La ténèbre règne dehors, et surtout Erébos dedans ; je crois entendre faiblir le vent, s’arrêter l’averse, s’entrebâiller les nuages dehors, et dedans s’enflammer le feu; résurrection soudaine de la lumière, embellie fugace, minute d’éternité où l’on sent passer le divin : certains nomment cet instant, kairos; comme un passage de l'écriture des choses à celle des idées, du pictogramme à l'idéogramme. Cette nitescence ricochant d’objet à objet se magnifie de plus en plus jusqu’à pénétrer intimement chacun de nous. Ta jupe et ton pull appendus aux bras d’une sorte de caquetoire, muette tu es assise près du feu non loin de moi ; aucun bruit : silence total. Je sens empreinte de ta beauté, la caresse de ton souffle, toucher sans contact, vent qui entretient ou ranime flamme vacillante ; ce n’est point ville ouverte truffée de chausse-trappes, douceurs tissant des liens pour engluer mais tremplin impulsant une libération ; zéphyr glissant à vitesse constante mais s’éloignant imperceptiblement comme un état de grâce reconnaissance de la connaissance, elle naît non pas du néant mais de ta pleine présence qui infiltre toute la cabane, et rend l’atmosphère particulière.
La connivence, le plaisir muet partagé sont d’abord signe d’intenses échanges non verbaux. Une petite flamme déploie sa large gamme de couleurs : associé à l’eau qui éteint le feu brûlant grâce à l’air, le bleu clair chante telle une flûte ; s’assombrissant au fur et à mesure qu’on s’éloigne du cœur blanc de la flamme, il prend le timbre du violon d’abord, des airs de contrebasse ensuite, les tons graves de l’orgue enfin ; cette couleur mariale et royale oscille entre le noir, manteau de mystères et le blanc, chœur à l’unisson ; pour certains il sonne Do qui pour d’autres s’illumine de rouge ; mais, foin de dispute : le jaune orangé est trombone sans égal tandis que le rouge carmin escalade les hauteurs d’une voix de soprano.
Dans cette pénombre où se mêlent nos ombres échalas d’un sentiment confus circulant de l’un à l’autre et vice versa, négatifs de flammes variant du nacarat au magenta des obscurités serpentines et vagabondes telles des vignes folles en automne dansent sur les murs. Comme un voile de mousseline, l’ombre de la flamme ballerine balaie le marbre posé devant le foyer ; claires, ces nuits éphémères me sont pauses intermittentes, haltes impromptues dans mon voyage d’un mot à l’autre : un poète amateur a gravé son espoir et sa douleur sur la pierre aux veines noueuses. Auteur et destinataire de ce texte resteront à jamais inconnus car le cipolin avait été récupéré par ton grand-père dans une décharge publique à ciel ouvert.
En attendant quelque chose de quelque part :
Que je retrouve des mots les successives significations
Qui se sont juxtaposées, superposées, puis en ma tête déposées
Avant que, dans celle de mes enfants, de se poser.
En attendant quelque chose de quelque part :
Que quelqu’un me dise la vérité sur les mots,
Mots reptiles dans ma tête la nuit,
Le jour m’imbibant l’âme, et m’enivrant sans m’apaiser.
En attendant quelque chose de quelque part,
Mon cœur corseté dans l’inélégance de la vérité
Se souvient d’avoir oublié les mots,
Mots assassins des morts, et sicaires des vivants.
En attendant quelque chose de quelque part
Mon cerveau naufragé dans un fleuve de larmes
Oublie de se souvenir des mots,
Mots de mémoire nomade, et à géométrie variable.
Les mots sont une belle pince à idées :
Celles-ci saisies, j’ai lâché la pince ;
La retrouverai-je dans l’urne des mots perdus
Attendant quelque chose de quelque part ?
(la suite, demain)