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Billet de blog 15 octobre 2017

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KONGO BOLOLO : L'AMER PATRIE(15)

Zelengu raconte à ses hôtes Mobilamis et A-Ndang, ce que fut la volonté première de Komba.

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Laissant Nana à sa cuisine, l’enfant  rejoignit les hommes qui attendaient le repas au "mbandjo".  À côté d’Asana et  de Ndjilèngo, il y a avait  d’autres Pygmées inconnus. L’estomac bien calé par quelques bons morceaux de gazelle et de gâteaux de miel rapportés Ndjilèngo, le fils d’A-Ndang voulut savoir comment Zelengu était  devenu  chef :  « Chez  nous "Aka" commença  Zelengu, on n’est  pas chef en raison  d’une intelligence  décrétée supérieure, d’une richesse fabuleuse aux origines mystérieuses, d’un cynisme sans égal,  après avoir trahi ou  massacré un grand nombre de ses  concitoyens puis abreuvé de mensonges les survivants. À mon corps défendant j’ai été choisi chef par les neuf autres familles  pour des raisons qui m’échappent : toutefois, est chef  celui que ses pairs estiment le plus sage.  Ne disposant d’aucun moyen de coercition, il ne peut être que juge ou arbitre ; mais qu’est-ce qu’être sage ? Question arêteuse : fou hier, sage aujourd’hui ; et demain ?... »                                                                                                                              

Dans sa suite princière la torche de "paka"(copal), résineux commun dans la région fumait beaucoup, éclairait peu, sentait mauvais. Peu avant de s’endormir le garçon fut saisi d’une peur  diffuse et sans objet :  Il respira profondément mais si bruyamment que son père l’interpella :                                - Ne dors-tu pas encore mon garçon?...

– Je glissais dans le sommeil quand tu m’as appelé.

– Bonne nuit mon fils.  

– Bonne nuit mon père.

Ce court dialogue le rassura et, peu après il s’endormit. Le lendemain matin il  se réveilla frais et dispos.  Le soleil venait à peine de se lever qu’un enfant traversa le campement en hurlant de douleur : une coulée de  légionnaires grands nettoyeurs de carcasses d’animaux avançait  vers les huttes telle une impétueuse avalanche  bruissant, engloutissant  tout insecte, lombric  sur son passage.  Suivant Zelengu, la population du "botoka" opposa à ces envahisseurs  un barrage de feu fait d’un amoncellement de tisons, d’escarbilles où les unes après les autres toutes ces fourmis venaient se griller. En milieu de matinée, apparut Nzalangoy  portant  sa fille Ndutu ; il déroula l’histoire de la maladie qui avait commencé  depuis deux jours par une fièvre  bientôt suivie d’un prurit généralisé et tenace avec troubles du sommeil jalonnés de cauchemars et délire ; puis phlyctènes nécrotiques et lésions de grattage étendues firent leur apparition. Pris de panique le père avait mis la malade sur son dos, puis marché  toute la nuit, jusqu’au campement de  Zelengu.  La patiente s’était sédentarisée avec sa mère près de Gama car elle suivait avec succès une scolarité régulière  à l’école officielle de Sèèb où les Bantouphones du moniteur aux élèves filles et  garçons la méprisaient malgré ou peut-être à cause de ses bons résultats ; persévérante, elle  réussit coup sur coup ses examens de passage du CPI au CPII, puis de cette classe au CEI qu’elle devait intégrer  à la rentrée. Ndutu avait déclaré sa maladie l’avant-veille du retour à Gama.  Zelengu observa puis examina méticuleusement la malade  après interrogatoire : «Nzalagoy, ta fille souffre de "mwandza"(la foudre) ; j’espère pouvoir la tirer d’affaire» ; dit-il. Le chef  "ngombe" quitta le "mbandjo" pour y revenir peu après muni d’une flasque ayant jadis contenu du chianti, puis échouée ici en pleine forêt équatoriale en Afrique centrale  on ne saurait dire par quel miracle ; il avait aussi la peau d’un long python, et des feuilles de "kongobololo", rubiacée réputée avoir des propriétés antalgiques, anxiolytiques et  antidépressives en décoction ; elle est aussi  utilisée en application contre les dermatoses. Le thérapeute commença par  entraver les deux pieds de la fille avec la peau de ce serpent animal froid puis lui accrocha des grelots de gâteaux de miel enveloppés dans des feuilles de marantacée rappelant ainsi à l’enfant ses origines pygmées. En milieu d’après-midi, la malade but sans faillir l’amère  décoction brunâtre qui s’écoulait  de la flasque, puis Zelengu la massa de pied en cap avec les feuilles de "kongobololo". Le traitement durera une semaine  mais au bout du troisième jour Ndutu sera  sur pied, avait assuré le soignant. Explorant ce campement de longue durée Mobilamis  constata que nul lieu de sépulture n’avait été réservé  alentour : il s’entr’ouvrit à Nana qui fut quelque peu déconcertée par l’étonnement  du garçon : «  À  quoi bon un cimetière ?... Partout dans nos têtes, nous portons nos morts qui ne sont jamais défunts ;  autant de morts, autant de "lombembeka";  seuls ceux qui  craignent d’oublier leurs morts ont besoin de nécropole comme rappel permanent à leur devoir de mémoire. » Cette réponse de la Pygmée laissa  le petit Bantou pantois. Le soir venu, un semblant de serein accompagna le soleil au coucher  comme pour le border. Après le  bon repas  de porc-épic, alors que lentement la lune émergeait de la cime des arbres,  A-Ndang demanda à Zelengu de narrer un conte ; le Ngombe ne se fit pas prier :  

