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Billet de blog 26 septembre 2017

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KONGO BOLOLO:L'AMER PATRIE (12)

Mobilamis assiste à la cérémonie de mise des mains au feu qui signe la fin de la parenthèse dèèga: dès lors A-Kunaa sa tante par alliance devient épouse ordinaire parmi les épouses ordinaires. Lors d'une partie de pêche, elle lui raconte ses rencontres avec celui qui deviendra son mari.

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 La pénombre avait investi un sous-bois par endroits parsemé de lianes tourbillonnant  autour de gros troncs vert sombre ; puis apparurent de plus en plus abondants,  les Musanga cercropoïdès alias  parasoliers  autrement appelés kombo-kombo  espèce pionnière poussant en bordure de forêt primaire, ligne de démarcation entre le monde sauvage et le territoire domestiqué. Il devait être seize ou peut-être dix-sept heures et, à un endroit que rien ne distinguait du reste, A-Ndang emboucha son olifant en  corne de buffle ;  par de longs et puissants mugissements, il lança un message avant que quelques cinq cents pas plus loin l’horizon ne se dégageât brusquement : Dumla  en vue.  Censés venir d’un lieu inconnu, fils et  père  devaient se faire admettre à Dumla  village hors-piste  c’est-à-dire hors-normes. Quand ils apparurent à l’orée de la forêt, une cloche tinta pour signaler le franchissement de la zone de sécurité ; aussitôt sous la direction de Gèng portant lomiaka, six jeunes hommes armés qui de sagaie qui  d’arbalète  et de carquois pleins de flèches empoisonnées, se présentèrent au portail :                                                                                                                                                                          

- Qui êtes-vous ?  interrogea le chef du corps de garde.                                                                                                                                                  

– Je suis A-Ndang fils de Tididi venu  de Lomié au Cameroun, et de Mwamèkolba née à Garabinzam. Je suis accompagné de mon fils Mobilamis qui va à Sèèb continuer sa formation à l’école des Blancs.                                                                                                                                                            

– D’où venez-vous ?...                                                                                                                                                                                                    

- De  Garabinzam, nous avons  passé trois jours à Pumba-Ekom chez mon beau-frère Agoombeng, puis une nuit dans le village abandonné d’Andaboi, et enfin avons séjourné chez le chef Boko pour les festivités  d’Èbula dèèga  en l’honneur de sa fille Mètomèlok.                                                                

–Que venez-vous faire ici ?...  

– Participer à la cérémonie de « la mise des mains au feu » de Mèdiimègoo (Eau chaude)  alias A-Kunaa, bru du frère de ma femme Èbuk-Isi.                                                                                                                                                                                

–Ils sont des nôtres ! Laissez-le passer !...commanda Gèng.

