Je découvre comme prolongement profane du travail des serviteurs de Dieu, un enclos avec large promenade ambiante bornée par un parterre de lierre. Les cinq sens vue, odorat, ouïe, toucher, goût y sont convoqués afin d’exalter le plaisir. On pénètre en ce jardin dit de curé car à vocation tant utilitaire qu’ornementale (mélange de plantes potagères, aromatiques, médicinales, fleuries), par un anachronique portail ...moderne ouvrant sur un escalier de comblanchien : le jardinet a été tracé dans l’excavation d’où ont été tirés les matériaux ayant servi à bâtir puis transformer l’église. Sphère, rectangle et carré résument les trois formes dominantes. Sphère : rondeur d’esprit et éternel recommencement où le pareil n’est jamais le même, mouvement qui sur plan se fige en cercle ; rectangle : carré multiple, droiture et largesse de jugement ; emboîtés les uns dans les autres ou juxtaposés avec des allées de gravier blanc plus ou moins larges comme solution de continuité, le carré est partout, il écrase tout ; le carré rectitude et perfection, à moins qu’il s’agisse de rigidité et de paranoïa ou peut-être ainsi que le pensent certains, de moyeu de la roue de l’univers ; le carré n’est-il pas la clef ouvrant les serrures protégeant des trésors convoités ? Alpha et oméga des formes géométriques, par soustraction il nous donne le triangle, par addition le rectangle, et dans une combinaison alliant soustraction et multiplication aboutit au cercle.
Coulant sur un axe nord-sud, un ruisselet sourd entre les roches, serpente parmi les pâtés de plantes avant de s’engouffrer dans un collecteur puis disparaître sous terre ; d’un pas, le voici enjambé. Vu de haut c’est, bordé par un muret servant de banc ou de lit, -- hauteur et largeur idoines--, un damier de plusieurs cases gigognes avec aux quatre points cardinaux un buis taillé en boule séparé du voisin par une planche de pelouse que décore en son milieu un sillon de cailloux. De biais ou de face j’avance par des sentiers étroits vers la croix latine orientée est-ouest qui trône au centre de gravité du clos à l’intersection des médianes d’un carré multicolore de fleurs poussant en désordre : chrysanthèmes, pensées, bruyère d’automne ; d’un port souple, un trio d’asters déploie un tableau alliant un bleu tirant sur le violet à un blanc nuageux avec cœur jaune, et des fleurs doubles d’un rose intense; chaque coin de ce parterre empiète sur la moitié d’un des quatre carreaux circonscrits portant à chaque bout d’une des diagonales, thym, laurier, ou fenouil, et au centre une masse de fruits allant de l’isabelle au rouge sang appendus à quelques plants de tomates effeuillés au pied mais à la chevelure encore bien fournie. Traversant un couloir de gravillons, j’atteins le côté d’un pavé de seize cases dont le premier porte du millepertuis et de la tanaisie ou Tanacetum vulgare, vermifuge naturel que l’on prend sous forme de tisane matin et soir pendant une semaine d’affilée; sur le suivant pousse de la citronnelle tandis que le second offre à voir des framboisiers encore ornés de quelques grappes mures avec ici des échalotes grises qu’on vient de planter alors que là des choux de Bruxelles ou de Chine ont été récemment arrachés; sur la dernière ligne, des pommes accrochées à quelques arbres nains.
Du lundi au samedi, hadji apocryphe je reviendrai ici commençant ma visite soit par Notre-Dame soit par le jardin, mêlant prières impies à Bès, Terpsichore ou Hestia, à celles orthodoxes dédiées à Isabel De Flores Y Del Olivia alias sainte Rose qui a accompli le prodige de savoir lire sans jamais l’avoir appris. Il m’a été assuré que pendant des siècles se déroulaient en ces lieux un pèlerinage en l’honneur de cette Vierge américaine dont la seule évocation du nom suffisait pour que s’opèrent des miracles. Pourquoi pas un de plus dimanche prochain, bien chère sainte Rose ?...
(La suite, demain)