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Billet de blog 19 janvier 2019

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Le bonheur n'est pas Vital. (3)

Banal, est aimer toujours ; Héroïque, aimer tous les jours.

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 Signe intérieur de pauvreté, stigmates extérieurs de richesse ; d’un geste aseptique délesté de toute charge érotique, la femme lui pose ses lèvres sur la joue gauche puis sans demander son reste, sort en claquant la porte d’entrée ; derrière elle, un sillage parfumé de musc, invitation publique à une trompeuse promesse d’intimité : tout son art de paraître, de pare-être, c’est-à-dire ne pas être, donc disparaître toujours opportunément derrière quelque masque. Vital découvre alors qu’avec sa pacsée il forme une paire bien impaire : elle ne rêve que de partir, et lui d’aucun ailleurs. Sur le perron un froid vif accueille Philomène, lui rehausse la couleur des joues, et fait relever le col de son beau manteau qui recouvre un décolleté échancré jusqu’au nombril. Elle plonge dans la nuit vers Le Moderne, hôtel où le lub des SDF a loué une salle au sous-sol.

Sur une grande table, destinés aux pauvres secourus par le Rotary club, s’amoncellent des présents emballés dans du papier-cadeau noué et coiffé de chou moiré de faveurs rouges, vertes ou bariolées. Madame Ogé dépose son paquet puis suit un garçon de service qui la conduit jusqu’à sa place à une table de six convives. Déjà sur l’estrade, l’orchestre accorde ses instruments. Sur la Place, grouille un monde joyeux : escortées d’hommes empressés, en mante des dames au pas pressé se dirigent vers des destinations plus ou moins honnêtes par des rues mal éclairées où des camelots de la volupté bradent leur camelote - - les temps sont de plus en plus durs  ; des retardataires, jeunes gens riant aux éclats quittent les boutiques les bras chargés de victuailles ; aux bras de maris ou d’amants, des dames élégamment vêtues portant présents emballés dans du papier doré se hâtent vers le club des Sans Difficultés Financières. Le long des rues aux lampadaires blafards tels des lampions jalonnant un immense linceul blanc        - - l’année meurt cette nuit - -, des exclamations de joie ou d’admiration fusent des maisons illuminées de guirlandes : sapins ou crèches.


Vital jette négligemment quelques photographies dans l’âtre : des camarades de l’école communale, du lycée de l’université ; le couple en vacances, un polaroïd saisi le jour de la signature de leur contrat de solidarité, puis se lève prendre une bouteille dans son bar : un verre pour l’oubli, un autre pour la chance inoubliable car toujours espérée bien que journellement absente. Par la fenêtre il regarde sa femme s’éloigner dans la neige, s’enfoncer puis disparaître dans la nuit. Ce feu le réchauffe mais surtout lui renvoie deux grandes symboliques : érotisme et filiation. Philomène sempervirente : en dépit de tout émollient et discours, enfanter rend vieux. Fondé sur la mort de l’autre et de soi, de celle de la culture mais aussi de la civilisation pour un retour à la nature, l’érotisme est fasciné par le vertige de l’obscénité ; aussi certains utilisent-ils la chasteté comme antivertigineux et thériaque pour l’éternité. Face à ce feu qui somnole, s’étiole jusqu’à devenir falot, s’inscrit dans son existence une rêverie qui écrit sa mémoire et décrit sa flamme, flamme qui le taraude depuis le premier jour : flamme, ardeur, désir, érection ; ou flamme, ardeur du désir d’érection ?

Philomène Ogé vestale chargée par les lois humaine et divine de la maintenir s’est depuis longtemps virtualisée. Adolescente, elle était très belle fille qui irrémédiablement s’est transformée en adoratrice de sa beauté. Cette passion de soi-même ne laisse jamais personne indemne ; chez elle l’effort intellectuel a souvent pris une dimension érotique lui faisant voluptueusement jouir devant un difficile problème de mathématique ; pas étonnant qu’elle a fini expert-comptable. Accusant son époux d’être responsable de la vulvodynie dont elle se plaint nuit et jour, elle prit unilatéralement un congé sexuel à titre thérapeutique, vacances entachées de quelques entorses lorsqu’elle souhaite un service en échange. Aurait-elle voulu faire de lui vulgivague, ou aspirait-elle même à le devenir ?

Il aurait alors désiré lui signifier qu’il n’est nullement doué pour ce genre de gymnastique, ne voulant pas vivre ce mensonge comme seule vérité possible ; néanmoins, il ne se découvrit pas. Du fait de cette raréfaction de leur conjugaison sensuelle, il voit ses performances sensiblement décroître ; entre désir et discrétion, cette dysérection d’abord rémittente semble prendre une évolution de forme gravative ; aussi s’en ouvre- t-il à son médecin qui dans la foulée souhaite avoir l’avis de l’épouse sur la question. . Celle-ci se rebèque violemment en précisant qu’entre l’arbre et l’écorce, il ne faut pas tenter de mettre le doigt. L’homme de l’art comprend que guérir l’époux signifie aggraver la maladie de l’épouse: il conseille au plaignant un verre d’alcool le soir assorti de la récitation de la maxime suivante :

« Banal, est aimer toujours ;
Héroïque, aimer tous les jours. »

(La suite, demain)

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