Le lendemain à l’aube, la zuba s’empara de Garabinzam : femmes et hommes initiés ou non, enfants et parents, jeunes et vieux, tout le monde chantait et dansait. Le village était en liesse : tam-tams, grelots, idiophones, xylophones, arcs-en-bouche formaient à l’échelle de la cité un orchestre symphonique soutenant chanteuses et chanteurs. Mèkoozi et Megolaa dansaient ou déambulaient, prenaient du repos parfois. À la tombée de la nuit en compagnie de Diibèzok son parrain, le postulant regagna une hutte accotée à la maison paternelle ; A-Ndang et le directoire du Grand Conseil des Initiés au complet l’y attendaient: il était temps d’expliciter les tenants et aboutissants du beka. Arrosé de boganda, un plantureux repas de banane plantain accompagné de bons morceaux d’antilope fut une agréable entrée en matière.
Nous n’étions pas très loin du premier chant du coq lorsqu’A-Ndang demanda au parrain de prendre la parole après qu’on eut débarrassé les lieux des derniers reliefs et des feuilles de Marantaceae magaphrynium ayant servi d’assiette : «La circoncision est pour les garçons, le premier rite d’initiation ; elle-même accompagnement de la nature par la culture afin de donner un sens à la vie en commun. Pourquoi circoncire ?... Pour faire passer le garçon du statut de mineur quel que soit son âge, à celui de majeur ; lui permettre de quitter le monde des femmes, pour celui des hommes. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que le rite de la circoncision bien qu’immuable dans sa philosophie fondatrice a beaucoup évolué dans son expression grâce aux apports venus du pays kota mais aussi des rives de la Djaa, de la Ngoko, la Ndoki et de la Sangha. Le kaar originel se distinguait par des chants crus et danses aux mouvements langoureux de type gomaya puis, devant l’avancée des Djem poussés par les Fang lors de l’expansion des peuples du Nord-Cameroun, les Kwil passant en pays kota dans la région d’Odzala s’enrichirent des chants allusifs soutenus par des danses sensuelles et parodiques de la moga propres à leurs hôtes du moment ; parvenus à Biessi, ils se séparèrent en deux groupes : l’un obliqua vers Sèèb, l’autre du côté de la Djaa. Venu du grand bassin de la Sangha, le beka fut une innovation majeure : alors que dans le kaar la circoncision se passait dans le kuro en pleine forêt, le beka - -BEE KA !... (REGARDEZ DONC !...) - - se déroule en place publique. On pense généralement qu’il a été introduit dans la région de Sèèb dans les années 1928, époque où le pays connut de grands troubles : dégâts du travail forcé pour la récolte du caoutchouc ou l’alimentation cette machine à tuer que fut la construction du chemin de fer, secousses de la guerre du kongo-wara encore appelée Révolte des Gbaya réprimée par l’administration coloniale avec une atrocité atteignant dans sa violence des sommets encore jusque-là inexplorés et n’ayant rien à envier aux joyeusetés d’Oradour-sur-Glane. Bouleversant l’ancien kaar dans son expression scénographique, la révolution beka provoqua une querelle ouverte qui a laissé des traces entre les traditionnalistes menés par Ziel, et Ndjombo le chef des réformateurs qui intégraient les nouveaux éléments. Selon Ziel, Ndjombo et les siens méritaient le gibet car ils osaient s’attaquer à une tradition multimillénaire remontant à la naissance même des Mèkeè dont les Kwil constituent le groupe ethnique pivot. Les modernes reprochaient à leurs adversaires de circoncire dans le kuro en forêt, c’est-à-dire de manière clandestine avec grand risque de manipulation du résultat à l’épreuve, mais aussi de se complaire à se vautrer dans l’obscénité de la ballimathia, incapables qu’ils étaient de goûter à la finesse de l’érotisme que déroule le beka. Ndjombo pensait aussi qu’au lieu de se cramponner à l’antique feuille de bananier, les tenants de l’ancienne méthode devraient adopter la moderne clochette, et qu’en réduisant à trois ou quatre jours sa durée le rite gagnerait en intensité