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Billet de blog 9 décembre 2017

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KONGO BOLOLO : L'AMER PATRIE (23)

Près du feu qui agonisait, Mobilamis entendait le silence du soir quand un bruit insolite le tira de sa rêverie; signe ou signal? Le bruit se fit signe qui se métamorphosant en son devint signal, signal d'un début, début d'un conte, un conte mythique; celui de Kel Elong.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On savait ses  horaires des plus fantaisistes : aux dernières nouvelles il n’avait pas encore quitté son port d’attache  alors que depuis deux semaines chacun attendait ici Mabina qui assurait le transport voyageurs et marchandises entre Ueso et Zuagee ; aussi, la rentrée scolaire arrivant dans une semaine, madame  Véronique Apendi qui tenait à faire suivre la scolarité de Mobilamis par Mambeke son époux directeur de l’école officielle de Mokeko, s’empressa-t-elle de rencontrer  le docteur Espérantus de retour de Zuagee et de passage pour Ueso, ceci  afin de négocier pour son cousin une place d’auto-stoppeur à bord du 4x4 Man Power  du sauveur des Kwil ainsi que le nommaient les villageois. Ce médecin dévoué à son art et rivé à son éthique était très aimé  des Indigènes : Biaka lui devait d’avoir vu guérir son beau-père de la maladie du sommeil, et sa petite nièce de pian ; aussi l’invita-t-il comme parent pour le lendemain à une cérémonie organisée en son honneur.  Après une longue journée de travail ponctuée  de consultations, de traitements et d’opérations chirurgicales sur une table de fortune avec des moyens dérisoires, le docteur Espérantus arriva vers seize heures à Gama goûter aux plaisirs épulaires offerts par le chef Biaka, et au bonheur d’être accueilli comme un fils de la maison.  Sous un clair de lune tempérant  l’obscurité de cette nuit qui vit Gama doubler sa population,  un homme était heureux, très heureux ; voici des années que cela ne lui était pas arrivé. Cet homme  c’était Goagoa. Les doigts noueux noués  à la misère par les efforts dérisoires dispensés lors des corvées imposées par le Commandant, le front barré bien moins par les plis que les soucis qu’ils révélaient, il nageait dans le bonheur devant un symbole de l’administration coloniale, un bonheur particulier  celui qui étreint  le guenilleux fier de payer sa dette, du loqueteux reconnu comme humain ; le docteur Espérantus lui avait épargné une mort certaine par péritonite en l’opérant  avec succès dans des conditions abracadabrantesques d’une appendicite aiguë il y a de cela bien des années : le docteur Espérantus était « Le Blanc qui aime les Noirs. »  Ce soir-là il fut donc très content de lui offrir en retour un pubè, mais pas n’importe lequel, celui du mythe de Kel  Elong  ou  Le Pont  de Liane qu’il restait à présent le seul à en connaître toutes les traverses.  Près d’un feu qui agonisait, Mobilamis entendait le silence du soir quand un bruit insolite le tira de sa rêverie ; signe ou signal ? Le bruit se fit signe qui se métamorphosant en son devint signal, signal d’un début, début  d’un conte, un conte mythique, celui de Kel Elong. Le soleil venait de se coucher quand dans la nuit à peine claire, s’éleva dans le ciel le timbre d’un arc-en-bouche entonnant  un air sur deux tons ; aussitôt un xylophone lui répondit, ainsi commença un dialogue d’environ un quart d’heure ; à la troisième reprise, une file indienne alternant filles et garçons se forma puis se ferma  en un cercle qui quelques minutes plus tard se rompit accouchant de binômes, chaque adolescent décrivant en silence  de gauche à droite un cercle autour d’une jouvencelle  pivotant sur elle-même ;  tous attendaient de Paazok le maître  de cérémonie,  le signal ouvrant le dialogue  entre garçons et filles. 

- Tiiti taati !  Dèrè ...  (Oh là, là, là ! Demoiselle...)  

–  Môt a kuuna mè ! ...( Qu’on ne m’approche pas !...)  