« Ainsi le voulut Komba.

Le monde est vaste : il y a d’abord Komba esprit créateur du jour et de  la nuit,  représenté  par le ciel  le soleil  la lune et les étoiles, la terre les eaux et forêts ; il  est secondé par des  subalternes : Esprits, Génies, Ancêtres primordiaux, mythiques, ordinaires, puis les morts encore en mémoire d’une part, et de l’autre par les vivants avec préséance par ordre de primogéniture ; ces derniers sur cette échelle descendante  précèdent  les animaux que suivent les végétaux  devançant les minéraux. Tel est l’ordre  du monde voulu par Komba, et qu’il nous faut préserver  car toute chose visible, palpable a nécessairement son double invisible, impalpable ;  l’être humain n’est donc pas le maître absolu de la terre après Komba, mais créature appartenant à la nature, et chargée de la protéger en vivant en harmonie avec tout ce qui existe ; telle est la philosophie léguée par nos aïeux. Nous "Aka" aurions pu à l’instar  des autres, décréter que souverains du monde, tout ce qui n’était pas nous était à nous et donc  à l’abri de nos flèches empoisonnées, ériger une frontière mouvant avec nos appétits insatiables. Nous ne l’avons pas fait, en tout cas jusqu’à ce jour car  telle ne fut pas la volonté de Komba ; mais quelle fut la volonté première de Komba ?                                                                                                                                                  

Au commencement, était Komba l’Esprit  qui insuffla la vie  au Proto-Aka, être premier des groupes Ngombe, Mikaya, Mbèndjèlè et les autres ; il fit naître  les forêts, les rivières et tout ce qu’elles contiennent ; mais certains Proto-Aka se révoltèrent contre lui. Afin de les punir, L’Esprit créateur transforma les rebelles en animaux qu’il rassembla dans ce grand bassin où coulent la Sanaga, l’Ogooué, la Sangha, l’Oubangui. Ceux qui furent épargnés du châtiment formèrent le groupe souche de tous les "Aka" actuels.


Au début de tout, Komba fit naître ex-nihilo des femmes et des hommes  en deux  lieux différents et très éloignés l’un de l’autre. Sous la direction de Niandi les femmes vivaient de cueillette  et habitaient dans des grottes  à l’entrée obturée par un bloc  rocheux  tandis que les hommes commandés par Waito menaient une vie itinérante de chasseurs.  Un jour, le roi des hommes sur le chemin de ses activités cynégétiques tomba en arrêt devant, occupé  à ramasser le "peke" ou "payo" fruit de l’Irvingia gabonensis, un groupe d’êtres  de forme humaine mais d’allure extraordinaire.  Plus curieuse que craintive, Niandi la reine des femmes s’approcha de cette bizarrerie qui lui ressemblait tout en étant visiblement différent, et lui tendit un fruit en signe de souhait de bienvenue.  L’homme goûta le présent, le trouva sucré, succulent, agréable à manger.

– Qui êtes-vous ? demanda Niandi.

-Je suis  Waito, chasseur et Roi des hommes ;

- Et moi, Niandi Reine des femmes ; voici une hotte de "payo" que vous pourrez emporter dans votre capitale.

– Grand merci. Je vous laisse une antilope pour votre repas.

– Le meilleur de notre gratitude vous est adressé  mais, si vous êtes vraiment  chasseur ainsi que vous l’affirmez, nous serions bien aise que vous nous apportassiez  un potamochère ou tout autre animal  demain ici même.