émotionnelle. Après d’âpres luttes et excommunications réciproques dans l’expression de cette philosophie commune, sans conteste le beka triompha du kaar même si celui-ci réapparaît en filigrane de temps en temps dans le déroulement de la cérémonie. Quels sont les droits et devoirs du boto c’est-à-dire le circoncis initié par rapport au zibo l’incirconcis ? Bien que question sexualité mise entre parenthèses le sort du zibo soit plus enviable, il confine à celui du cagot français. À un zibo il est interdit certaines activités considérées comme viriles : affronter un circoncis à la lutte par exemple. Il ne peut devant un boto, ni manger, ni même nommer certains animaux tels l’achatine, le porc-épic, la vipère, la tortue, bref toute bête évoquant le pénis à un titre ou un autre. De même il ne doit fut-ce par mégarde apercevoir la nudité d’un circoncis, heurter celui-ci ou laisser tomber quelque objet sur lui. Devrais-je te rappeler que l’incirconcis est l’objet d’incessants quolibets de la part des initiés qui le traitent de sale par essence ?... qu’il est déshonorant pour une femme kwil d’avoir des relations sexuelles avec un incirconcis, et carrément horrifiant pour un initié d’aller avec pareille femme ? ... Par ailleurs tu n’ignores pas que parole de zibo est parole mineure. Les infractions donnent lieu à des peines allant de l’amende à la circoncision ad abrupto sans anesthésie ni préparation physico-psychologico-mystique. Si le boto a des droits indéniables, il a aussi des devoirs irrécusables : maintenir très haut l’honneur de sa famille, son clan, son ethnie ; être le plus courageux parmi les courageux, le plus généreux d’entre les généreux, magnanime dans la victoire, tenace dans l’adversité. La circoncision rituelle en place publique étant un rite d’initiation, elle comporte des interdits : point de nudisme du boto en compagnie de zibo ; défense de dévoiler l’identité des danseurs portant visages d’esprit lors du mwangala ou ngondo, cette infraction entraînant automatiquement l’exclusion définitive de la confrérie des circoncis est notifiée par l’expression « plantage du palmier à huile » qui lui confère son caractère définitif, perpétuel et transmissible de génération en génération avec déclinaison sous forme d’opprobre pour tous les membres du clan en ligne directe, collatérale ou alliée. Le beka est pour les garçons, la première initiation ; en lui conférant la capacité sexuelle sociale, il l’adultise et donne sens à sa vie à travers des épreuves visant à le transformer tant physiquement psychiquement qu’émotionnellement, le rendant prêt à assumer son nouvel état ; nul ne peut accéder au statut d’adulte avant d’avoir payé son tribut à la souffrance : voilà l’essence de l’initiation, savoir qui s’éprouve mais toujours et d’abord épreuve d’une émotion avant acquisition d’un savoir car savoir sans épreuve ou épreuve sans savoir sont étrangers à notre culture. L’initiation est un fleuve plein de méandres et de lenteurs plus ou moins visqueuses révélant le secret de la jouissance : c’est un savoir-être pour jouir par un dévoilement progressif de la vérité, introduction dans la connaissance. Le beka est la rupture définitive avec la bissexualité originelle et l’assignation définitive au sexe masculin. La perte du prépuce est perte d’un canal vaginal imaginaire : la circoncision rituelle en place publique est une castration symbolique. Concernant exclusivement les hommes dans sa facture physique, elle ne se désintéresse pas pour autant des femmes dans son expression symbolique. Avec ses faux pénis, ses gestes plus ou moins érotiques soutenus par des chants qui prennent en dérision la puissance surfaite donc indue du pénis dans la relation hétérosexuelle, la zuba est une danse cosmique, point de jonction sur terre de deux drames qui à chaque instant peuvent verser dans la tragédie : le triomphe à l’épreuve de beka donne droit à la jouissance hétérosexuelle, mais que faire de cette jouissance ? Là commencent