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Billet de blog 27 janvier 2019

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Le bonheur n'est pas Vital. (11)

Âgé de cinquante ans, le docteur Jules est un médecin estimé de ses patients, mais qui bizarrement trouve son métier de plus en plus absurde, et l’exercice de celui-ci une trahison de l’idée qu’il s’en était fait : il assiste impuissant à l’agonie, et bientôt peut-être aux funérailles de sa passion. Qu’est-ce qu’un être sans passion ? Un cadavre au milieu des ruines.

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Monsieur le professeur tire une copie du tas de gauche.


QUESTION.


Vivre, pourquoi faire ?...
Mourir, à quoi bon ?...

Antoine Ndjobolo


Vital fronce les sourcils, puis prend au hasard quelque chose de sa main droite.


DONNEZ-MOI UNE RAISON DE MOURIR !

Âgé de cinquante ans, le docteur Jules est un médecin estimé de ses patients, mais qui bizarrement trouve son métier de plus en plus absurde, et l’exercice de celui-ci une trahison de l’idée qu’il s’en était fait : il assiste impuissant à l’agonie, et bientôt peut-être aux funérailles de sa passion. Qu’est-ce qu’un être sans passion ? Un cadavre au milieu des ruines.

Il se voit homme transparent, sans épaisseur sociale, marié par imprudence ou lâcheté, ayant failli devenir père par accident ou désœuvrement, soliloque menant une vie de somnambule faite d’un empilement himalayen d’heures en strates sédimentant sans rime ni raison dans un brouillard opaque, une vie de plaisirs mesquins, de joies étriquées, de tristesses banales ; homme sans mérite particulier ni démérite remarquable, sans vrai ami ni ennemi juré : homme du juste milieu, amant quelconque, mari falot, médecin ordinaire ; bref à peine un homme, plutôt le sept milliardième numéro de la gent humaine.

Pourquoi est-il ici mais non là ? Il l’ignorait. Pourrait-il s’en sortir autrement qu’en mourant d’une impatiente velléité ? Il ne le savait. « Comme cadeau d’anniversaire je me paierais bien à l’instar du poète Quyan, un aller simple pour Beidaihe cité accueillant les candidats au suicide ; se répète-t-il lorsque son esprit n’est pas distrait par son travail. » Durant cette tentation récurrente la mort lui apparaît de plus en plus comme un bien désirable, le seul moyen de continuer dignement à vivre, de se réconcilier avec ce monde, de gagner en sérénité.

En y réfléchissant, le docteur Jules s’aperçoit que cette impression s’est installée insidieusement comme toute maladie grave, puis ont paru des signes dérisoires, trompeurs, changeant tels des masques d’un théâtre chinois. Un soir, grâce à Tourgueniev, tout se précise : «  En face de l’éternité, tout est néant ». Pour ce médecin, le néant s’est costumé d’éternité. Eternité et néant, deux formes d’une même réalité, envers et avers d’une unique médaille dont la tranche symbolise la vie humaine, une tranche de vie, de vie éternelle qui continue même masquée par la cendre de la mort ; alors à quoi bon vivre ?

Où trouver le moindre prétexte pour offenser de sa présence, le soleil chaque matin ? Quel motif avancer afin de s’autoriser à polluer l’air de la pestilence de son existence ? S’il faut mourir, pourquoi ? Dans la mort l’éternité ne devient-il pas néant ? Point d’autolyse en hiver : déjà les perce-neige annoncent le renouveau de la nature ; au printemps ? Les avettes butinent, les papillons multicolores virevoltent, les oiseaux égayent alentour ; comment s’occire par si belles journées ? Attendons l’été... Seul un homme doté d’une force herculéenne entreprendrait par canicule pareil travail de titan : mourir l’été. Quand arrive l’automne, l’ardeur à trépasser tiédit devant le dégradé des nuances colorées nées de la danse des variations de la lumière sur les feuilles se trémoussant au vent : il se dit : « Je déprise de plus en plus la vie sans toutefois encore la mépriser  ; en hiver, il sera bien temps de périr ; en attendant, je rédigerais bien quelques vers en forme de prière d’admettre au Ciel ou en Enfer car écrire c’est déjà mourir un peu, à moins que dans un orgueil prométhéen, ce ne soit une désespérante aspiration à vivre au-delà de la mort».

Pourquoi dit-on condamné à mort, mais non libéré de la vie ? En définitive doit admettre le docteur Jules, «  J’ai beaucoup d’allant mais bien peu de talent pour mourir malgré mon amour regrédient de la vie, ma vocation du néant par incapacité vitale d’être ; mais, est-ce surprenant ? Quand on a tout raté depuis la première minute de la première heure du premier jour de sa vie peut-on, risque –t- on de réussir son suicide ? Rien n’est moins sûr. Qui n’a de raison de vivre, en trouvera-t-il de mourir ? »


Patrick Makalamba

(La suite, demain)

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