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Perplexité
Demander mon point de vue sur le rôle des parkings en effet m’interroge. Quelle est donc cette mouche qui a pu vous piquer ? Alors que je « ferraille » et ce depuis toujours pour tenter de trouver certaine urbanité dans tous les territoires où j’ai pu travailler. Que l’on a massacré des décennies durant les villes et leurs espaces, que l’usage, la culture effrénée des voitures en furent pour longtemps artisans efficaces, dont le stationnement, partout et tout le temps, en a été la Bible, quand parkings à tous crins furent parole d’évangile.
Ma première réaction fut en effet sanguine. Comme je l’écrivais jadis sur le sujet du mobilier urbain : « le meilleur des parkings est celui qui n’est pas ! ». Et en 2023, le climat déréglé, le carbone emballé sont une réalité qui a franchi le seuil de toutes les maisons, et puis qui est entrée de la cave au grenier. De cet état du monde la voiture a été vecteur déterminant dans sa fabrication ou en circulation ou quand on fait le plein. Rappelons-nous chaque fois, dans chacun de nos actes et dans nos décisions l’amère situation laissée à nos enfants qui ne trouvera d’issue par de simples slogans. En voici un pourtant qui semble légitime.
« Supprimons les voitures, le sujet des parkings devenant sans fondement ! ».
C’est une affirmation qui mérite nuance. Elle est facile à dire, carrément impossible à mettre en œuvre de suite, toute la société s’étant organisée autour de son usage. On ne supprimera pas les voitures d’un seul coup. Et si l’on enlevait seulement les parkings ? Le stationnement alors se ferait sans nul doute dans les espaces publics. Ce que l’on ne veut pas, que l’on a combattu pour redonner sa place au piéton justement. Il faut donc dépasser des principes rigides, préserver avec soin, pugnacité aussi, cette idée de changer mais trouver des réponses qui permettent de le faire. C’est ce à quoi que je vais tenter de contribuer dans les propos qui suivent.
Mémoire
D’abord un peu d’histoire sans qu’elle ait l’ambition de l’exhaustivité mais en me rappelant certaines situations que j’ai eues à connaître. A une certaine époque, la voiture, le parking paraissaient ressortir de la divination. C’était une position dont on ne va pas ici analyser les vices pas plus que les vertus si tant est qu’il y en eut. Que cette stratégie ait été réellement pensée, théorisée, on ne va pas non plus tenter d’en savoir plus. Le résultat fut que c’est sur cet objectif qu’élus, administrations, industrie et publics fréquemment s’accordèrent et puis se concentrèrent. Au moins en pays riches... Tous les moyens humains, l’innovation technique furent alors orientés au service des autos avec les exactions qu’on ne va pas non plus rappeler dans ces lignes mais qui furent au final « armes de destruction massive ».
A l’époque qui suivit et qui me vit agir, améliorer des lieux obligeait à chaque fois à réparer ce qui avait auparavant été très dégradé. Des places devenues des aires de stationnement, des rues, des avenues envahies de voitures, des trottoirs réduits à une peau de chagrin, des quartiers tout entiers séparés des cités par certaines autoroutes, des fleuves oubliés… Je participais alors et comme une conséquence j’eus à intervenir sur le stationnement. Un petit tour de France.
A Lyon les berges du Rhône s’étaient en ce temps-là transformées en une vaste aire à automobiles. Et il aura fallu une dizaine d’années pour que soit décidé d’en faire un très long parc traversant toute la ville, la reliant aux espaces naturels extérieurs apportant de surcroit aux quartiers traversés services et douceur, loisir, contemplation.
A l’époque précédente toutes les places de Lyon étaient stationnement. La décision fut prise par les élus d’alors d’enterrer les voitures dans des parkings publics, beaux et attractifs, permettant qu’au-dessus on aménage les sites en apportant des arbres, des bancs, de la lumière…des espaces à vivre. On aura remplacé les voitures en surface par des voitures sous terre. Y eut il de ce fait moins besoin de parkings ? En tout cas on aura largement embelli, même si dans le même temps, le nombre des voitures n’aura pas diminué non plus que la planète sera améliorée. A cet actif clairement la qualité urbaine sera plus agréable, du moins en certains sites. On aura vérifié que la vie dans les villes ne se résume pas à l’usage des voitures.
En prenant l’autoroute qui emmène vers le Sud, on arrive à Marseille. Le site des Arcenaux, tout à côté du port, était un ancien cours, le cours d’Etienne d’Orves, sur lequel fut construit, dans les années 60, un important parking. Bâtiment en béton qui remplissait l’espace, une mobilisation des années 80, convainquit les élus de le démolir et d’enterrer l’ouvrage. A la place fut créé un vaste espace public qui deviendra ensuite un lieu emblématique autant que d’attraction : le cours d’Etienne d’Orves. Pas d’approche globale impactant toute la ville mais une solution efficace pour ici répondant aux attentes de l’époque en question.
Pour terminer ce tour qui n’a rien de cycliste une étape plus au Nord dans la bonne ville d’Auxerre. On aurait pu choisir bien d’autres villes moyennes qui subirent elles-aussi certaines exactions. Mais c’est là que l’auteur fit ses premières études…En le centre jadis, était un beau marché construit dans du métal et donc probablement autour de 1900. Il animait le cœur même de la cité plusieurs fois par semaine. Entre la vie urbaine, la pression des autos, si l’on ajoute à cela une ignorance crasse, le beau marché d’alors fut donc supprimé. Il y a à la place un parking de surface, asséchant complètement ce lieu qui fut d’histoire, comme si une bombe était tombée sur le quartier. Il n’est pas nécessaire qu’une guerre soit déclarée pour que de graves dommages s’exercent dans les cités. La bêtise à elle seule est parfois suffisante.