On leva la barrière d’entrée : pour atteindre le baaz,  les arrivants empruntèrent la grande allée bordée d’une double palissade de parasoliers  bois très léger mais capable d’absorber  le violent choc des impacts de flèches, lances, ou balles.  Dumla était un village circulaire  non seulement hors-piste, mais aussi hors-normes pour  l’époque ;  de l’extérieur vers l’intérieur il était protégé de l’ennemi et des bêtes féroces par  six  zones de sécurité : la forêt, l’espace de cultures saisonnières, celui des cultures permanentes, le double rempart de kombo-kombo suivi d’un fossé profond d’environ deux mètres borné d’un plessis d’épineux. Une seule porte de sortie et d’entrée  avec poste de guet ouvrant sur le baaz poste de garde d’où on pouvait  gagner les lieux d’habitation. Les cases étaient de grands hangars fermés entourés de petites chambres, une par coépouse. La plus importante d’entre ces maisons en pisé dont une partie faisait office de baaz mesurait de longueur près de la largeur d’un terrain de football, et de largeur la longueur d’un court de tennis ; il s’élevait à près de dix mètres de haut : c’était la résidence de Baakel le chef du village. Nulle rue mais des espaces de circulation s’entrecroisant parfois entre des conglomérats de cases et,  face à un terrain vague pouvant tenir lieu de Grand-Place, la résidence des hôtes de marque : toit à deux pentes, murs en pisé,  une porte en écorce d’arbre,  pas de fenêtre ;  A-Ndang et son monde y seront logés. De-ci de-là vaquaient chèvres, boucs, poules et coqs cherchant de quoi se nourrir. Si tous les hommes devaient manger au baaz, les femmes se réunissaient par affinités électives ou consanguines. Le surlendemain vers neuf heures alors que les derniers invités étaient arrivés la veille, A-Kunaa parut ;  à ses côtés devant  tout le monde, Mo-Ndjaa sa mère qui par procuration revivait cette même  scène dont elle avait été l’héroïne vingt-cinq ans plus tôt : la fin de la parenthèse dèèga qui signait  la fin de la période éducative : sa fille devenait enfin femme.  Selon la coutume, dans chaque village traversé chacun était tenu d’offrir un présent à la future ex-dèèga de passage. Pendant deux jours et deux nuits on chanta, dansa, bu, mangea, s’amusa souvent  plus que de raison ;  au matin du troisième jour alors que Dumla commençait à s’assoupir, on entendit résonner  le buook ou buoog : il battait le rappel devant la résidence  d’A-Kunaa. Quand tout le monde se fut assemblé, Mo-Ndjaa  mère d’A-Kunaa  la dèèga en fin de vie, prit la parole : « Aujourd’hui prend fin mon rôle d’éducatrice puisque de Saaba tu seras désormais A-Kunaa, de fille  tu deviens femme, de dèèga tu passes à l’état d’épouse de plein devoir. Je n’ai ces derniers jours eu de cesse de te rappeler le strict respect du principe de préséance due à la primogéniture et aux règles régissant les structures de parenté, je t’ai  à plusieurs reprises notifié l’obligation pour toute femme  mariée non-dèèga d’alimenter régulièrement  le baaz, et certifié l’horreur de l’omophagie dans notre culture.  Au nom des miens je remercie tous les membres de ta belle-famille de l’accueil reçu et de l’attention portée à celle qui hier encore était dèèga. Ma fille, te voici désormais femme ordinaire parmi les femmes ordinaires : viens allumer ce feu, cuire ces bananes et ces coqs  que nous t’avons offerts dans ces ustensiles que nous t’avons apportés, offre ce premier plat de femme ordinaire  à tes beaux-parents comme clou du gèèb,  festin avec méchoui d’antilope que nous mettons à disposition de toute l’assistance. Dorénavant tu es autorisée à remplir toutes les obligations  inhérentes  à ta condition de femme ordinaire. » On tira quelques salves de coups de fusil, des femmes versèrent des larmes puis la fête reprit de plus belle jusque tard dans  la nuit.           

Une semaine plus tard alors que  ses parents avaient regagné  Ekom leur village, se sentant quelque peu esseulée  A-Kunaa invita Mèdiimèkèl  (Eau-d’Aval) et Mètomèbi (Gouttes -de-Pluie) ses cousines par alliance à une partie de pêche au barrage. Bien que ce fût là une activité spécifiquement féminine, Mobilamis  souhaita  les accompagner.  Barré en amont,  et en aval par des branchages, feuilles et mottes de terre, un bout du molipa  bras mort d’un affluent du Mimbanye devint étang. Afin de se donner du cœur à l’ouvrage, les pêcheuses chantaient ; bientôt les petites corbeilles en osier eurent raison du bassin : on ramassa les poissons embourbés, et alla  dénicher  ceux enfuis dans les trous entre les racines des arbres. La récolte fut excellente.                                                                                                                                     

–J’ai grand faim ! Pas vous ?... demanda A-Kunaa.                                                                                                                 

–Si !...répondirent les filles et le garçon. 

Le repas de poisson grillé et de banane se déroulait dans une ambiance détendue : Mobilamis en profita pour engager la conversation :                             

-Dis-moi, c’est un drôle de nom, A-Kunaa (Ne-pas-Approcher) ! 

