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Billet de blog 24 février 2019

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APRÈS LE BOGANDA* SECOND (10)

Je suis un rêve. J’ignore quel nom donner à cette impression même si je la vis, puisque amour est appellation d’origine incontrôlée, incontrôlable: aimer est prétendre à la connaissance magique de ce rébus-aimant qui nous désarçonne encore et toujours, cette once d’intangible que demeure notre part de rêve, reste d’étoile qui nous oblige à tendre vers l’inaccessible .

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J’imagine ton sourire, et en perçois l’écho porté par les volutes d’un café fumant. Tu as chaud, très chaud ; puis, comme une exuvie bariolée, la couverture s’affale autour de tes reins : dans son pavillon de délassement, reine Sîvatî sans diadème ni collier. Je reluque tes cuisses grandement découvertes, presque ouvertes, et jalouse la lumière qui impunément les caresse. Parée sans parure, plus fringante que jamais, Rose prénom fragrant, gente demoiselle te voici ma paix et mon tourment ;  on dit que le parfum de rose améliore le calcul chez les filles alors que pour les garçons le citron et l’orange seraient plus performants. Quant à moi, tu m’enivres. Il y a un lieu affecté à chaque chose, et un temps pour toute chose ; mais pour l’amour, c’est partout et toujours.

Avant que ne sombre dans l’uniformité le spectre des noirs nos pieds errant dans les ombres tandis que les têtes accueillent avec nostalgie les derniers éclats d’un soleil en morceaux, nous devons quitter les lieux : hélios décline rapidement, le jour s’incline devant la nuit à La Merci, picadero par excellence. Jour de verre translucide, bruits divers, bruit de bris de verre jonchant le sol de la véranda, et déjà soir d’hiver où tôt debout la lune mécène des amants, compagne fidèle des cœurs épris, croissant de cuivre d’argent ou d’or se balançant dans le ciel telle une cédille nous dit qu’il est l’heure de lever l’ancre. Dehors les couleurs du temps et de la lumière, la musique des bois exaltent ta beauté multiple que seule la patiente observation de l’esthète amoureux peut espérer en admirer toute la palette ; alors se révèle en moi par petites touches, grands traits alternatifs ou successifs  comme fresque du pinceau d’un peintre, une extrême confusion des sentiments qui s’ordonnent peu à peu puis s’invétèrent à chaque pas nous ramenant vers ton bastidon. Sur le chemin du retour chacun regardant devant soi de peur de déroger au covenant nous créant en toute liberté des contraintes de probité, nous devisons dans le crépuscule naissant.

- Comme il fait silence !... me dis-tu .

– Silence pour écouter ? Silence pour ne pas entendre ? Silence du tonnerre où phonèmes, sons et idées deviennent sans objet parce que se découvre l’ineffable ? Silence singulier ou pluriel ? Quel vacarme intérieur entends-tu ? Silence cataphatique d’où pourrait jaillir un verbe de vérité ?...

– D’où vient que marchant tout près de toi, je me sens toute chose comme si notre proximité corporelle par glissement sémantique s’ouvrait vers la symbolique auréolant mes émotions ?

- Couleur de beauté, le silence est parole comme l’obscurité est lumière, lumière noire avers de la lumière blanche ; pas de clarté qui ne s’entoure de son halo d’ombre, ni de connaissance de sa part d’ignorance parée d’illusions, encore moins de personne aimée qui ne soit quelque peu enveloppée de mysterium tremendum, mystère à la fois terrifiant et fascinant qui reste à découvrir mais que pourtant rien ne laisser deviner.

- La vraie attention aux gens se nimbe toujours d’une histoire, mémoire commune semblable ou au contraire contrastée de l’expérience hédonique ou douloureux qui prolongeant tout en transformant l’amour parental en fait quelque chose de sacrée, sublime récompense soutenue par l’empathie et l’état d’abandon, ou alors de sordide cruauté sans nom.

- L’histoire, porte-drapeau des sentiments profonds. L’épaisseur de l’histoire, voilà la clef du secret, de l’arcane. L’histoire de la solitaire solitude de chacun dit : «  Je suis un rêve. »

- Suis-tu un rêve, ou bien l’es-tu ?...

- Indicible : d’ailleurs le saurais-je seulement ? Accoudé sur le parapet de mon balcon, pourrais-je me regarder me pavaner dans la rue ?

