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Billet de blog 21 octobre 2017

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KONGO BOLOLO : L'AMER PATRIE(16)

Nana et son époux Zelengu tous deux Pygmés Aka du groupe Ngombé exposent à Mobilamis comment ils se sont rencontrés, estimés puis épousés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le lendemain tout s’arrêta net  en milieu de matinée. Le ciel s’éclaircit et laissa place à un soleil éclatant et  brûlant qui assécha le botoka de Zelengu.  Habillés d’un cache-sexe fait d’écorce d’arbre martelée glissé entre les cuisses puis rabattu par-dessus une ceinture de liane, les hommes  allèrent à la chasse armés de lances, d’arcs, et de flèches empoisonnées. Vêtue  de deux rideaux  cache-sexe et cache-cul, la femme ngombe est la gardienne du feu qui éclaire, protège les feuilles de marantacée des insectes xylophages, chasse les moustiques, assèche la hutte qu’elle a bâti de bout en bout, réchauffe le corps, soigne grâce aux décoctions, nourrit par le truchement des aliments qu’il cuit, éloigne les bêtes féroces;  c’est pour elle un compagnon de chaque instant. Du fait  de ses conditions  de vie très précaires, elle a développé un savoir très avancé  dans l’art de la conservation et du transport  du feu qui n’est jamais rallumé mais ranimé. Dans un cornet de feuille de marantacée, par juxtaposition et superposition de charbons ardent, copal et pulpe de noix de palme, elle le maintient somnolent.  Escomptant une chasse fructueuse, nombre de femmes en compagnie de leurs nourrissons  étaient restées  au campement afin de récolter des tubercules de taro : l’enfant non sevré appartient à sa mère qui lui appartient. Le botoka de Zelengu était habité par des Ngombe et des Mikaya qui sont des Aka, groupe pygmée du centre-ouest. Ils parlent une langue de type soudanais  très éloignée de celle des Mèkeè  (Je dis) pourtant les voisins immédiats  depuis  quelques siècles.  Il est curieux de constater au rebours que la langue des Bagieli Pygmées du centre gabonais  et celle des Mèkeè sont très proches alors que plusieurs centaines de kilomètres de forêt  dense les séparent. Agissant en éclaireurs pour les Bantouphones les Pygmées seraient-ils  allés prospecter pour ceux-ci  des contrées lointaines ? Notre écolier toujours en quête de nouveaux savoirs se promit de demander quelques éclaircissements à son hôte d’autant qu’il avait noté que Ngombe et Mikaya n’avaient pas besoin de passer par le lingala pour se comprendre. Tout le monde femmes et hommes s’était retrouvé sur la place centrale  pour prendre un peu de frais une fois  le repas du soir terminé.

– Dis-moi Zelengu  commença Mobilamis, d’où vient-il que Ngombe et Mikaya se comprennent mutuellement alors qu’il nous faut le truchement - Tout remonte au premier mariage entre Ngombe et Mikaya. - Au premier mariage entre Ngombe et Mikaya ?                                                                            

Oui !...

– Ah ?...

– En ce temps-là, Les Ngombe fréquentaient les Fang, Kwil, Djem, Zimo , Gunabeeb et Ngando  du bassin de la Ngoko, tandis que les Mikaya côtoyaient les Ngondi, Bomuali, Lino, Pomo et  Yaswa des rives de la Sangha. Furtivement voisins par les hasards de la chasse, les deux groupes aka  se regardaient en chien de faïence à travers le mur linguistique les séparant.  Un jour, pour des raisons égarées dans les limbes du fonds mnésique commun, éclata une discorde ; escortée par les siens, Yaya une femme mikaya en colère fit irruption sur la place centrale du camp ngombe puis se mit à vociférer; et tous ceux de sa suite tant  hommes que  femmes de rire à gorge déployée. Prononçait-elle des paroles imprécatoires ?... des injures salaces ?... une mise en exergue  de quelque travers ngombe ?... Bedjeku le vieux chef ngombe  se perdait en supputations ; plus il réfléchissait, plus il était perplexe, et plus Yaya s’excitait  exaltant toujours le rire de ses compagnons. Les habitants du campement investi se sentaient ridicules - -  puisque les autres les trouvaient risibles--, mais ils se demandaient  en quoi ils pouvaient bien donner  flanc à  raillerie. Une fois apaisés, les assaillants s’en retournèrent chez eux. Pendant de longues nuits Bedjeku réfléchit  sur les moyens d’épargner à l’avenir  pareille humiliation à sa communauté. Après une partie de chasse où Amoko son fils aîné avait abattu un éléphant  avec sa lance en tranchant la carotide gauche de l’animal, il proposa à la gérousia  de son campement  de charger  ce valeureux garçon  le meilleur de leur ambassadeur,  d’aller solliciter les faveurs de Yaya la fille de Lobila le chef du camp mikaya.  

