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Billet de blog 5 avril 2016

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La chola des pieds nickelés

Les violences infligées à l’ex maîtresse du président, emprisonnée depuis un mois, sur laquelle le gouvernement aidé par son appareil judiciaire fait porter toute la culpabilité des malheurs d’Evo Morales.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici deux mois, le journaliste Carlos Valverde révélait au public un extrait d’acte de naissance prouvant qu’en 2007, un garçon était né des amours d’Evo Morales avec une jeune fille de Cochabamba, Gabriela Zapata, alors âgée de 17 ans. Il révélait aussi que depuis 2013, cette jeune femme était gérante commerciale d’une entreprise chinoise,CAMC Engineering, qui avait passédes contrats s’élevant à plusieurs millions de dollars avec l’État bolivien. Il en avait déduit la possible existence d’un trafic d’influence impliquant le chef de l’État.

Depuis, cette affaire fait chaque jour la une des journaux. On ne sait toujours pas si l’enfant est vivant ou s’il est mort. Evo Morales a affirmé qu’il était décédé au bout de quelques mois. Mais personne n’a pas vu de certificat de décès. Et s’il existe une tombe on ignore où elle se trouve. Certains des ministres et alliés du président soutiennent qu’il n’y a jamais eu d’enfant, que le certificat présenté par le journaliste n’est pas probant, et que c’est une invention de la prétendue mère. Celle-ci maintient que l’enfant est vivant, mais qu’elle ne le présentera que devant un juge en présence de garants internationaux.

La question des fraudes et des commissions dans les contrats attribués à l’entreprise chinoise CAMC fait l’objet d’une enquête parlementaire, d’une expertise de la Cour des comptes et d’un procès intenté uniquement à Gabriela Zapata qui est sous le coup de plusieurs chefs d’inculpation :  légitimation de gains illicites, enrichissement de particuliers aux dépens de l’Etat, complicité de trafic d’influence (« uso indebido de influencias en grado de complicidad »), exercice illégal de la profession, usage de faux («  delito de falsedad en declaraciones juradas »)... Pour le moment la commission parlementaire, de laquelle les députés de l’opposition ont démissionné au prétexte qu’elle refusait de s’attaquer au fond de la question du trafic d’influence, affirme que les contrats qu’elle a vérifié (une partie de l’ensemble) sont conformes à la loi –  tandis que divers articles de la presse indépendante dénoncent des irrégularités[1].

Je ne me lancerai pas ici dans un résumé de l’embrouillamini des révélations vraies ou fausses concernant ces deux versants principaux de l’affaire. S’il me paraît important de traiter à nouveau de ce sujet, c’est principalement en raison des violences que l’on fait subir à l’ex maîtresse du président, emprisonnée depuis un mois, sur laquelle le gouvernement aidé par son appareil judiciaire fait porter toute la culpabilité des malheurs du président. Rien ne semble devoir arrêter ce qui apparaît comme une véritable entreprise de destruction mentale et physique au mépris de toutes les règles élémentaires d’administration de la justice. Voici en gros, l’histoire que le gouvernement bolivien essaie de faire gober :  

Il y a un complot  de l’étranger (le ministre de la défense dixit), ou de la droite (la ministre de la Communication dixit). On a mis dans le lit du président Morales une jeune fille à peine sortie de la puberté.  Elle lui a fait un enfant contre son gré, à moins qu’elle ne lui ait fait croire qu’elle l’avait fait. On ne sait trop. Puis elle s’est servie de cette paternité glorieuse pour se faire nommer cadre dans la succursale d’une puissante entreprise publique chinoise.  Et elle a intrigué, dans un bureau du ministre de la Présidence, pour que l’Ėtat bolivien signe des contrats millionnaires avec cette entreprise afin de palper au passage de généreuses commissions.  Tout cela subrepticement, malignement  derrière le dos du président Morales qui n’y a vu que du feu. La victime, c’est lui.

En conséquence :

Il était urgent d’empêcher cette impudente  de nuire. On l’a jetée en prison. Ses conditions de détention étaient trop accommodantes. On l’a tranférée dans une prison de haute sécurité. Son entourage parlait trop. On vient de lui interdire de s’exprimer ; y compris son avocat. On menace et surveille les uns et les autres.

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En second lieu, il est important de souligner que la charge au canon menée contre Gabriela Zapata pour l’empêcher de révéler ce qu’elle sait des combines et trafics impliquant l’entourage de la présidence et en faire le bouc émissaire de toute cette affaire, a eu pour effet de discréditer profondément et durablement la plupart des membres de cet aréopage et ternir l’image du caudillo : 64% des boliviens pensent désormais qu’Evo Morales ment[2].

Le déclin du MAS et du pouvoir exécutif qui a débuté avec le scandale du Fondo Indígena Originario Campesino FONDIOC[3] impliquant des dirigeants indigènes de premier plan était devenu manifeste au moment des élections locales de mars 2015 à l’occasion desquelles il avait été mis en échec dans toutes les grandes villes et dans ses bastions du département de La Paz. Le cas Zapata qui remet directement en cause la valeur morale du chef de l’Etat jusqu’alors intouchable, et laisse entrevoir des trafics financiers de très grande ampleur, rend encore plus évident un déclin qui s’est traduit par la défaite électorale du 21 février 2016[4].