les ennuis car en conférant la capacité sexuelle sociale à l’adolescent, la circoncision rituelle en place publique l’arrache définitivement au monde des femmes afin de le rendre digne de celles-ci : le sexe de la femme ayant naturellement une morphologie parfaite, c’est crime que d’oser vouloir y toucher si peu soit-il ; aussi, afin de mériter la prérogative d’approcher cette perfection, le garçon doit-il être circoncis. Il ne t’a pas échappé que ton père a choisi Megolaa ta sœur juste pubère pour être ta marraine. Torse nu, affublée d’une jupe de raphia descendant jusqu’aux genoux, tout comme toi devenu ben, elle porte en bandoulière se croisant entre ses deux seins deux tiges de Solanum macrocarpon. Elle est tenue de te suivre partout où tu déambuleras dans le village, collectant tout ce qui éventuellement tombera de ton costume. Les femmes sont physiquement par leurs chants et danses, mais aussi symboliquement partie prenante du beka : si la défloration constate l’aptitude physique de la fille à la relation hétérosexuelle, le beka en confère au garçon la capacité sociale. Rite de passage d’un état à un autre, transition du fœtus au nourrisson, notre circoncision symbolise une sorte de nouvelle naissance du garçon presque femme à celui d’homme digne des femmes ; il revient à la lignée maternelle donc à moi Diibèzok ton oncle maternel autrement appelé mère masculine, de te soutenir physiquement, psychologiquement et mystiquement lors de ce travail mise au monde de novo ; aussi suis-je très flatté et honoré que ton père A-Ndang que les Blancs,-- je me demande bien pourquoi--, appellent Andam m’ait choisi pour t’accompagner dans cette noble aventure. Au cours de cette épreuve où nul ne lésinera sur son soutien, tu devras faire appel au sens de l’honneur de ta famille, de ton clan, de l’ethnie kwil, de la confrérie des circoncis car le déshonneur tache indélébile se répandra sur nous deux jusqu’à la sixième génération. »
Diibèzok se tut mais au loin les tam-tams continuaient de résonner, et les chants dansés de s’élancer à l’assaut du ciel nocturne. À la deuxième série des cocoricos on permit à Mèkoozi d’aller somnoler quelque peu tandis que le directoire du Grand Conseil des:Initiés veillait.À l’aube du vendredi 13 juillet Diibèzôk réveilla son filleul et, dans cette hutte de réclusion lui tailla les ongles, rasa la tête, les aisselles, le pubis ; tous ces phanères soigneusement récupérés furent empaquetés puis remis à A-Ndang. Le parrain badigeonna les pieds du ben de kaa, et le reste du corps fut oint d’une huile secrète. Après cette toilette approfondie, il lui fit offrir un copieux repas de banane plantain et de viande de gazelle cuite à la sauce ndiak ( tourteaux râpés du fruit de l’Irvingia gabonensis) puis lui fit revêtir un dakuot, quasi indéfectible cache-sexe en raphia ; c’est une tenue de combat. Son port par le ben signifie d’une part que celui-ci est appelé à livrer une lutte dont il doit nécessairement sortir vainqueur, et de l’autre que sa nudité ne pourra plus souffrir une exposition intempestive, la liste des élus excluant impérativement tant ceux prescrits par les lois régissant le tabou de l’inceste, que les non- initiés. Ce sous-vêtement est recouvert de peaux de caracal aurata descendant jusqu’aux mollets voire aux chevilles : c’est la tenue de sortie du ben ou postulant déclaré au rite de la circoncision. On chanta et dansa toute la journée et la nuit puis vers vingt-deux heures, Diibèzok, Mèkoozi, Megolaa avec certains initiés du Directoire regagnèrent le brasier brûlant devant la hutte au lieu même où le parrain avait expliqué au filleul les tenants et aboutissants de la circoncision rituelle en place publique : il fallait rendre hommage au dieu du feu et ordonnateur des présages. La famille apprêta une natte et un banc jamais utilisés. Diibèzok alla chercher Mèkoozi et le plaça devant le feu alors que de partout s’élevaient chants et résonnaient pas de danse. Tchik-Ina la tante