« – Comment s’y prendra-t-il, lui qui ignore tout d’eux jusqu’au moindre mot de leur langue ? s’interrogea le Conseil.

– Même les sourds-muets congénitaux  entendent et parlent la langue de l’amour, répondit Bedjeku. »                                                                              

Avant de conclure l’affaire, Lobila exigea une clause de réciprocité en faveur de sa communauté ; ainsi Amoko apprit auprès de Yaya la langue mikaya qu’il enseigna aux siens tandis que sa femme opéra de même de son côté. C’est depuis ce premier mariage que Ngombe et Mikaya s’échangent hommes et femmes, et qu’ils n’ont plus besoin d’interprète quand ils se rencontrent :  

‘’ - Modjukui  (Bonjour)! dit l’un,

Alambui  (Bonjour)! répond l’autre. ‘’    

Ainsi comme le disent si bien les Kwil, « èba  è tooba, dèèb  dieeb ! » (Les accordailles ont préséance  d’aînesse sur la discorde). » 

Il faisait encore trop  chaud pour espérer bénéficier d’un sommeil réparateur  aussi, s’approchant de Nana  notre élève toujours avide d’apprendre, lui posa –t-il cette question qui taraude tout pré-adolescent :  

- Comment  vous êtes-vous connus Zelengu et toi ?  La femme sourit mais ne répondit pas : ce fut son époux qui prit la parole.

– Chez nous c’est toujours l’homme qui fait le premier pas. La première rencontre  a souvent lieu lors d’une fête après la chasse à l’éléphant, ou pendant une danse en l’honneur de Mondjoli  un génie de la forêt. Ces cérémonies regroupent quelques dizaines de familles venant de lombembeka ou botoka de plusieurs journées de marche à la ronde. Notre toute première rencontre eut lieu au cours  de la cérémonie en l’honneur de cet Esprit. Nana avait une voix à damner un saint homme même au Paradis. Je n’en croyais pas mes oreilles.

– L’a-t-elle perdue ? demanda le garçon.    

– Bien sûr que non ! La voix  a un peu changé, mûri ; demain soir tu auras l’occasion d’en juger par toi-même. Comme la chorégraphie exigeait qu’on alternât femme et  homme, je m’arrangeai pour  me placer à côté d’elle ; la danse commandait qu’on se donnât la main : j’en profitai pour presser la sienne  avec une intensité croissante ; elle me regarda dans les yeux tout en continuant à se trémousser puis baissa son regard.

– Pince-étau, tes doigts m’avaient serrée si fort qu’un moment je crus ma main broyée ; intervint Nana.

– Quand de nouveau elle s’approcha de moi continua Zelengu, j’ouvris la bouche :

«- Je te pose La Question.

- Comment veux-tu que  je  réponde à pareille question en un pareil endroit?... me dit-elle.>>

- La deuxième fois que je croisai Zelengu enchaîna Nana après qu’elle eut fini de rire, il revenait de chasse avec son frère Ndjilèngo, et moi de pêche au barrage en compagnie de mes sœurs Tandi et Mokobolo. Tels  des félins les hommes marchaient d’un pas silencieux aussi fus-je très surprise d’entendre une de mes sœurs  saluer :

« - Bonjour Zelengu !  

- Bonjour Mokobolo. »

Je ne savais où me mettre, mes jambes flageolaient ; j’ignore si c’était imagination ou véritable ressenti. Je fus d’autant plus désemparée que mes sœurs de la même classe d’âge que Ndjilèngo avaient pressé le pas pour le rejoindre, m’abandonnant à la merci de Zelengu. Ah, mon Dieu!...  comme je les avais maudites  à cet instant !

