Jean-Pierre KAYEMBA (avatar)

Jean-Pierre KAYEMBA

D'HIER À AUJOURD'HUI, ET PEUT-ÊTRE DEMAIN.

Abonné·e de Mediapart

239 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 mars 2019

Jean-Pierre KAYEMBA (avatar)

Jean-Pierre KAYEMBA

D'HIER À AUJOURD'HUI, ET PEUT-ÊTRE DEMAIN.

Abonné·e de Mediapart

APRÈS LE BOGANDA* SECOND (18)

Quand la parole tarit le corps devient langage, et son mouvement verbe doué de sens ; la danse ?... discours avec exorde, corps du sujet, péroraison ; le refrain fini, le combat commence.

Jean-Pierre KAYEMBA (avatar)

Jean-Pierre KAYEMBA

D'HIER À AUJOURD'HUI, ET PEUT-ÊTRE DEMAIN.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand la parole tarit le corps devient langage, et son mouvement verbe doué de sens ; la danse ?... discours avec exorde, corps du sujet, péroraison ; le refrain fini, le combat commence. Roberto recule sa jambe gauche d’un bon pas, l’avance d’une demi-longueur en la décalant sur le côté et vlan ! ... voilà son pied droit au niveau de ma tête. Cocorhina ! m’écrié-je. Cette esquive me met accroupi avec les mains de part et d’autre de mon visage. Le temps de le dire, en pivot sur mon membre inférieur droit, me voici qui par une rotation arrière lance l’autre vers mon adversaire ; mon attaque échoue car Robert Macaire exécute un beau salto arrière avec vrille qui lui permet de se mettre en negativa ; assis sur un talon, son pied droit au genou plié est placé légèrement de côté ; puis déplaçant son centre de gravité, il propulse vers l’avant sa jambe gauche partie de l’arrière et me frappe sur le flanc droit au moment même où je décolle pour réaliser une roue : patatras !... Je suis par terre  mais Dieu merci debout aussitôt et, par un jeu de jambes, de bras et des contorsions du corps, tente d’intimider, de tromper Roberto afin qu’il ne devine pas où, quand ni comment je frapperai. Les deux mains au sol la gauche entre les cuisses et la droite en arrière, je feins de lui infliger un beau mei-lua de compasso ; alors qu’il prépare l’esquive par une hyperextension du tronc, je bondis et lui prends le buste entre mes malléoles ; n’ayant plus de point d’appui, il tombe mais instantanément déjà debout, me terrasse par une resteira, mouvement de déséquilibre avec jambe en pivot fléchie tandis que l’autre tourne dressée vers l’avant.

Les instruments de musique s’excitent l’un l’autre, les voix montent de plus en plus haut, le rythme et la variété des figures - - roue, étoile, salto avant, arrière avec ou sans vrille, crocs-en jambe --, se multiplient, s’enchaînent sans répit pendant trois heures ; puis le Fils-de-la-Muse signe la fin de la compétition donc le début de la notation. Du point de vue technique, Roberto est meilleur que moi de l’avis de presque tous ; mais chez moi l’amplitude des mouvements, la liaison des cycles d’exercices, l’harmonie du jeu dans son ensemble est de très haute tenue. Les additions et divisions lui attribuant la moyenne la plus haute, il enlève la partie ; Rose essuie discrètement une larme, mes yeux sont désert d’Atacama : un homme ça ne pleure pas. Que ne suis-je femme pour pleurer de tout mon saoul !

Où se terrer après pareille déconvenue ? Nulle part ailleurs que dans une église, non pas à la cathédrale où circule à mon goût un peu trop de monde mais à Notre-Dame des Vallées, vestige ayant jadis appartenu à une abbaye florissante. On y accède par un chemin vicinal sinueux traversant la forêt domaniale éponyme. Pierres qui rient, pierres qui prient ; pierres qui pleurent, pierres qui leurrent par leurs grimaces. Pierre symbole d’une connaissance totale et figée, l’église Notre-Dame des Vallées est aussi et surtout pierre qui parle à qui sait l’entendre. Alliage de remords et d’espoirs déçus, elle porte le poids de la souffrance de ses fidèles et le surpoids de la trahison de ses élites. À l’origine modeste chapelle, elle devint paroisse puis collégiale à la fin du douzième siècle. Si le niveau inférieur du transept et les tours et le chevet sont romans, la nef les collatéraux et la façade ouest relèvent du premier art gothique alors que son portail ressortit au flamboyant. Nef à quatre niveaux, grandes arcades, vastes tribunes, faux triforium et hautes fenêtres riches de somptueux vitraux dont L’Enfance du Christ offert par la corporation des tonneliers et, payé par les arbalétriers, Saint-Georges terrassant le dragon en faisait une très belle église. Son carillon aux soixante-trois clochettes confinait à ce que l’on en dit encore, à la merveille. De par ce qui semble avoir été l’harmonie de leurs proportions, leur sobriété et leur agencement les ruines de la nef et des absides laissent suggérer que ce fut toujours comme aujourd’hui un lieu de calme et de recueillement baigné par une douce lumière équitablement répartie.

Avec un peu d’imagination l’on peut à partir de l’emplacement des piliers supportant les colonnettes isolées encadrant l’entrée de chacune des chapelles rayonnantes, ressentir l’effet de rotonde produit par le déambulatoire. Quatorzième siècle chrétien. La messe a commencé depuis déjà un moment. La voix du chœur portée par un son absorbé ou réfléchi diffusant dans toutes les directions et interagissant avec les différents matériaux rencontrés - - roche, mortier, bois, métal, verre, - - parvient aux oreilles de l’assemblée par vagues successives après réverbération. Elle se répand, s’étale ; les notes s’enlacent, s’entrelacent et, soutenues par le bourdonnement ininterrompu à la tonalité sinueuse de l’orgue, s’élèvent majestueusement alors que le chant passe de la déploration aux louanges.

(La suite, demain)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.