paternelle défit la natte, l’étala, posa le banc dessus puis installa son neveu assis face au brasier. Elle posa entre les pieds du ben un zong qui servira plus tard quand Mèkoozi voudra prendre femme. Ce fut alors que le parrain tenant à la main droite un coq servant d’éventail à son filleul, exigea de celui-ci qu’il confessât publiquement devant sa famille et le collège des initiés, ses travers et tous les torts à autrui, et qu’il promît à son père, sa sœur, sa tante paternelle et aux circoncis ci-présents non seulement de réparer, mais aussi de ne pas rechuter ; après quoi l’oncle maternel remit au neveu un rejet de bananier espèce d’ange gardien végétal ayant la propriété de soutenir moralement le postulant dans son travail d’évolution vers le Bien. Pendant ce cérémonial, les initiés exécutaient des danses à démonstration pornographique. Toujours escorté de chanteurs-danseurs Diibèzok et son monde s’ébranlèrent vers le dimandi peu après minuit. Situé dans une vaste clairière éclairée a giorno par une nouvelle lune trônant dans un ciel sans nuage, le dimandi, lieu de préparation physique, psychologique et mystique du ben a comme règle d’or l’évitement de tout conflit. C’est une véritable place forte avec sa cohorte de gardes-frontières contrôlant tout ce qui entre ou sort, sa police chargée du maintien de l’ordre, son service de douanes vérifiant tout plat venu de l’extérieur, ses inspecteurs intraitables sur la conformité des faits et gestes de chacun avec le rituel, son préfet faisant exécuter les directives émises par le directoire du Grand Conseil des Initiés. Durant cette nuit de veillée d’armes, cette aire sacrée connut une effervescence paroxystique : dès le deuxième chant du coq, débuta le mwangala du nom d’une petite antilope au poil roux ; c’était la danse de révélation des mystères du beka. Après qu’il eut bu un breuvage hallucinogène et quelque peu anesthésiante à base d’Iboga, Mèkoozi fut installé juché sur une souche placée à mi-chemin entre la circonférence d’un cercle formé par les membres du Grand Conseil, et le centre occupé par deux danseurs masqués nus affalés tête-bêche agitant chacun une touffe de raphia au-dessus de sa tête. Dès que la périphérie eut entonné le chant de circonstance, les danseurs bondirent et se trémoussèrent en faisant tournoyer leurs touffes de raphia ; à la chute de la chanson, les deux hommes s’effondrèrent puis tout recommença jusqu’à chorégraphie parfaite visualisant une musique irréprochable : nu et masqué, le maître de cérémonie s’écria : « L’animal est pris ! Le mwangala est pris ! » Tout le monde laissa éclater sa joie. Puisque Mèkoozi était un candidat de haute lignée, au quatrième chant du coq, on eut droit chose rare, au ngondo mot argotique pour désigner le chimpanzé chez les initiés. Ici, il s’agissait de « blesser l’animal ». Nus et portant visages d’esprit, les initiés chantant et dansant formèrent un cercle emprisonnant Mèkoozi et le ngondo masqué exécutant des grimaces simiesques et tenant à la bouche un tondolo (Afromomun giganterum), d’une marantacée multifoliée à longue tige, fruit cannelé rouge dont les chimpanzés et les gorilles sont très friands. Pour Mèkoozi, le but du jeu était de « blesser l’animal » qui tout naturellement s’évertuait à faire échouer l’entreprise. Au début, le très grand rayon du cercle facilitait la tâche du « chimpanzé » ; mais au fur et à mesure que s’écoulait le temps, la ronde se rétrécissait, et le ben finit par « blesser l’animal » c’est-à-dire immobiliser celui-ci en tirant légèrement sur son membre viril. Alors chants et danses s’arrêtèrent, et tout le monde de hurler : « Le ngondo est blessé ! L’animal est blessé ! » Pendant ce temps, Nagak le chirurgien en chef et Tumbapètè son assistant se préparaient tant psychologiquement que mystiquement par maints artifices à être à la hauteur du crédit et de l’honneur placés en eux par A-Ndang : leur échec était l’unique ambition polarisant leurs rivaux délaissés.