– Oh ! Je ne suis tout de même pas un ogre !

- Que faire, que dire à ce garçon qui loin de me déplaire m’avait ravie l’autre nuit par sa façon de danser ? Me barricader derrière une muraille de silence énigmatique,  un bouclier de paroles flot ininterrompu l’empêchant d’en placer une ?... car il ne faut surtout pas le laisser parler : ce serait ma perte.  Je ne me souviens plus de ce que j’avais dit mais bien de la sonorité des mots ; elle m’était agréable : musique sans parole née d’une fastination  logorrhéique.  Tel un frêle esquif livré à la tempête j’avançais en tentant de contourner une défaite que je pressentais imminente, inéluctable, irrémédiable ; j’avançais... mais vers où ? Nul même pas  moi ne pouvait le prédire. «  Eh ! Regarde ce bel oiseau perché sur une branche caressant le ruisseau !... m’interpella Zelengu. » Véhicule lancé à vive allure contre un mur  de soutènement, je stoppai net. C’était, tenant une grenouille verte dans son bec, un martin-pêcheur à la belle livrée bariolée : tête bleue, bec rouge, poitrine fauve, ailes mauve, pattes grenat, quelques taches blanches sur  le gosier ; il était juché sur un rameau au-dessus d’une mare épisodiquement remplie lors des crues.                                                                                                                               

– Voici, bien qu’il se soit écoulé vingt ans depuis, ce que tu me dis ce jour-là : « Au cas où par pure étourderie je te laisserais entendre  que je te veux, quelle assurance aurais-je que tu ne m’abandonnes toute dégoulinante de mon dévorant désir ? »  

- J’ai vraiment prononcé ces mots ?

– Tels quels !... et moi je t’ai répondu : « Où que tu ailles, tant que je vivrai, je serai attaché à tes pas.>>

- Pas vrai ! reprit l’épouse.  

– C’est la stricte vérité ! assura Zelengu.  

– Les choses auraient-elles pu se passer autrement ? interrogea Mobilamis.  

– Bien sûr que oui!... et souvent ! Si au lieu de jacasser tel un ngasiko à dix-sept heures elle s’était murée  dans un silence abyssal,  la situation aurait été très critique pour moi, répondit Zelengu.  Dans cette éventualité, il aurait mieux valu ne pas insister car notre ébauche de relation  aurait emprunté un chemin de crête : trouble ?... refus poli ? Nul  n’aurait pu alors trancher.  Cette situation m’aurait obligé à laisser s’écouler quelques semaines, voire deux ou trois mois avant de revenir à la charge. En cas de nouvelle taciturnité, les chances que s’ouvrirait pour moi le chemin de son cœur  se seraient alors avérées très faibles mais avec les femmes  sait-on jamais ? Un silence persistant lors d’une troisième et ultime rencontre aurait signé un refus net et définitif : prière d’aller vous faire voir ailleurs Monsieur.  

– Quelle fut la suite de l’histoire pour vous ? questionna l’enfant de Garabinzam.  

– Le soir de cette deuxième rencontre, j’en parlais à ma mère seule à seule expliqua Nana:  

«  - Il te plaît, ce garçon ?  

– De jour en jour depuis le dernier grand rassemblement rendant grâces à Mondjoli.    

– Et lui ?...          

– Je le crois dans les mêmes dispositions.

– C’est plutôt bon signe. Observe-le encore quelques temps et le moment venu, j'en parlerai à ton père>>.  Je dois préciser que chez nous, outre l’accord de la fille, le fait prépondérant nécessaire à la conclusion de l’hyménée est non pas l’assentiment du père, mais celui de la mère de la promise. Forte de cet acquis, j’organisai en forêt  des rencontres furtives avec Zelengu. Filles et garçons jouissent également d’une grande liberté sexuelle tout en s’interdisant tant la polygynie que la polyandrie chez nous Aka.  

– Tu vas souvent à Garabinzam, voire Ueso reprit l’écolier en partance pour Sèèb. Pourquoi n’as-tu pas épousé un Bantouphone ?

