Vital relit le poème en souriant puis finit par éclater du rire franc et malicieux d’un enfant facétieux ayant réussi un beau tour à l’encontre d’un adulte. Du même amoncellement il prend un autre devoir.
DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL?...
D’amour en haine, choit le couple qui bat sa coulpe :
Sur les veines, ses mains sont ventouses de poulpe.
Je lui offris l’autorité de l’amour, abdiquant d’un pan de ma liberté en échange de droits ; mais il n’en retint que l’amour de l’autorité sans devoir mais nimbée de prérogatives. Evaporée cette délicieuse frayeur qui le ceignait alors qu’âme en peine, il attendait de ma bouche le oui de la délivrance. Ses paroles n’étaient pas encore lestées d’hypocrisie : c’était du temps que désemparé il me demandait :
« - Qu’allons-nous devenir ?
- Je l’ignore... C’est toi l’homme : décide, je suivrai ; puis avais-je ajouté, si tu m’aimes, débrouille-toi afin que cela dure toute ma vie sinon je te tue puis me tue. »
À cette époque je le peignais au repos et en action en fonction de ce que j’avais appris, peu selon ce que je voyais, plutôt tel que je l’imaginais, je le ressentais. Nuit et jour, je le peignais. Comme je voudrais être artiste de loisir, de plaisir, d’amour ! Comment parler d’amour quand je ne suis plus que haine ? de plaisir alors que l’existence s’est transformée en laisse de souffrance ? de loisir lorsque l’impératif de survie accapare la vie ?
Peut-être ignoré-je ce que je désire, mais assurément je sais ce dont je ne veux à aucun prix. J’ai toujours mes pinceaux et ma boîte de couleurs, mais l’inspiration fait défaut ; mieux encore ou pis peut-être, le sujet me répugne : de plus en plus je me blinde de paroles sans fin, de pleurs inappropriés, de rires inadéquats. Le soir un verre d’alcool pour m’endormir, le matin un paquet de cigarettes afin de me tenir éveillée. Je ne puis continuer ainsi : le vertige du précipice me gagne : m’arrêter ou tomber dedans.
Gyrovague de l’intime, il me prit pour prostibule, et décréta que son membre non chiridien avait qualité, vertu et statut d’hôte de passage alors que mon amour se voulait éternel, éclatant, tranchant tel un diamant ; aussi depuis suis-je à cran, et devenue couteau à cran d’arrêt : il me faut tuer autrui ou moi-même, à moins que ce ne soit l’amour.
Emmanuel Ekoko.
Mimique d’un individu piqué par un méchant insecte, puis pioche à droite.
UNE APRÈS-MIDI À FLORENCE
Descendus du haut du campanile d’où nous venions de savourer la fleurance de la florissante Florence fleurissant en ce brûlant été par la grâce de Félicité notre cicérone, nous nous dirigeâmes vers Santa Croce après un détour par la place de la Seigneurie où, non loin de la copie du colossal David de Michel-Ange, comme apogée des manifestations carnavalesques s’y déroulant, le frère Jérôme Savonarole grand réformateur de la cité devant l’Eternel fit le 7 février 1497, dresser un bûcher où furent brûlées des vanités de toutes sortes : bijoux, parures, cartes à jouer, livres jugés libertins, peintures considérées comme non chrétiennes .
Sur le parvis de la maison divine, des patarins assis à même les marches de l’escalier menant à l’église attendaient que, venus de très loin rendre grâces au Seigneur, ces touristes si riches et si amoureux de Dieu leur fissent la grâce de quelque menue monnaie. Dans la grande nef où des cierges faisaient de l’ombre au soleil de ce 15 août, des hommes debout contemplant d’Orcagna des lambeaux de la fresque du Triomphe de la mort, s’excitaient face à des femmes à genoux tête baissée. Sur la porte du musée à quelques pas de là, une âme pieuse avait affiché un poème ex-voto en remerciement du crucifix retrouvé.
Le quatre novembre soixante six,
La terre s’épreint, le Ciel s’essore :
Gorgé de boue, jusqu’au zénith l’Arno se hisse ;
Interdit, chacun s’interroge sur son sort,
Invoque Cenni di Pepi, Cimabué :
À tout espoir, son crucifix sert de bouée.
Une fois le portail franchi nous découvrîmes suspendu en apesanteur, et dans toute sa grandeur maintenu en flottaison par le souffle de Dieu le Père, le géant ayant succombé à une maladie honteuse ; il offrait à voir sa peau lépromateuse, défi que ne put relever aucun médecin, même le plus féru de science. Par insouciance des Hommes, malade sans espoir de guérison, toujours vivant bien que mort pour la rémission de nos péchés et par la démission de Ponce Pilate, combien de fois le Christ devra-t-il encore mourir de notre fait, par notre faute ? Etait-ce occasion de nous demander raison d’offenses irrémissibles appelant châtiment pour qu’aucun dieu, que nul saint ni même la Vierge Mère ne voulût empêcher l’Arno de profaner églises et bordels ?....
Marie Noëlle Podolikowa.
Vital se souvient vaguement avoir entendu parler de cette crue de l’Arno, crue qui fit la une de nombreux journaux de l’époque. Quelques coups de boufadou, et voilà la flamme qui réapparaît. Encore une copie tirée du tas de droite.
MAIS ENCORE?...
À l’ombre des manguiers du rond-point de Mungali, le professeur Mienandi délivrait son premier cours de l’année à l’école de peinture de Poto-poto. Cette première leçon portait sur la notion de couleur.
- On distingue les couleurs primitives des couleurs symboliques ostentatoires ou oblitérantes, à ne pas confondre avec les fondamentales qui elles-mêmes différent des intermédiaires. Notion ethnologique, la couleur primitive ne nous intéressera pas aujourd’hui. Les couleurs symboliques varient avec les époques et les cultures, nous en reparlerons plus tard. Le choix des couleurs fondamentales est arbitraire : la seule règle à respecter est qu’aucune des trois ne soit équilibrable par le mélange des deux autres. Communément on retient le rouge, le jaune et le bleu ce qui permet d’intercaler le vert entre jaune et bleu ; l’orangé est pris en sandwich par le rouge et le jaune ; entre le rouge et le bleu se place le violet prolongé d’une solution de continuité colorée appelée indigo. Tous les peintres et des plus éminents, affirment que le noir n’est pas une couleur...
- Comment Monsieur ! Le noir, pas une couleur ?... C’est délirant !... s’exclama Julia.
- Le noir n’est pas une couleur, de grands scientifiques l’attestent.
- Mais alors ?... Mais alors Monsieur, le Noir n’est-il pas l’Homme de couleur par excellence, je dirais même par essence ?... demanda Charles.
- Je l’ignore cher ami, mais je sais que le noir n’est pas une couleur.
- Comme c’est bizarre ! s’écria Marie. Il y a anguille sous roche : de cette histoire je demande la vérité, toute la vérité, la vérité toute nue !
- La vérité Mademoiselle répondit le professeur, vous l’avez ; toute la vérité, je tenterai de vous l’offrir ; quant à la vérité toute nue, je ne le puis : c’est trop de licence.
- Tu la veux toute nue sans le moindre string, Marie ?... lança le facétieux Jérôme.
- Mais encore ?... revint à la charge Julia.
Jean Ewass
« Mais alors ?... Mais encore ?... Mais bien sûr !... reprend Vital le noir n’est pas une couleur ! C’est même une absence de couleur, et le blanc un trop plein ! Pure antiphrase que de désigner le Noir, Homme de couleur par excellence ! »
(La suite, demain)