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Billet de blog 2 février 2019

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Le bonheur n'est pas Vital. (17)

«  Cueillons les douceurs : nous n’avons que le temps de notre vie », disent les Perses.

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- Délicieuse, la bûche ; encore un morceau ?
- Pourquoi pas ?
- Je n’ai pas une âme de général. Une société obsédée par le bonheur est déprimée et dépressiogène, et celui-ci y joue un rôle contraphobique ; présenter un visage triste signe désormais une tare. On y oublie que le malheur est l’état normal de la vie, et le bonheur accidentel ; qu’être heureux relève bien plus de la stochastique que de la politique ; aussi certains en sont-ils venus à considérer le bonheur comme un dû : son absence pointe un dysfonctionnement en soi ou dans la société. Puisque nous ne pouvons réformer l’état des choses nous sérine-t-on, eu égard à notre position au terminus de l’Histoire, il faut coûte que coûte apprendre à être heureux ; bien entendu, ne pas susurrer que certains fixateurs de cette borne ultime par ruse ou par force, ont ôté aux autres tout pouvoir économique, politique, culturel et symbolique permettant d’accéder au bonheur hors présentoir .


Tantôt Swakop se jetant tête première dans une mer de sable où s’évanouit le rêve jubilatoire d’infini océanique, tantôt Okavango qui, s’ouvrant telle une main d’où filerait le fluide alors que déjà le grand large le caresse de ses embruns salés, les assoiffés de bonheur à l’instar de ces fleuves par l’aridité du désert, se voient aspirés par le dédale de désirs contradictoires qui les inspirent : les voici de retour à un âge où domine sans partage le principe d’analogie : rêve et réalité intimement liés, l’un écho de l’autre. - - Eh jeune homme, mange donc ta bûche !- - Faire dépendre son bonheur d’un objet non maîtrisable est se condamner à un éternel malheur ; or que contrôles-tu ? Ta santé ? Ta fortune ? Ta vie ? L’amour de ta femme ?


Non ! Rien de tout cela ne dépend de toi, mais néanmoins tu as le toupet de t’estimer heureux. Crois-moi, le bonheur est un luxe dont il faut rapidement se départir : j’en ai définitivement pris congé : jusqu’à présent il s’est obstiné à gâcher le peu de temps qui m’a été imparti sur terre. Eternels mendiants vous avez perdu la notion que la souffrance est l’archétype de notre présence au monde, sa porte d’entrée, mais aussi de sortie : l’expérience humaine est essentiellement souffrante.

- Encore un morceau de bûche arrosée d’élixir de Pierre ?

- Point de saburre.

- Non pas que la reconnaissance du malheur comme régime ordinaire de la vie me soit peccavi, l’objet de mon interrogation est celui du pourquoi de cette souffrance. Certains affirment que c’est afin d’expier le crime d’être né ; ainsi est-il des civilisations qui ayant pris conscience de ce fait, obligent la parturiente à nommer le criminel géniteur de qui l’enfant devra porter le nom afin que celui-là ne puisse à aucun moment se soustraire aux obligations inhérentes à son forfait. Souffrir en échange du désir de vivre, volonté de résister au changement, à l’ordre naturel des choses, à la désorganisation native et perpétuelle du monde ; valeur épurative de la souffrance comme mise à l’épreuve par Dieu pour accéder au Paradis : celui qui en triomphe sort épuré après avoir apuré ses dettes envers le Très-Haut.


Il y a aussi des gens non moins respectables qui pensent que, désordre dans ordre, la souffrance est nécessaire à l’avènement du Bien. Nous avons tous à un moment de notre vie ressenti la souffrance comme mesure de la distance séparant le désir du plaisir. Nul n’ignore qu’une vie sans douleur est sans saveur, et qu’une vie sans saveur n’est que douleur... - - J’ai la gorge sèche, merci- -... «  Cueillons les douceurs : nous n’avons que le temps de notre vie », disent les Perses.


- Le temps de notre vie, ou la vie de notre temps ? Je préfère et de loin, le bonheur de la vertu à la vertu du bonheur sur gondole. Une année s’en va, une année s’en vient ; entre ceux qui partent et ceux qui restent, ceux qui désespèrent et ceux qui espèrent, entre la croissance exponentielle de l’opulence de quelques uns et l’humanité de tous qui décroît indéfiniment, le mensonge-vertu et la vérité-vice, l’hypocrisie demeure le seul lien solidaire possible ; la vie a le Malheur pour horizon indépassable : heureux ceux qui vivent de désespoir, source intarissable.


L’incertitude absolue de la minute prochaine gouverne mon existence, mon éthique est celle d’un monde adverse ; je me sens inapte à l’époque présente. La vie m’ayant exilé de son grand arroi dès ma conception, je figure parmi ces nombreux emparés par le désarroi de l’Histoire, l’air du temps. Rature inachevée de la nature, je me demande après quoi courez-vous ; car bien qu’ayant peu exigé de la vie, elle m’a encore bien moins cédé même en gage, me tenant invariablement ce langage : « LE BONHEUR N’EST PAS VITAL »


- Ici finit le livre, mais non la quête.

( La suite demain)

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