– C’est mon nom de dèèga : mon patronyme est Saaba.

– Ha !...C’est un nom prémonitoire, Saaba (Bonne-à-Marier) !

-En effet, je ne me suis jamais fait du souci à ce sujet ; c’était écrit dans le ciel.

–Comment  une fille d’Ekom a-t-elle pu rencontrer un homme de Dumla ? continua le garçon.                                                                                                                                                                                       

- En pleine cérémonie de beka, j’étais venue à Dumla soigner ma mère petite c’est-à-dire la petite sœur de ma mère. L’endurance de Biakèng  fut si éclatante qu’on en entendit parler longtemps à travers  tout le pays jusqu’à Ekom, ainsi la nouvelle parvint-elle aux oreilles de mon père. J’avais quinze ans, et venais de quitter l’école des Blancs. À sa sortie du temps de réclusion, le nouvel initié de qui tout le monde parlait me croisa un jour ; prenant mon courage à deux mains, j’engageai la conversation :                                                                                                                                                              

«- Il paraît que tu as été d’une endurance  digne de figurer dans les annales de beka !

- J’ai fait ce que j’ai pu .                                                                                                                         

- J’avais quinze ans, il était beau et modeste de surcroît. Je regagnai la maison le cœur battant.                                                                                                                                                 

– Tu ne voudrais tout de même pas me dire  que le critère déterminant de ton choix fut son comportement lors de l’épreuve de circoncision rituelle en place publique ?... s’étonna le garçon.                                                                                                                                                                                                                                  

– Si !... mon jeune mari.Pour une fois que,  dans leur intérêt propre de mère les femmes peuvent imposer une loi aux hommes, pourquoi  m’en  priverais-je ?                      

-Imposer une loi aux hommes, tu n’y penses pas A-Kunaa !

-Si !.... cousine Mètomèbi. Hormis le bénéfice sensoriel non négligeable qu’elle tire de l’épithélialisation du gland pénien, la  femme kwil soutient sans faille beka parce que celui-ci lui sert de discriminant  imparable entre les différents prétendants au titre de père  de ses futurs enfants. Connaîtrais-tu une seule femme kwil qui accepterait de copuler avec un incirconcis ? Non !... S’il en est ainsi c’est qu’elle y trouve  son compte. Beka, véritable police sociale des frontières  du sexe féminin arrange bien les affaires des hommes qui, s’étant approprié la loi l’ont détournée à leur profit au moins dans sa représentation sociale afin de limiter drastiquement l’accès des jeunes aux femmes. Notre culture ayant une fois pour toute décrété le sexe de la femme chef d’œuvre parfait, idoine à son objet donc indépassable et imperfectible,  a conféré à la femme kwil un pouvoir hors du commun dans les autres cultures : hors beka, la relation hétéro-sexuelle ne peut que livrer un savoir  sans ouvrir à la connaissance, béer la porte du plaisir sans entrebâiller celle donnant accès  au subrécot  féminin, seuil de la divinisation.                                                                                                                                                                        

–Qu’est-ce que le subrécot féminin?interrogea Mobilamis.   

–C’est... comment te le dirai-je ?... le dessert lors d’un repas de fête. Quand dans quelques années tu seras homme, peut-être t’arrivera-t-il de fréquenter quelque femme commune ; malgré toute ta science, en dépit du talent de celle-là qui toujours se prête  sans jamais se donner, il te resterait  un arrière-goût amer d’inachevé ; cette saveur signe l’absence de subrécot fémin présenté mais non livré. Voie d’approche privilégiée des mystères célestes, la Chose est devenue source de pouvoir terrestre ; aussi a-t-il fallu en codifier l’accès, le corsetant  de règles multiples dont la femme est la vigilante gardienne; le  beka est le compromis trouvé pour sélectionner les meilleurs pères, et contrôler l’accès aux femmes. 

(La suite,prochainement)

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