-Je vous laisse le choix des armes monsieur Robert Macaire, lui dis-je.
-Pas de sang Messieurs, je vous en conjure ! supplie une voix féminine. Tout à mon sujet, je ne la reconnais pas.
-Echecs, copoeira, flamenco répond mon rival.
-Après la messe, dans la grande salle des bals ; le noble jeu en trois parties le premier dimanche, sept jours plus tard trois heures ininterrompues de danse afro-brésilienne, puis l’espagnole le jour du Seigneur second ; telle est ma proposition.
- Le lauréat épousera Rose Irène Sophie avancent les Haricotier...
- Et Stella jouant le rôle d’Oldrada sera l’accessit ainsi l’amour demeurera-t-il roi, et la paix reine a complété monseigneur Irénée.
Après qu’ont été fixées et admises les modalités de réparation, partout au palais à la ville comme à la campagne, par tous les sentiers, les chemins de muletiers menant à la montagne où les pasteurs transhumant d’une malga à l’autre conduisent leurs troupeaux, il n’est de conversation que ce duel, réédition améliorée de celui qui à Marostica, pour les beaux yeux de Lionara fille de Tadeo Parisio opposa en l’an de grâce mille quatre cent-cinquante-quatre Rinaldo d’Angarano à Vieri da Vallonara.
Avec sa corpulence de sumotori poids plume et son air roger-bontemps donnant toujours l’impression de tout prendre à la légère, plaisantant sur des choses graves, monsieur Brice Provak le directeur de l’école des échecs au Centre d’Education Populaire de la ville bien que parlant d’autant plus sérieusement qu’il paraît blaguer, n’en demeure pas moins le meilleur pédagogue de la cité ; aussi dois-je rester très attentif tout au long des deux jours de révision intensive qu’il a eu l’aménité de me proposer. Pour atteindre le CEP, il faut traverser le Paradis, jardin public tracé en centre-ville. Porte nord : un labyrinthe, champ des héros dont Bernard de Clairvaux et Voltaire contrôlent l’accès, où Simon Kimbangu côtoie André Matsua tandis que Jeanne d’Arc tend la main à Kimpa Vita ; à la sortie, Tchaka tourne le dos à Napoléon contemplant Poséidon qui éjacule les quatre fleuves primordiaux jalonnés par des Géants en équilibre instable sur d’immenses rochers. Porte ouest : pattes d’oie, ronds-points reliés par des allées droites convergeant vers un resplendissant soleil métallique ou liquide : symbole du pouvoir autoritaire. Porte est : l’occupation de l’espace est caractérisée par une grande richesse de couleurs dans les dessins d’arabesques de verdure sur terrasses. La zone sud ressemble à un jardin à la française revu par un Anglais ayant séjourné au Japon dans sa jeunesse : bizarreries architecturales dominées par des formes irrégulières, des associations surprenantes ; à la fois jardin de prestige par la conception et le luxe, jardin de thé chargé de recréer un lieu de contemplation d’immobilité et de silence, cet espace traversé et cerné comme par la lâche laisse du jardin-promenade est, vu d’avion, jardin en damier dont les lignes portent de vieux arbres aux quarante écus, et les mailles fleurs, plans d’eau ; jardin dans le jardin, il nous donne à voir l’image d’un monde en miniature où triomphe le subtil équilibre entre spontanéité de la nature et asservissement de celle-ci pour le plaisir de l’être humain avec comme gardien du temple, Priape en majesté : le mortel communiant avec l’immortel.
De l’autre côté de la rue piétonne, le CEP ; il fait beau : le soleil déclinant dessine des arcades d’ombre sur les murs de l’immeuble. Derrière un grand portail haut d’environ trois mètres, un vaste vestibule d’où partent des dégagements : à gauche, vers les écoles de musique et de peinture ; à droite, la salle d’alphabétisation des adultes accotée à l’atelier de bricolage ; en face reléguée au fond du couloir, Cassiopée précédée de Caïssa. Salle rectangulaire meublée de quelques tables nues accompagnées de chaises dures. Assis à son bureau à l’autre bout de la pièce d’où se détache un tableau, monsieur Brice Provak m’accueille avec un large sourire.
L’Auberge espagnole est une toile d’environ quarante centimètres sur trente avec arrière-fond bleu azur en bas et, par endroits parasité de gris nuage, en haut. Une étroite bande sinueuse blanche oblique parcourue par des ondulations plus ou moins scintillantes s’élance des profondeurs pour la traverser d’un bord à l’autre donnant ainsi à voir en miroir deux images de lignes brisées noir de Chine portant des pointes perchées sur des angles rouge Congo très aigus. Une peinture à l’huile de dimensions moyennes est accrochée sur le mur de gauche : La Figue, sorte de gourde mauve posée sur une surface plane ou, peut-être tombée de quelque espace interstellaire, goutte parcourant le spectre de la lumière blanche et saisie juste lors de sa traversée de la bande violette. Comme pendant, un grand format : La Passion bleue. Porté par une plage blanche, un trépied mauve profond à bouts jaune poussin intercalés entre cinq manches centripètes de massues vert d’eau circonscrivant une succession de liserés circulaires lie de vin, vert olive, blanc cassé puis bleu outremer, marque le cœur du tableau. En périphérie, coiffé de dix cônes vert tendre disposés en circonférence, se déploie une couronne ciliaire de trois bandes colorées ; le bleu clair alternant avec le blanc mat. Sur le dernier mur, Les Obsèques de la carpe khoy. Dessiné au fusain, un enfant aux cheveux ébouriffés laisse dériver sur la rivière une barque en papier contenant le cercueil d’un beau poisson d’un empan de long et d’un auriculaire de large avec écailles encore luisantes bien que l’œil soit déjà morne. Un lombric entortillé sur lui-même tel un spaghetti trop cuit l’accompagne dans l’au-delà où il servira encore et toujours de repas. L’officiant en herbe des pompes funèbres accouvé sur la rive ses orteils trempant dans l’eau garde l’air grave, voire triste mais digne comme il sied à tout grand homme frappé par un petit malheur.
(la suite, demain)