Après plusieurs tours face à face puis dos à dos,  le cercle se reforma puis  un quart d’heure  plus tard se rompit en deux sous- groupes qui,  disposés en laisse, s’écartèrent de plus en plus l’un de l’autre et finirent par se perdre de vue en s’émiettant en groupuscules symbolisant les différentes ethnies de la Karagua-Kudu tandis que les instruments de musique continuaient de résonner quelques temps encore.

Assis dans sa chaise longue près d’un feu où brillaient quelques braises, Goagoa vêtu d’un cento lui tenant lieu de veste, tira de sa pipe quelques bouffées de djama alias mbangui autrement appelé cannabis ; il laissa des volutes s’égarer dans l’air comme des préceptes d’une éducation hier recommandée mais aujourd’hui disqualifiée donc  disqualifiante, toussota trois fois pour s’éclaircir la voix ;  tout se tut brusquement comme sidéré.  Goagoa ramassa ce silence qui s’était ainsi écroulé, l’épousseta, s’en empara pour en faire une parole de  vérité :

« - Au cœur de la forêt primaire  couvrant notre pays se dressait il y a très longtemps de cela, un village du nom de Dimako où vivait Mbembo un chasseur très réputé pour ses compétences cynégétiques.  Un jour, malgré un rite propitiatoire, un guet digne d’un félin, un pistage on ne peut plus méticuleux, une marche longue et épuisante, ce dernier ne put débusquer la moindre proie ; alors que le soleil entamait  sa rapide descente vers les ténèbres, le chemin de notre homme déboucha sur une vaste étendue d’eau ne figurant sur aucune carte, dans nulle  mémoire : lac, marécage ? De l’autre côté, l’inconnu : la forêt continuait d’étendre son immensité recélant à n’en point douter, richesses insoupçonnées et  clairières giboyeuses. Comment sans pont, pirogue ni radeau franchir cet obstacle liquide ? Besoin et désir se liguant exacerbèrent l’inventivité  de Mbembo : en deux temps trois  mouvements il conçut puis construisit une catapulte qui le propulsa peu après  en terra incognita. Aussitôt atterri, prévoyant il façonna une autre machine pour le retour puis se mit à explorer les lieux : volaille et caprins grouillaient mais nulle âme qui vive. Sans s’encombrer de scrupule, il s’empara de deux poulets qu’il fit rôtir et dont il s’empiffra avant d’aller se cacher derrière les contreforts d’un okoumé géant. Peu avant la tombée de la nuit la maîtresse de léans apparut : anthropophage de prédilection, elle soupçonna très vite une présence humaine qu’elle chercha à découvrir afin d’agrémenter quelque peu son repas du soir. Courageux mais non téméraire notre chasseur prit les jambes à son cou, gagna son engin qui l’expédia sur l’autre rive échappant ainsi à l’ogresse. Bien de jours plus tard  tenaillé par une faim de carnivore, cet enfant de Dimako ni pêcheur ni cueilleur résolut de retourner au village de cette lamie qui ne semblait pas ne dévorer que les enfants ; il la surprit opérant un manège bizarre : le chef coiffé d’une couronne à tête de Gorgones  où les serpents étaient remplacés par des plumes d’aigle royal, elle chassait en la désignant de la tête, et la proie tombait raide morte.  Après repas et sieste, l’ogresse se décoiffa afin de prendre un bain : Mbembo profita de cette distraction pour subtiliser le maléfique diadème.  Rentré sain et sauf au bercail, il conta son aventure à Nabiki son épouse bien-aimée qui sautant sur l’occasion lui conseilla d’utiliser ce pouvoir pour nourrir sa famille ; mais Mbembo voyait plus loin : puisque nul même pas le puissant gardien des fétiches ne pouvait résister à sa capacité de nuisance,  pourquoi ne pas prendre la place du roi de Dimako en devenant féal des sanguinaires nordistes chasseurs d’esclaves ?  