On l’a beaucoup dit : les villes ont depuis plusieurs décennies été orientées selon une logique fonctionnelle,

une logique de séparation des quartiers et des activités urbaines, une logique d’action sur ce qui est nouveau et de laisser-faire sur ce qui existe déjà. On a vu le résultat. Les professionnels de l’urbain travaillent à présent pour une grande part sur la réparation de ce qui a été fait de cette façon, en ce temps là. Les grands ensembles, les infrastructures, les quais devenus des parkings, les zones d’activités implantées n’importe comment…des moyens humains importants, des sommes énormes sont de nouveau investis pour rendre ces lieux à l’urbanité, non seulement parce qu’ils sont laids mais aussi car ils ne fonctionnent plus, forment des coupures ou n’ont plus d’usage. On est loin de l’idée que chaque époque doit apporter une couche au patrimoine éclectique que constitue une ville !
On pourrait en rester sur ce simple constat, beaucoup répété, si ce n’était pas toujours le cas.
Dans certaines villes d’Asie, la construction de nouveaux quartiers d’habitation montre que les leçons des grands ensembles n’ont pas été tirées. Qu’en sera t’il d’ici quelques années de la vie sociale, de la gestion des éventuels problèmes qui pourraient apparaître, alors que ces secteurs souvent monofonctionnels sont souvent plus grands que les quartiers français du même type et dont on connaît l’histoire?
Dans certaines villes d’Amérique latine, l’on investit des sommes considérables dans des infrastructures pour faciliter la circulation, avec l’idée qu’elles sont synonymes de développement et alors qu’il existe de nombreux quartiers informels qui ne possèdent pas les services minimums.
Plus près de nous, chez nous que se passe t’il ?
Des études et des projets souvent très importants sont conduits par des institutions qui agissent selon leur propre logique, leur intérêt. Les acteurs privés cherchent peut-être à faire bien mais aussi à gagner un maximum d’argent. Ils se préoccupent donc peu de certains sujets comme les services ou d’aller dans des secteurs qui en auraient bien besoin mais qui sont moins lucratifs ou posent des problèmes sociaux. Les sociétés de transport font tout pour que leurs bus ou leurs trams circulent le plus vite possible. Elles font souvent peu de cas des largeurs des trottoirs, des secteurs traversés, des autres fonctions urbaines et sont les nouveaux rouleaux compresseurs de l’aménagement, écartant beaucoup de choses sur leur passage. De leur côté, les services de déplacement des collectivités s’attachent la plupart du temps à faire circuler des voitures le mieux qu’ils peuvent, considérant encore ce paradigme comme fondateur de toute décision urbaine. Les associations de cyclistes se battent pour trouver leur place. Qu’importe si c’est au prix d’étranges contorsions de l’espace. Les opérateurs de centres commerciaux défendent leurs édifices proches de l’autoroute, d’une accessibilité et d’un fonctionnement le plus simple possible pour eux. Ils se gardent de mutualiser des parkings, induisent des nappes d’enrobé et une utilisation ridicule de l’espace …
On ne peut reprocher à chacun de ces acteurs de défendre ses intérêts. Mais un tel mécanisme conduit à faire perdurer une approche de la ville et de ses territoires selon des logiques verticales. Or si elles sont traitées sans attention aux autres modes de vie citadine, une ligne de bus peut devenir une coupure, une zone d’activité faire disparaître un site naturel essentiel, des pistes cyclables être autant d’objets aussi insolites qu’inconfortables, symboles d’une action démagogique en direction d’un groupe social au lieu d’être une politique réfléchie.
Tout projet a des conséquences sur des usages urbains autres. L’on ne peut décider et agir seul, selon sa seule logique et les cités sont les théâtres malheureux de ces pratiques récurrentes. Il convient, et c’est le rôle de la collectivité, de faire apparaître les effets pressentis, de les mesurer, d’orienter si possible les propositions pour qu’elles aient aussi des effets positifs sur d’autres domaines de l’urbain, en facilitent la cohérence. Cela suppose que le projet en question se donne la possibilité d’aborder des thèmes autres que la commande initiale, se rapproche d’acteurs à priori qui n’étaient pas impliqués. Un centre commercial peut se situer près d’une ligne de transports publics, partager un parc de stationnement que l’on plantera d’arbres et dans lequel l’on créera de vastes allées qui feront lien avec l’environnement et accueilleront de la biodiversité…
Il peut s’avérer qu’il y ait contradiction entre ce qui est proposé et d’autres logiques à l’œuvre. Dans ce cas des arbitrages doivent être opérés. C’est là une des dimensions politiques de l’urbain que de mobiliser le choix en fonction non de l’intérêt particulier mais bien de l’intérêt public, avec ce qu’il a de négocié, de subjectif, d’engagé, dans un territoire, à un moment et dans une société urbaine donnée.
Texte à paraître dans Tous urbains N°4 de janvier 2014