- Mais peut-on la savoir toute, cette histoire ? Comment nommer cet état où je me sens hors d’atteinte de tout sarcasme, toute vilénie, mauvaiseté et,avançant sur cette poutre étroite très haut perchée, si assurée de mon équilibre ? Que ferai-je de cet Autre en toi de qui je ne soupçonne même pas les linéaments ? Saurai-je autant l’aimer lui aussi ?

- J’ignore quel nom donner à cette impression même si je la vis, puisque amour est appellation d’origine incontrôlée, incontrôlable.

- En effet, peut-on en désigner le point crucial, le moment précis de l’acte de naissance ?...Si oui, naissance ou révélation ?

- Quant à savoir le fin mot de l’histoire, dès à présent j’y renonce ; l’être humain est amour, et tient debout ; position instable par excellence : ainsi
l’ivresse suscitée par l’inclination romantique tout comme le balancement pendulaire du parent berçant son enfant pour le calmer puis l’endormir ou, l’incitant à tourner sur lui-même des heures celui du derviche qui recherche l’extase dans le vertige, voire le plaisir procuré par la balançoire, le grand huit, tous m’apparaissent dérapages contrôlés, pieds de nez à la précarité de cet équilibre.

- Intericonicité : image nouvelle drainant avec elle la mémoire de bien d’autres. Je suis femme : surprise, je suis prise ; déprise de soi, emprise de l’Autre ; refus de maîtrise de soi et de l’Autre, abandon de soi au risque d’abandon par l’Autre ; grand risque de méprise mais pourtant je te suis quand tel Jésus tu me suggères : «  Mangez car ceci est mon corps », don abandon dont tu me nourris et t’alimentes. Abolition de la distance sujet-objet, douleur et plaisir, l’intimité creuse un espace ouvert par notre attente, et où chacun de nous peut habiter, exister, s’émerveiller c’est-à-dire se transformer avec et grâce à l’autre. Si je te comprends bien, chacun est voué à conserver une part de soi toujours emmantelée d’inaccessible ?... Le bonheur de l’intimité à quoi nous aspirons tant, se figera-t-il en toute éternité dans l’inatteignable ?...

- Aimer est prétendre à la connaissance magique de ce rébus-aimant qui nous désarçonne encore et toujours, cette once d’intangible que demeure notre part de rêve, reste d’étoile qui nous oblige à tendre vers l’inaccessible ; ce m’est d’abord et avant tout, aimer Sophie c’est-à-dire en philosophe : souffrir par amour de probité. Fonds de commerce ou mesure d’hygiène, le bonheur s’accommode à toutes les sauces : quand tant de médecins se penchent sur le lit d’un malade, c’est assurément que son cas est désespéré. Les bouddhistes ne disent –ils pas que « Tant que tu fais la différence entre le nirvana et le samsara, tu es dans le samsara » ? À défaut de bonheur, savourons le plaisir d’être heureux ensemble ; quant à l’intimité, il n’en est qu’haleinée même en cas d’hébétation de l’odorat.

- Qu’est-ce-à-dire ? Je sens battre ton cœur dans ma poitrine, nous respirons le même souffle, implorons le même dieu tutélaire protecteur contre le même danger en maraude alentour. Nous sommes cet enfant, architecte de l’éphémère construisant des châteaux de sable sur la plage, dessinant de beaux paysages, de jolies figures qu’à chaque ressac la mer biffe ; pourtant, avec persévérance il recommence, revisitant sa théorie, perfectionnant sa technique : vie, mort, résurrection ; apparition, disparition, dissimulation. Avant chaque effacement son père croque la création, esquisse d’un tableau censé résumer toute la philosophie, notre philosophie : vie, mort, résurrection. Est-ce ce père qu’on nommerait amour ?... Lié au secret et à sa révélation, monde qui peut devenir démon, parole portant mystère dans sa houache, l’amour est comme une anagramme ; il est déjà présent, tapi lorsqu’on l’écrit ; reste à nous laisser guider par ses fulgurances, volte-face, contradictions, énigmes, nous laisser entraîner par son courant, voguer à son fil. Correspondance entre deux âmes en peine pour l’un, pont unissant deux éléments de langage pour l’autre : l’amour, c’est vraiment comme une anagramme.

- Notre promenade aura-t-elle atteint son but ? Nous l’ignorons mais savons que vécu dans sa délicieuse indétermination et voluptueuse fragilité, mais aussi enrichi par une conversation séminale verbale ou non; le voyage en soi vaut mieux que sa cible même touchée. 

(La suite, demain)

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