En outre, deux piliers du jefazo, son vice-président et son ministre de la Présidence sont dans une très fâcheuse posture. C’est dans les bureaux d’un des services du ministère de la présidence que Gabriela Zapata pratiquait ses activités d’intermédiaire commercial. On a donc mis en prison la responsable du service en question et son chauffeur et on a aussi fait disparaître le registre des entrées. Ces mesures préventives n’ont pas suffit à éteindre les soupçons d’accointances entre le ministre et Gabriela Zapata depuis que circule sur la toile une de leurs supposées conversations par la  messagerie instantanée WhatsApp. Le ministre y gratifie la dame de compliments appuyés («  vous, toujours si belle »), lui fait part de ses désirs (comment ne pas vouloir piloter votre barque (como no quisiera ser piloto de su lancha), « mes hormones amazoniennes me travaillent » (mis hormonas amazónicas me dicen algo),  tandis que la dame le flatte en l’honorant du titre : « mon roi » « mi rey ». L’ex major de l’armée bolivienne devenu ministre a beau nier, l’expression de ses émois agite les réseaux, tandis que Gabriela Zapata l’accuse maintenant de s’être servi d’elle pour ses manigances et trafics[5].

Quant au Vice-président, on vient d’apprendre que ses titres universitaires dont il était fier n’existaient pas. Il n’est pas licencié en mathématiques de l’Université autonome de Mexico (UNAM), car il n’a pas terminé son cycle d’études. Il n’a pas non plus mené à terme ses études en sciences sociales à l’université Mayor de San Andrés de La Paz (UMSA). Or son titre de licencié en mathématiques figure sur sa carte d’identité et sur le livret militaire qui lui a servi de document légal pour être candidat à la vice-présidence. Et il a dispensé pendant des années des cours de sociologie à l’Université Mayor San Andrés de San Andrés[6]. Interrogé sur cette question Evo Morales s’est contenté de dire qu’il n’était pas au courant.

Parmi les nombreux commentaires que suscite cette burlesque et tragique situation (pour la recluse), en voici un qui m’a paru fort à propos.

Gabriela Ichaso

L’avocate et le licencié[7] (source : www.gabrielaichaso.com)

Elle a dit qu’elle était avocate[8], elle n’a pas été fonctionnaire, elle n’a signé aucun contrat, mais on est allé fouiner dans ses notes à l’Université, on a recherché son titre de bachelière, la date de son accouchement. Elle est emprisonnée et quand elle relève la tête, l’institution à l’origine de son enfermement formule de nouvelles charges contre elle.

Il a soutenu qu’il était licencié, il a enseigné dans une université publique qui exige un diplôme légalisé s’il a été obtenu à l’étranger et, pour être autorisé à candidater à la vice-présidence de la République il a présenté son livret de service militaire qui mentionne qu’il est licencié en mathématiques. Personne ne s’est inquiété de savoir combien d’unités d’études (de certificats) de mathématiques il avait effectivement obtenus, et combien en sociologie. Il a trompé Evo, et tout le monde, en affirmant qu’il avait un titre de post graduation (master) de l’université autonome de Mexico (UNAM) ; il est vice-président, et la page web officielle du gouvernement de Bolivie continue d’afficher son titre de mathématicien. Il est libre et couvert de louanges.

Lui, c’est l’éminent idéologue du gouvernement. Les entrepreneurs, les politiciens, ceux qui le critiquent sur les réseaux sociaux et dans les couloirs mais demeurent dans son orbite, se tournent vers lui,  tous plus empressés les uns que les autres, cependant qu’il assène ses  discours aux écoliers et au public bolivien comme s’il s’agissait tous de débiles mentaux.

Elle, c’est la menteuse, la mauvaise mère, la seconde ou la troisième, la chola[9], la fausse blonde (choca falsa), l’arriviste, la déclassée, la profiteuse, celle qui a dû cacher son enfant mais, ce qui importe c’est de savoir si elle a été enceinte à 18 ans ou si elle a accouché à 21 ans, et non pas qu’elle ait été trompée pour que rien ne filtre de la gestation d’un enfant du jefazo. C’est aussi  la faussaire, la dirigeante factice, la trafiquante, la voleuse, la fourbe.

Elle, on doit l’emprisonner pour qu’elle ne parle pas, lui retirer ses enfants, ses téléphones portables, son chéquier, l’empêcher de se teindre les cheveux pour qu’on voit à quoi elle ressemblait avant d’être blonde, et la laisser pourrir, et que personne ne (le) sache.

Quelle est la différence ?

C’est une femme, naturellement. Tout est fait pour qu’elle perde, disparaisse ou meure !


[1] Rappelons que la CAMC a obtenu six contrats sur sept sans adjudication. http://eju.tv/2016/03/camc-registro-legalmente-bolivia-solo-trabajador-chino-2015/ ; http://www.bolpress.com/art.php?Cod=2016032202  Amalia Pando Cabildeo, Las aventuras del Presidente y la china CAMC. Capítulo 1: Las perforadoras. Un autre contrat délictueux avec la Chine : http://www.bolpress.com/art.php?Cod=2016040402  Amalia Pando Cabildeo Las aventuras del Presidente y los chinos. Capítulo 2: Las barcazas.

[2] http://www.eldeber.com.bo/bolivia/disminuye-aprobacion-evo-referendum.html  21 mars 2016

[3] Voir le billet : Corruption à tout-va en Evolandia.

[4] Voir le billet : Les frasques d’Evo Morales

[5] À propos des  accusations qui pèsent sur le ministre, voir : http://www.paginasiete.bo/nacional/2016/4/1/camiones-zapata-casos-enredaron-quintana-91780.html

[6] Il est aussi mêlé à divers scandales : http://eju.tv/2014/05/garca-linera-ya-no-es-lo-que-era-las-denuncias-de-corrupcin-lo-estn-debilitando/

[7] http://eju.tv/2016/03/la-abogada-licenciado/

[8] Elle a seulement suivi quelques cours de droit.

[9] Chola signifie métisse de Blanc et d’Indien,  mais aussi femme de mauvaise vie.

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