Déjà le soleil était debout, et toujours en chants et danses le groupe quitta la forêt pour le village où se déroulerait le bolendo, jeu consistant à exiger du candidat d’exécuter une tâche que l’on sait irréalisable ; par exemple monter cueillir le fruit d’un arbre en grimpant dos contre fût. Sous un aspect ludique, le ben est confronté au tragique du principe de réalité. Durant toute la matinée du samedi, sous le châtaignier tropical planté par l’oberskhöner Müller du temps que Garabinzam était possession allemande, une partie des initiés s’était attachée à construire le kito, estrade rectangulaire servant de bloc opératoire à ciel ouvert. Alors que chants et danses atteignaient leur acmé en ce samedi 14 juillet 1956, vers quinze heures, perché sur les épaules de son oncle maternel et parrain Diibèzok chantant et gesticulant, le visage peint au kaolin afin d’être reconnu de tous, agitant en sceptre deux baguettes ornées d’une touffe de lanières en peau de cercopithèque de Brazza, telle une écume Mèkoozi le ben dominant la marée noire des badauds, curieux, participants, semblait surnager sur le ballet d’hommes et de femmes qui l’accompagna jusqu’à l’orée de la zone interdite du kito : femmes et non-initiés refluèrent alors vers le fond sud du village tandis qu’au nord, badigeonné de kaolin et de kaa (poudre rouge ou pourpre obtenue à partir de l’écorce du Pterocarpus Soyauxii ), la tête huppée de plumes d’oiseaux multicolores, coutelas-bistouri au clair, de la forêt surgit en exécutant une danse macabre avec moult pirouettes, Nagak le djil suivi de Tumbapètè son assistant ; à la taille du chirurgien pendaient des peaux de coracal, aux chevilles tintaient des grelots. Affublées de faux pénis des chanteuses louant sa cruauté passée dans la légende, l’escortèrent jusqu’à la ligne de démarcation séparant le monde initié du profane. Diibèzok entouré de danseuses et portant toujours son filleul sur ses épaules, entonna alors un chant exaltant l’héroïsme atavique du clan A-Ndang ; la limite profane atteinte, tel un jusant, les femmes refluèrent tandis que parrain et filleul montaient au kito où les attendaient Nagak, Tumbapètè, tous les membres du Directoire du Grand Conseil des Initiés et, perchés sur les épaules des initiés les plus grands, trois inspecteurs chargés d’attester l’impassibilité totale du candidat. Monsieur Château l’inspecteur de l’enseignement public, Blanc donc chef, presque Dieu c’est-à-dire au-dessus des lois indigènes régissant le beka, bien que notoirement connu comme zibo, eut droit de monter sur le kito moyennant une peccadille. La mise en condition mystico-psycho-motrice durant les journées et nuits précédentes provoqua chez Mèkoozi un état de conscience altérée qu’accentua le breuvage que, après avoir fait tournoyer son coutelas-bistouri sous le nez du candidat, le chirurgien lui fit boire à la pointe de sa lame. Autour de la salle d’opération les chants montèrent de plus en plus haut, les danses devinrent gesticulations d’énergumènes ; Diibèzok donna l’ordre d’exécution : alors s’abattit sur Garabinzam, un silence religieux ; même les ngasiko d’ordinaire très bavards renoncèrent un instant à piailler, attendant le verdict, tout le monde retint son souffle. On entendit un Hi.... sourd et long, puis un deuxième, et... un coup de lomiaka le fusil calibre douze ; une clameur de joie indescriptible s’éleva du kito, s’épandit sur la place Laadum, se répandit dans tout Garabinzam, et s’éparpilla dans l’ensemble de la Bokaku : Mèkoozi venait de gagner : il n’avait pas bronché, même pas un sourcillement ; monsieur Château et aussi chacun des trois inspecteurs le premier chargé de surveiller la tête et le cou, le deuxième pour le thorax et les membres supérieurs jusqu’aux doigts, enfin le dernier scrutant le reste du corps jusqu’aux orteils, tous pouvaient l’attester. On le porta en triomphe dans tout le village afin que urbi et orbi la nouvelle fût connue dans tout le pays et au-delà. Son comportement lui ayant valu des éloges du Grand Conseil, il fut baptisé d’un nom d’initiation qui restera secret jusqu’à la fin des épreuves. Au cours de l’opération, Tumbapètè l’assistant avait recueilli le sang, le prépuce et son adventice dans une calebasse ; le tout fut remis à A-Ndang qui le rangea avec le paquet des phanères.
(La suite, prochainement)