–La  vie maritale entre Bantouphone  et Aka est aussi rarissime  que celle entre Blanc et Négresse. C’est toujours le Bantouphone qui prend  femme  Aka, comme c’est toujours l’homme Blanc qui prend maîtresse Noire. Ce que la femme gagne en confort de vie, elle le perd  nécessairement en liberté individuelle : dans le couple Aka, il règne une stricte égalité de fait entre homme et femme ; pas besoin de pauvreté ou de crainte de l’Enfer pour être monogame. La polygynie et les prestations compensatoires de plus en plus faramineuses observées de nos jours résultent d’une pollution culturelle par contiguïté, la colonisation s’avérant tant pillage économique  que subversion  culturelle.  Chose exceptionnelle dans le monde mais banale chez nous, le couple crève quand l’amour meurt. Un matin  le père de Zelengu  fit savoir au mien qu’il viendra le voir un de ces jours. Pendant ce bref laps de temps qui me parut éternité je fus très agitée : ne tenant pas en place, mangeant mal, dormant peu. Un après-midi   accompagné de ses parents, mon futur arriva portant la traditionnelle offrande aux beaux-parents : miel et tabac. Devant tout le botoka assemblé dans la maison commune, mon père me fit venir pour me dire ceci :  

« - Nana, voici un  an que ta mère t’a construit  ouvert vers la place centrale, un bugala  hutte pour adolescents. Aujourd’hui le père de Zelengu  une très vieille connaissance vient pour son fils, me demander l’autorisation d’habiter notre campement puisque chez nous à l’inverse  de ce qui se passe chez les Villageois, c’est la femme qui reçoit l’homme. Je te demande de nous donner à tous ici présents ton avis sur la question.

– En ce qui me concerne, je le préjuge bon mari ; à lui de te prouver qu’il peut aussi devenir bon fils ; alors maman me donnera le tison et la natte me consacrant sa femme. » Cette phrase que personne ne m’avait soufflée continua Nana, fut malgré l’émotion qui m’étreignait, prononcée naturellement, d’une voix claire et posée ; je fus la première étonnée d’une pareille assurance.

– Alors reprit Zelengu, commença pour moi un temps probatoire qui dura deux bonnes années. À plusieurs reprises j’apportais miel, tabac et gibier  à ma future belle-famille que j’accompagnais parfois à la chasse.

–Comme notre lien devenait végétable enchaîna l’épouse,  ma mère me dit : «  Nana, je t’ai construit un nouveau mongulu ouvert  sur la forêt. Ton père ne voit pas d’inconvénient à ce que tu y couches. » Nul besoin de répéter ni d’expliquer davantage : Zelengu était accepté  dans ma famille originelle, et avait l’autorisation de partager ma couche.  Souvent il apportait à mes parents miel  tabac train arrière d’antilope, de buffle ou de sanglier, et à moi son amour ; mais ma mère exigeait qu’il fût consacré ntuma c’est-à-dire chasseur d’éléphant  avant de me laisser partir avec lui. Un jour de la troisième année  il eut de la chance : avec un fusil à piston il abattit un éléphant aussi participa-t-il alors  à la cérémonie du banti qui entre chants et danses, le consacra ntuma et le rendait digne de moi aux yeux des miens et des siens ; ma mère qui m’avait tressé une natte multicolore  me l’offrit  accompagnée d’un tison : le mariage était conclu et définitif. Le lendemain je quittai mon mongulu  de célibataire pour aller vivre avec mon homme dans une nouvelle hutte s’ouvrant non  sur  la place centrale, mais toujours vers la forêt c’est-à-dire le monde extérieur car il est interdit au gendre de voir  et à fortiori d’entrer dans le mongulu de sa belle-mère ou tout autre endroit quand elle s’y trouve ; défense lui est faite de regarder ses beaux-parents en face.  Comme entre temps Mellet notre fils avait été mis en route, j’eus le droit d’élever un  nouveau mongulu ouvrant cette fois sur la place centrale du botoka : mon mari dès lors était totalement intégré à ma communauté originelle même si quelques années plus tard nous déménageâmes pour fonder ce botoka-ci. Régulièrement avec toute notre petite famille, nous retournons faire une visite à mes géniteurs dans leur campement.                                                                                                                                      

(La suite, la prochaine fois)                                

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