L’homme regagna son "lombembeka" avec "payo" et  reste du gibier. Le jour suivant il revint portant suidé mais point de Niandi ni de compagnes de celle-ci. Triste, et désemparé Waito  se demanda où aller afin de rencontrer  la reine des femmes ;  ce fut alors qu’apparut un tisserin  qui lui suggéra de se miniaturiser puis de pénétrer dans  une  de ces calebasses servant à écraser le fruit de l’Irvingia, pas n’importe laquelle mais  une singulière par la perfection de sa sphéricité.  Aussitôt entendu, aussitôt exécuté. Peu après, sorties de nul  lieu connu des hommes, les femmes se mirent à réduire  en tourteaux  le "payo" grillé ; mais ce jour-là il y eut tant à faire qu’il fallut en sus  du cochon sauvage rapporter du travail à domicile  le soir venu. La tâche de la journée terminée, le repas pris, chacune regagna la grotte sa calebasse près d’elle. Waito sortit de sa cachette. Il faisait nuit. Dieu merci, la lueur d’un feu qui luisait  dans un coin lui permit de s’orienter ; point de porte de sortie : il était prisonnier  dans la caverne.  Reconnaissant Niandi endormie, il la réveilla précautionneusement  la priant  de le délivrer de ce piège.

– Je veux bien t’aider lui dit-elle, mais il te faut préalablement être initié au secret des femmes.

– C’est  chose impossible !...  Un homme ne saurait être initié au secret des femmes ! ... et j'en suis un !   

– Cela est tout à fait possible  sous condition : que tu me chantes si bien l’hymne à Edjengi  l’Esprit de la forêt  et de la chasse que j’entrerai en transe et danserai la djenguma . (Jadis rituelle et secrète, la djenguma  très lascive danse pour l’unité dans la diversité  a été  apprise par les Ngombe  et Mikaya auprès des Ngondi ethnie venue du nord-est de la rivière Sangha. Elle fut perdue par les initiateurs du fait des guerres et de l’assimilation ; depuis peu, ceux-ci la réapprennent auprès des Aka assemblant entre autres groupes les Ngombe et les Mikaya). Le Roi se mit à l’œuvre en susurrant  à l’oreille de la Reine un air si mélodieux, si ravissant  qu’emportée dans un état encore jamais ressenti, Niandi dansa, dansa, dansa encore, et encore, et encore  toute la nuit jusqu’au cinquième chant du coq tandis que ses sujettes dormaient à poings fermés. Au point du jour La Reine demanda à Waito de regagner son abri ; après le traditionnel "pèm" ici nommé "suku-suku",  chaque femme emporta sa calebasse dans le verger de "peke". Alors que le soleil disparaissait derrière la canopée, tout ce monde revint dans la crypte muni de son outil de travail ; comme les autres soirs la Reine referma l’entrée  avec  une pierre massive. Le jeu de la nuit précédente leur ayant été on ne peut plus agréable, Roi et Reine itérèrent, puis réitérèrent, recommencèrent plusieurs fois jusqu’aux aurores nuit après nuit tout en gardant jalousement leur secret.  Se culpabilisant d’avoir abandonné ses responsabilités de roi des hommes,  Waito prit congé de Niandi au bout de quelques mois puis s’en retourna  à son campement capitale où, après  une courte période d’inquiétude tôt suivie de stupeur, s’était installée l’anarchie : chacun se voulait le souverain de tous mais dès que Waito  parut à la lisière du "lombembeka", tout rentra dans l’ordre ; il conta son aventure aussi tous les hommes décidèrent-ils d’investir le champ d’Irvingia  où une fois sur place, ils s’abritèrent dans le fruit du cucurbitacée y attendant sagement  d’être transportés  dans la baume des femmes . Cette nuit-là, et toutes les autres qui suivirent ne furent que chants  d’Edjengi et  danses de "djenguma" ; les hommes se plurent tant chez les femmes qu’ils décidèrent de ne plus les quitter : neuf mois plus tard, de nombreux bébés naquirent. Que les hommes chantent Edjengi aux femmes jusqu’à ce qu’elles entrent en transe puis dansent la "djenguma" afin qu’elles les  initient à leur secret, alors l’espèce humaine se perpétuera ; ainsi l’avait voulu  Komba dieu du jour, déesse de la nuit. »

Pendant  qu’on  écoutait le conteur,  la nébulosité avait grimpé sur son échelle de plusieurs échelons ; de gros nuages défilaient devant la lune : «  La forêt dense danse sous le vent, il y aura de l’eau cette nuit »,  prédit Zélengu. Chacun se retira dans sa hutte. Peu avant le premier  chant du coq il se mit à pleuvoir. C’était  une pluie calme, sans coup de tonnerre, sans vent ; presque une chanson en sourdine. L’eau dégringolait des cimes, roulait sur les tuiles de feuilles de marantacée. Inquiets, Mobilamis et son père se levèrent  pour interroger l’ondée, scruter la nuit encore plus noire que d’ordinaire ;  un torrent dégoulinait sur le toit puis les murs de feuilles ; pas une goutte ne traversait : merveille de l’architecture "aka" au féminin.  Père et fils rassurés se recouchèrent en  écoutant cette berceuse sans parole. Au cinquième chant du coq, l’enfant leva la tête : obscurité moite. Quelques minutes de sommeil lui feraient grand bien : il se rendormit.

(La suite, la prochaine fois si mon ordinateur le veut bien.)

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