent par une offre souvent coordonnée allant des trams ou des métros aux bus, voir aux vélos en libre service. L’on aborde la réhabilitation des immeubles des années soixante avec beaucoup de soin, que ce soit dans leur aspect, l’offre de qualité d’habiter qu’ils proposent et leurs performances énergétiques. Il y a 30 ans, on se contentait de faire un travail social et de peindre les façades de manière multicolore, stigmatisant encore plus les lieux et les gens.

Le sujet de l’urbain est devenu central dans nos sociétés. Nous ne sommes pas face à un concept impénétrable qu’il faut tenir à distance de peur de s’y brûler les doigts mais bien devant un phénomène concret, qui nous touche tous, certes complexe mais qu’il faut affronter, même s’il ne faut pas se bercer de l’illusion d’en terminer avec lui, de l’achever. Bien sûr c’est compliqué, lent. Les résultats ne sont jamais définitifs. Personne n’est le grand sauveur. Evitons donc de pavoiser et d’énumérer les succès comme des quartiers de noblesse. Mais de réelles avancées ont lieu et l’on vit en général plutôt mieux, les cités fonctionnent mieux. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain.

Il n’y a pas une mais des situations urbaines. Rapporter cette multiplicité à un concept unificateur est non seulement discutable mais aussi dangereux. C’est oublier que la connaissance du contexte donne déjà des pistes de solutions, que ce qui est là est une ressource. On peut aborder cette compréhension grâce aux observatoires -des transports, de l’habitat, de l’économie-, aux études urbaines ou sociologiques. Il faut mobiliser les moyens y compris humains dont dispose le lieu, les dynamiques qui s’y exercent. Les visions de l’avenir s’appuient souvent sur des analyses territoriales et des débats politiques. De multiples projets sont conduits, qui concernent tous les thèmes de l’urbain et participent eux-aussi à la connaissance de ce qui est en jeu. De leur côté les acteurs, habitants ou associations,  apportent une expérience précieuse, parfois des initiatives, pour peu qu’on les entende.   

Bien sûr nous ne sommes pas au bout. Certes il faut améliorer les savoirs, les décisions, les productions, complexifier les approches, conforter la place du public dans le processus, dans les choix, être capable de l’écouter, éviter l’amnésie, aborder le sujet de la culture, intégrer le temps dans les processus... Certes la ville est injuste, peut-être plus qu’avant…Mais nous sommes loin d’être à l’âge de la pierre de l’urbain ! Jadis on ne traitait la ville que par les nouveaux quartiers qu’on y construisait. Aujourd’hui c’est tout le territoire urbain qui est pris en compte à diverses échelles, rendant envisageable du coup la lutte contre les inégalités.

La conceptualisation peut être vue comme une manière de prendre du recul pour mieux comprendre ce qui est en jeu, pour rendre intelligible le sujet. Mais attention à ce qu’elle ne soit pas un moyen de ne pas agir tout de suite sur le réel. Car l’urbain est un des leviers pour rendre la ville meilleure et plus juste. Attention à ce que l’ambition d’embrasser le sujet urbain comme un tout indivisible n’ait pas pour conséquence une incapacité à faire. Trop de généralité présente le risque aussi de voir apporter des réponses stéréotypées alors que les villes ne se ressemblent pas, les situations sociales, géographiques, politiques, financières, humaines sont différentes. C’est dans la capacité que l’on a les comprendre pour la transfigurer que se situe une des conditions de la justesse de ce qui est produit.

A trop généraliser, l’on risque de plus de tomber dans une sorte de consensus, où le sujet semble si compliqué, les difficultés si nombreuses que le courage de rechercher des solutions manque, ou alors qu’il y a si peu de débat concret que l’on ne peut qu’être d’accord. Or l’urbain n’est pas consensuel. Il est politique et comporte une part de conflits, d’intérêts divergents, de modes différents d’utiliser la ville, et d’engagements. L’espace public ou l’habitat sont en ce sens représentatifs. Il ne faut pas éluder ces tensions. Pour transformer, améliorer vraiment, l’on doit analyser de manière pragmatique les situations dans leur singularité, imaginer des possibles et solliciter des arbitrages, des choix. A trop chercher le consensus on obtient la mollesse, et d’un cheval de course, l’on fait un chameau. 

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