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Billet de blog 11 novembre 2017

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KONGO BOLOLO : L'AMER PATRIE (19)

de Fort-Soufflay à Dia

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec Biibis la journaliste avait décidé de dérouler à l’envers le voyage que fit peut-être la dépouille du lieutenant Gaston, Maurice, Laurent Soufflay mortellement blessé à la bataille de Dia le 1er  juin 1909. Lors de ce déplacement qui pour l’époque paraissait déjà anachronique, ils furent rejoints par deux chasseurs.  Dès le crépuscule  du matin le groupe embarqua dans une pirogue légère  et facilement maniable. Peu profonde et calme, la Kudu n’est pas large ; ceci permettait d’admirer les acrobaties des singes sautant d’un arbre à l’autre, ou de reconnaître sur les berges  les empreintes de sangliers ou de gazelles venus boire.  Peu avant Matali – Camp des rapides où le lieutenant rendit l’âme le 9 juin 1909, les chasseurs abattirent une antilope dont les quartiers furent équitablement répartis entre les différents membres du groupe.  Tandis que Biibis et Véronique Apendi continuaient à pied jusqu’à Dia, leurs compagnons érigèrent un campement sur les ruines de celui de Sa-Kwi-Sèèb Le Vieux. Hormis de nombreux enfants et cousins à la mode de Bretagne, le baaz de Bègon  chef de Dia regroupait entre autres personnes Mokoto sa femme, Ewuuzong la petite sœur de celle-ci et mère de Mozena  l’épouse  de Biibis avec qui elle a eu un garçon nommé Du ; il y avait aussi  Wal mariée à de  Booba  le fils du chef du village. Ce soir-là, dès dix-sept heures il fit noir, très noir : la nuit fut en avance. Aussi une fois le repas commun pris un peu à la six-quatre-deux,  chacun gagna sa chambre. Nous étions en septembre, et depuis quelques semaines la grande saison humide s’était durablement installée. Le tonnerre se mit à gronder, et le ciel ouvrit ses robinets. Booba pataugea dans la vase  peu avant de franchir le Gnibee coulant au creux de cette zone vallonnée devenant de plus en plus accidentée ; s’accrochant aux racines et aux arbustes, il réussit malgré le sol glissant, à escalader  la colline que coiffait Dia  son village bâti à quatre lieues de Sèèb. Ce fut donc  sous une canonnade ininterrompue  accompagnant une pluie diluvienne qu’il arriva à destination  vers vingt-deux heures dans une nuit noire lacérée d’éclairs.  Personne ne l’entendit entrer d’autant que nul ne l’attendait.  Il se déshabilla, se sécha puis revêtit un pagne en guise de pyjama  avant d’aller rejoindre Wal dans la chambre commune ; sur son chemin, entre deux salves de canon venues du ciel, il lui sembla percevoir une énervante mélodie  faite de feulements et gémissements s’accordant de mieux en mieux au fur et à mesure qu’il approchait du lit conjugal. Eclairant la couche avec sa torche électrique, il illumina sa femme à califourchon sur un homme :      

-Qui es-tu qui baises  avec ma femme ? s’écria-t-il. C’est toi Du qui me poignardes ainsi dans le dos ?... Quant à toi Wal, dès demain matin tu regagneras  le domicile de tes parents ! Notre mariage prend fin dès l’instant présent !  

- Comment ça,  notre mariage prend fin dès à présent ?...  s’étonna Wal rivée à  cheval sur Du. Tu ne penses pas ce que tu dis Booba? N’oublie tout de même pas que nous avons cinq enfants !  

– Il est tard, et je suis fatigué : je vais me reposer sur la chaise longue, foin de dispute ; demain matin tu ramasseras tes cliques et tes claques, puis disparaîtras à jamais de mon horizon.  Surtout n’oublie pas de dire à tes parents que je leur fais grâce de la dotation compensatoire versée lors de la célébration  notre mariage car ainsi que tu viens de le rappeler, nous avons cinq enfants.  

Le lendemain, levée tôt, Mokoto  trouva Wal en train  de ficeler son baluchon tandis que Booba prenait le pèm  au baaz en compagnie  de Bègon son père, Biibis son oncle par alliance, et quelques personnes de passage.  

– Où vas-tu de si grand matin Wal ?  Tu ne m’avais pas prévenue  de ce voyage ! s’étonna Mokoto.    

– Je ne voyage pas, Booba me chasse.    