Parce qu’ils sont innombrables, on arrêtera ici la liste des exemples…
Raison
Retournons donc à Lyon puis plus haut à Saint-Denis.
Dans la Presqu’île d’abord. Quand il aura fallu libérer les espaces des places de stationnement qui les envahissaient, une stratégie complexe sera imaginée. Elle combinait des actes de nature différente mais très coordonnés dans l’espace et le temps. L’accès au centre-ville fut rendu plus aisé par les transports publics avec l’arrivée d’une ligne de métro. Des parkings furent construits sous certaines des places que l’on aura pu dès lors aménager, embellir et rendre aux piétons. Des espaces publics rendus plus accueillants, des parkings accessibles depuis les grands boulevards qui ceinturaient le centre et rendus « désirables » par le soin accordé à l’ambiance créée, une même attention aux stations de métro…Toutes ces transformations eurent pour effet de donner de la valeur au centre et aux espaces, si bien que l’on viendra parfois même de très loin pour les visiter.
Saint-Denis est une ville en banlieue parisienne. Son centre était en passe d’être moins populaire. Les élus de l’époque voulaient qu’on lui redonne ses qualités premières, qu’ils redeviennent ainsi actifs et attractifs. Les places et les rues furent réaménagées, le commerce le marché furent organisés, tandis que les parkings se voyaient rénovés. Mais les transports aussi bénéficièrent alors d’un soin particulier. C’est que les visiteurs venaient pour la plupart des quartiers alentours à pied en bus, en tram. Ne se préoccuper que des parkings du centre n’aurait pas répondu à la réalité des pratiques locales.
De ces exemples ressort que l’on ne peut traiter le stationnement tout seul. Il est un élément d’un système compliqué, l’organisation d’une ville ou celle d’un quartier. Il doit donc intégrer des stratégies complexes embrassant les transports, commerces, espaces publics et même les tarifs ou l’attractivité. Il s’agit au final d’un véritable projet que l’on appelle urbain dont l’ampleur il est vrai peut être plus ou moins grande.
Lucidité :
La situation de notre seule planète oblige que l’on agisse. On ne peut certainement arrêter tout d’un coup. Encore que le Covid ait pris des décisions sans autorisation. Mais restons raisonnables. Des leçons du passé tirons des solutions dont on sait à peu près qu’elles feront avancer. Elles ne sont pas d’ailleurs si légères que cela. Même si la radicalité semblerait nécessaire, on n’a pas certitude qu’elle soit plus efficace. Descendons de nouveau vers le Sud de la France.
Pour dire qu’à Montpellier un projet est mené dans une logique semblable à celle qui fut décrite et il doit s’achever en 2025. Conduits en parallèle à l’échelle de la Ville et de la Métropole, une nouvelle ligne de tram en cours de construction, s’y ajoutent des Bustrams, cent cinquante kilomètres de pistes cyclables. Le principe est ici qu’au sein de la ville dense, dans la partie urbaine, on se déplace à pied, en vélo, en transports. Et ceux qui viennent d’ailleurs laissent à l’extérieur leur auto au parking conçu pour accueillir et pour qu’ils trouvent ici transports ou bien vélo. Les aires de stationnement sont dans ce cas conçues pour que l’on trouve ici les services nécessaires. Et puis naturellement la ville doit fonctionner : seront organisés, livraisons et secours, déménagements…
Une autre position que de dire « plus d’autos ! ». Mais qui a l’avantage d’un certain réalisme. Elle n’est pas non plus simple et demande du courage (au maire par exemple), d’être aussi responsable, s’engageant totalement car elle implique tout le monde élus et habitants, fonctionnaires et acteurs…Elle oblige de surcroît à travailler ensemble, à accepter le temps comme élément structurant. Car il n’est pas possible que devienne opérante une telle stratégie si le service offert par les transports publics ou bien le stationnement est renvoyé plus tard ou si le résultat n’arrive que dans vingt ans.
Créativité :
Toujours à Montpellier, pendant que ce système se construit peu à peu, les quartiers font l’objet d’une rénovation en tentant de répondre aux attentes locales. Les grandes places du centre sont réaménagées comme celle bien connue de la Comédie. Mais on n’est plus aujourd’hui dans le même monde qu’avant, avec les mêmes enjeux. Le parking Comédie, qui était accessible en prenant un tunnel qui traversait le centre, a changé de statut. Cette sorte d’aberration des années 70 a été entre-temps tout simplement coupée. De ce fait le parking a changé de statut devenant un accès pour ceux qui viennent de l’Ouest et non plus comme avant pour tous les visiteurs quelle que soit leur provenance. D’autres parkings en lien assurent ce service de les accueillir selon leur origine.
Changement de statut et donc la décision de l’embellir aussi. Mais son programme lui-même a été adapté aux nouvelles circonstances. Point de ripolinage : une réorganisation qui répond aux enjeux qui sont ceux d’aujourd’hui. Et le premier sous-sol auparavant alloué aux voitures à l’arrêt devient dans son entier une aire pour les vélos. On pourra stationner, y trouver les services dont on aura besoin pour ce nouvel usage comme la réparation…Cet espace deviendra une sorte de « hub vélo ».
Et pour en terminer, passer du monde d’avant à celui d’aujourd’hui en préparant demain n’est pas un moment triste. Mais il faut dépasser les solutions toutes faites et être créatif.