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Billet de blog 4 février 2019

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Le bonheur n'est pas Vital. (19)

D’une imperturbable mutité, il nous renvoie à nos fantasmes : dévêtue, cette fille nous déshabille ; « Toutes les femmes sont des putes sauf ma mère ». Idée fixe mais fausse.

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- Le livre ?
- J’hésite encore.
- Le tableau ?
- L’Origine du monde. Ce portrait peint par Gustave Courbet peut te paraître un peu scabreux dans une cellule de monacale mais à y bien réfléchir, le lieu ne me semble nullement incongru.
- N’est-ce pas plangorner que de s’y encombrer de pareil compagnon ?
- Le corps de la femme est pour le vir le premier territoire de conquête : la seule patrie digne de mériter la mort d’un homme est le sexe d’une femme. Dieu n’est-il pas selon les Ecritures, la source de tout ? Où mieux qu’au fond de la chambrette humide d’un moutier d’une part longuement méditer sur Dieu origine du monde, et de l’autre observer, examiner, admirer ce tableau qui au musée d’Orsay ne réussit à capter le regard d’un homme qu’une minute ou deux trois tout au plus, la plupart des visiteurs ne l’entrevoyant qu’à la dérobée, d’un pas pressé quitte à repasser quelques heures plus tard ?


Si j’avais été Courbet, je l’aurais baptisé non pas L’Origine du monde, mais L’Enigme des origines car cette peinture est prodigieusement énigmatique. Que voit-on sur cette toile au cadrage si serré qu’il interdit à l’œil de resquiller, ou plutôt qu’y-a-t-il au-delà de celle-ci ? Que me veut ce sexe, honneur ou déshonneur ?... Telle est la question se posant à tout homme mis en vis-à-vis : au médecin, le message est clair: « Veuillez bien me tirer de ce mauvais pas » ; à l’amant aussi : «  Fais-moi plaisir » ; mais ici, quelle chanson chante-t-il au spectateur ? Femme de face comme vue de dos, inconnue car son visage échappe ; qui n’aurait souhaité apercevoir le moindre regard d’amour ou de haine, un œil humide ou sec, en mydriase ou myosis ? Pas le moindre secours venant de cette Ève dont on ne voit pas les yeux qui soupirail de l’âme, auraient pu être capables de délivrer une expression même vague mais laissant deviner bien plus qu’elle n’aurait exprimé.


Tout vir découvrant cette peinture ne peut ne pas être frappé de cet effroi sacré qu’on nomme thambos : elle s’avère scandale scandant la puissance du sexe de la femme. Ainsi exposé, exhibé, cet organe le regarde, lui cingle la vue comme une gifle par un temps glacial ; impossible d’insister. Paradis inaccessible mais non interdit, cible des projections du désir masculin, il est hautement dérangeant. Ce nu incommode car la femme qui rabat son voile sur le visage invite ainsi l’homme à la dévoiler afin de la découvrir comme objet de désir érotique ; elle voile son corps pour mieux dévoiler son désir d’être couverte par l’homme ; c’est pourquoi cette représentation révèle la tyrannie de cette jouissance de la femme intouchée, intouchable qui montre autre chose qu’elle offre à voir.


Comment rester de marbre devant ce soleil de midi d’un 15 août qui oblige non pas à cligner des yeux mais à les fermer pour mieux voir ? Le regarder en face éblouit ou brûle car c’est scruter le centre du centre, la chambre du magma, l’hypocentre où bat à plein le plus grand mystère du monde. Image secrète d’un objet secret, image dissimulée d’un objet appelé par essence à être couvert d’un voile sacré nécessitant rituel de dévoilement, elle est aussi icône, païenne ou chrétienne : hommage à la sexualité prémices de fécondité, ou bouche avalant l’hostie qu’elle vient de recevoir.


Et l’élégance des lignes, et la beauté des couleurs s’avèrent incapables de l’en détacher même si le regard telle une ombre jette par-dessus un voile de pudeur, signe d’interdit, d’inter(-) dit. Que choisir devant cette nudité ?... le bavardage comme vêtement, camisole entravant l’éruption des résurgences libidinales préverbales, ou le silence couverture d’une culpabilité latente ? Sexe entr’ouvert comme bouche d’un dormeur faisant la sieste, temps de philosophie, d’esthétique et de paix avec soi-même et avec les autres ; pour moi, pour lui, quel dialogue face à cette impression de tranquillité, de sérénité, de satisfaction ?


La finesse des grandes lèvres ébauchant un sourire ou finissant une moue c’est selon, contraste avec l’imagerie populaire d’une jouisseuse lippue. Miroir renvoyant aux angoisses archaïques, cette bouche narquoise et mystérieuse n’en dit que trop, trop peu, ou rien : prose, poésie, comédie, drame ou tragédie, tout est là dans cette moue. Rêve ou réalité ? Hallucination ? Ce tableau déstabilise tout vir : est-ce l’apparence du sexe résumé de texte ou l’apparition, irruption du sexe de la femme dans la psyché du mâle qui rend si mal à l’aise ? Pas de récit possible hors de notre propre imaginaire : pas d’avant, pas d’après ; ce sexe se joue de notre incapacité à dire ce qu’il souhaite.


Certains ont perdu la parole en parcourant un camp de concentration, moi ce fut le 12 juillet 1998 ; le drapeau tricolore BLACK-BLANC- BEUR flottait au firmament : la France championne du monde footballistique, et les Français enthousiastes. Reçu un soir lors d’une visite privée, ce horion de Courbet me sidéra. Seul sans compagnon ni compagne, sans accompagnateur ; seul face à ça ! Seul comme quand on naît ou meurt. Seul ! Mort de la réflexion, naissance de l’émotion.


Que suggère-t-il ? Nulle allégorie ni écoinçon pour nous servir de guide. D’une imperturbable mutité, il nous renvoie à nos fantasmes : dévêtue, cette fille nous déshabille ; « Toutes les femmes sont des putes sauf ma mère ». Idée fixe mais fausse. Peut-être cette femme nous révèle –t- elle à nous-mêmes, et que le féminin ressurgit en nous tel un rappel du refoulé d’où notre malaise devant ce tableau ?... à moins que ce mal-être ne résulte d’une frayeur devant un éventuel retour du matriarcat castrateur et doué d’une jouissance chaotique, jouissance sans limite de et par l’autre au lieu de jouir dans les limites de l’autre ? Face à la réalité, il nous faut prendre position ; aussi commençons par nous situer : s’est-il déjà produit quelque chose avant notre venue, devons-nous nous attendre à l’arrivée d’un événement, ou bien avons-nous des raisons de penser que rien n’est advenu, ni ne surviendra ? À ce point de notre questionnement, mettons-nous dans la peau de l’inspecteur G.

(La suite, demain)

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