– Booba te chasse ?... Est-il devenu fou ?...  Chasser une femme qui lui a donné cinq beaux enfants ? Il va m’entendre ce garnement ! Ma parole ! Depuis qu’il fréquente les Blancs, il a complètement perdu la tête ! Reste ici, je cours en souffler un mot à son père. Laissant Wal, Ewuuzong, Mozena et l’épouse de Mambeke  dans le gynécée, la belle-mère  arriva tout essoufflée  auprès de son mari :      

- Bègon ! Je te l’avais bien dit ! Les   Blancs ont fini par pervertir complètement notre fils !      

– Ah !...    

– Oui, il est devenu fou ou presque : il chasse  Wal, une femme qui lui a donné cinq enfants ! Est-ce seulement pensable ça ?...  

– À peine arrivé, déjà des ennuis ;  qu’est-ce que cette histoire, Booba ? Depuis quand chasse-t-on une femme qui a donné cinq enfants ?

- Si tu veux mon père savoir pourquoi je divorce, demande-le donc à Wal ou à défaut à Du, à moins que ce ne soit Mozena qui s’en charge.  Tous les trois en savent bien plus long que moi sur cette affaire.

– Mokoto ! Va me chercher Mozena et son fils, dis-leur que  Bègon les attend sans délai au baaz.  

Aussitôt dit, aussitôt fait ; et le gynécée de se vider : tout le monde à la maison commune.    

- Que se passe-t-il,  Mozena ?... commença le chef du village.  

– Ce que j’en sais, c’est que Du et Wal sont amants.  

– Ah !... Il s’agit donc d’une question d’adultère ! constata Bègon.  

-  Oui, répondit Mokoto ; une affaire d’adultère.

– Où est le problème ? demanda Bègon.  

– Où est le problème ? répéta Biibis.

– Le problème est, si incroyable que cela puisse paraître, que  Booba répudie Wal; précisa Mozena.

– Oui, c’est vraiment incompréhensible ; Booba jadis si posé, si calme est devenu  comme possédé du  démon depuis qu’il fréquente monsieur Courtois ce Blanc fou chasseur de visages d’esprit.  Pour une broutille, répudier une femme qui vous a donné cinq beaux enfants est vraiment inconcevable !... trancha Mokoto.

– Mais maman ! Te rends-tu compte que cette femme qui a un amant est l’épouse de ton fils ?

– Bien sûr mon enfant, je le sais ; mais est-ce raison suffisante pour te séparer d’une femme qui t’a donné cinq enfants ?  Aussi loin que remonte notre mémoire collective, nous Kwil avons toujours pensé qu’il  n’est pas sage d’interdire ce qu’on ne peut empêcher ; or mon fils, quelle femme n’a pas d’amant réel ou imaginaire?...  

– Oui, Booba ; quelle femme n’a pas d’amant ? Bien que regrettable, c’est un fait banal ; Wal n’est-elle pas la femme de l’oncle de Du ? reprit Mozena..

– Suffit Mozena !... tonna  le cocu. Afin de t’offrir une occasion inespérée de te vautrer dans l’avautrie et de t’y délecter puisque c’est de mode,  suis-moi dans la chambre !...

-  Oh ! Quelle horreur !... s’écrièrent d’une seule voix Bègon, Biibis, Mokoto, Mozena, Bulaluak  et Wal ; même les gens de passage remuèrent leurs lèvres afin d’émettre  quelque chose d’inaudible tellement ils furent frappés de stupeur.  

– Horreur ?... Quelle horreur ? Ce ne serait qu’une banale affaire d’adultère ! reprit Booba.

- C’est très grave ce que tu viens de dire Booba!

- Grave ? Pis que cela ! Ce serait acte impie méritant rite expiatoire ! renchérit Wal.        

– Mon enfant est devenu complètement fou !  Plus il fréquente les Blancs, plus sa folie s’aggrave ; déplora Mokoto.  

– Pas plus que Du, se contenta de répondre le mari bafoué.

– Si mon fils,  trancha Bègon : dans le cas de Du il s’agit d’un adultère car tu es son oncle maternel ; dans le tien ce serait inceste puisque Mozena est ta soeur !  

- Alors mon père l’affaire est bien plus grave qu’elle ne le paraît, beaucoup plus que je ne le croyais ; la bataille de Dia a bien eu lieu, et nous l’avons bel et bien perdue : reddition sans condition. Il ne sert à rien  de vouloir nous faire vivre une victoire fantasmée.      

Sur ce, Booba se leva prit ses masques et s’en alla rencontrer monsieur Courtois qui l’attendait à Sèèb. Comme Biibis s’arrêtait à Dia, madame Apendi  accompagna le prospecteur de sculptures à destination  en espérant  y trouver rapidement l’occasion  qui la mènerait à Mokeko. 

(La suite, prochainement)

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