Un sourire ébrèche-dents illumina son visage à la vitesse d’un éclair. Il commencerait par construire un baaz indépendant, le transformerait en table de la miséricorde pour tous les villageois, puis cette étape franchie, il briguerait le poste de gardien des fétiches sorte de commissaire politique  du chef d’Etat-major  et de là, un coup d’Etat le propulserait successivement Président, Roi puis  Empereur dans la même journée. Dès le lendemain puis  les jours seconds, sa chasse fut des plus fructueuses ; sangliers, antilopes, buffles, gazelles et même éléphants  s’amoncelaient  dans le village aussi, de fil en aiguille personne n’éprouva plus le besoin d’aller chercher  pitance en forêt et, d’année en année on perdit la pratique  de cette activité naguère encore principale pourvoyeuse de nourriture : chacun devint tributaire de Mbembo pour son alimentation. Une nuit, alors que  le Haut-Conseil préparait activement la cérémonie d’initiation au ngi, il demanda d’occuper désormais le poste de gardien des fétiches  en remplacement de Keebak qu’il jugeait piètre chasseur donc peu apte à défendre le village en cas d’attaque des Nordistes : ‘’  Il me suffit de regarder fixement mon ennemi pour qu’il s’écroule raide mort ‘’, avait-il affirmé ; et tout le monde sauf le Roi, de se gausser de lui. Le plus méprisant fut Keebak. Mbembo sortit sa coiffe de sa gibecière puis hocha la tête en gaffant  le gardien des fétiches qui aussitôt tomba raide mort à la grande stupéfaction de tous. Par conviction ou peur  chacun se rallia au prétendant. Seul  le Roi resta sur ses positions, mais il dut s’incliner. Un matin de juin  le monarque eut lors d’un important conseil de sécurité, une violente altercation avec  son tout nouveau gardien des fétiches à propos de la conduite à tenir vis-à-vis des esclavagistes venant du nord : Mbembo sortit son diadème magique, remua lentement de bas en haut sa tête en regardant fixement  le souverain ; celui-ci tomba raide mort ; Mbembo l’askia  fut d’abord proclamé Président  en  milieu de matinée, puis Roi à midi,  Empereur  vers quinze heures enfin peu avant la nuit , L’Homme-des-Masses –Sauveur-de -l’Humanité.  Quelques semaines plus tard alors que l’askia c’est-à-dire l’usurpateur savourait par un bel après-midi et son plaisir en dégustant l’un après l’autre les plats que lui avait amoureusement fait mijoter Nabiki sa femme bien-aimée, et  son pouvoir d’être couronné Dieu sur terre, poules caquetant, cabris chevrotant, chats miaulant, chiens aboyant,  tournaient dans ses parages   espérant soutirer quelques reliefs ; il en fut agacé au point de voir son bonheur gâché : courroucé, il s’arma de sa coiffure et , en un clin d’œil anéantit toute la basse-cour et l’essentiel du cheptel. Irrité au plus haut point tout le village  le poing levé vociféra des prières imprécatoires jalonnées par le mot vengeance à l’encontre de l’askia. Hors de lui, Mbembo  coiffé de son arme de destruction massive  agita sa tête devant tout ce qui bougeait : comme frappé d’amok, il décima toute la cité. Je l’observais caché derrière l’œil de bœuf de la porte principale de ma maison. Souhaitant peut-être sortir de ce cauchemar éveillé,  L’Usurpateur décida de se rafraîchir les idées en  prenant un bain dans l’étang affleurant en bordure de forêt ; et là, avant de plonger dans l’eau, il vit le reflet d’une tête couronnée la sienne,  qui le saluait : il tomba raide mort.  Alors, craignant que l’ogresse ne vint récupérer son bien maléfique,  je le jetai à l’eau puis courus  à grandes enjambées nuit et jour pour mettre une grande distance entre Dimako et moi ; c’est ainsi que j’aboutis à ici, raconta  Kaab (Course)  quand il rencontra  Mèkpa (Le Verbe) roi de Zulabôt-le-Vieux.

- En somme répondit le souverain, Mbembo était ivre de pouvoir : pouvoir par la mort, pouvoir sur la mort ; ivresse suprême de la maîtrise du moment  autrement dit  du temps. Certains  transcendent la mort en la dépassant sans la contourner,  d’autres  voudraient la dépasser en la contournant c’est-à-dire aller au Ciel sans mourir. Hélas !...Il faudra le moment venu, passer de vie à trépas. »  

(La suite, prochainement)   

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