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Billet de blog 6 décembre 2016

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Bolivie. Nous sommes en train de rattraper le Venezuela

La réaction de la journaliste Lupe Cajías face à l’incurie du gouvernement d’Evo Morales qui n’a pas anticipé une pénurie d’eau prévisible et annoncée. Chronique parue le 26 novembre 2016 dans le quotidien Los Tiempos sous le titre : « Venezuela is coming ».

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« Venezuela is coming » 

Vous souvenez vous de ce militaire au béret rouge qui venait chez nous et distribuait des chèques et même des valises de ce dollar honni? Il arrivait, avec ou sans permission, suivi d’un cortège de courtisans, et il avait le culot de désigner la voie que devait suivre tel ou tel ministre ou telle entreprise. Je me suis souvent demandé pourquoi et dans quel but il était flanqué de militaires et à quoi servait le bunker édifié sur la place centrale d’Obrajes[1].

Comment justifiait-il la dépense de tout cet argent qui ne lui appartenait pas, qui n’était pas celui de sa famille, ni de son héritier ? Il n’existe aucun document qui permette de connaître le montant réel de ce qui a été donné, de ce qui a été prêté, de ce qui faisait partie des fonds réservés aux différentes campagnes populistes du continent. On disait que le marché vénézuélien serait le meilleur et que les textiles boliviens y trouveraient un débouché prometteur.

À peine cinq ans plus tard, ce coffre qu’on croyait inépuisable se retrouve sans papier hygiénique, sans pâtisseries, sans médicaments, sans pain et même sans cercueils. Le châtiment de Gomorrhe semble se répéter. Les excès mènent aux catastrophes humanitaires et, pis encore, s’il s’agît d’excès  des nouveaux riches, pourvus d’une fortune qui ne leur vient que de l’accaparement des ressources publiques.

Il y a peu, le MAS se permettait le luxe de faire cadeau d’une statue, valant un million de dollars, à la capitale fédérale de l’Argentine[2]. Avec quelle générosité l’argent a-t-il été employé! Avions, hélicoptères, vols charters dans le monde entier pour les amis, palais, téléphériques, meubles importés, tapis persans[3]

Pendant ce temps-là, l’heure d’économiser a passé. En 2016, au lieu de se mettre au travail Iván Canelas et ses troupes ont passé leur temps à tout faire pour imposer Evo Morales pour l’éternité. Aucun avis ne les a freinés. Le faux licencié Álvaro García Linera[4] annonçait que, si le referendum n’était pas favorable à la réélection de Morales, le 21 février, le soleil et les étoiles s’éteindraient. Finalement, il s’est trompé, le firmament est toujours là, ensoleillé, étoilé, mais c’est ici, en bas, sur la terre bolivienne, que l’eau manque, et maintenant la lumière aussi.

« Apocalypse now », est-ce pour demain? Peut-être. Selon les experts et les responsables de la coopération internationale qui étudiaient la question de l’eau potable, du traitement des déchets, de la préservation des aires naturelles et observaient que tous ces champs de coca réduisaient les réserves aquatiques, tout ce qui nous arrive était prévisible.

Au-delà de ses causes planétaires, le drame des habitants de La Paz, Cochabamba, Oruro, Sucre, Tarija aurait pu être évité si on n’avait pas taillé en pièces  les institutions nationales. Si on n’avait pas multiplié les planques (pegas) pour amateurs de voyages en charters. Si on avait préféré l’eau de source à la bière.  Nous sommes en train de rattraper le Venezuela. http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20161125/columna/venezuela-coming

Lupe Cajías est journaliste, écrivain, biographe et historienne. Elle a dirigé le bureau de lutte contre la corruption en Bolivie de 2003 à 2005.Elle préside actuellement l’Association des journalistes de La Paz  (mandat 2014-2016).

Illustration 1
La Paz Illimani

J’ajoute à cette chronique quelques lignes d’un billet d’Ivan Arias Durán paru hier (5 décembre 2016)dans le quotidien Página Siete : « Agua: entre Aquaman y el Capitán América ». L’article, très éclairant, mérite, bien sûr, d’être lu en entier.

http://www.paginasiete.bo/opinion/ivan-arias-duran/2016/12/5/agua-entre-aquaman-capitan-america-119266.html

La Bolivie est aujourd’hui un pays urbain (à plus de 75%) et la question de l’eau est suffisamment sérieuse pour ne pas la laisser aux mains de politicailleurs d’occasion. En Amérique latine, les agences de distribution de l’eau dépensent entre 12 et 17% de leur budget pour payer leurs salariés ; EPSAS[5] en pompe 52%. Et pour produire 1000 litres d’eau il faut en moyenne cinq personnes ; EPSAS en occupe quinze. Comme on peut le constater, EPSAS est une source de planques (pegas), mais elle ne produit pas d’eau. La caste dirigeante qui domine EPSAS est moins intéressée par la distribution de l’eau que par le maintien de ses fauteuils et de ses espaces de pouvoirs. Comme  le dit Enrique Velasco : « N’avoir rien fait jusqu’à ce que les retenues d’eau aient perdu 95% de leur contenu, c’est au moins avoir manqué à ses devoirs, mais on est tout près de l’impéritie criminelle ».


[1]Ambassade du Venezuela en Bolivie.

[2]Monument à la gloire de Juana Azurduy de Padilla,  héroïne de l’Indépendance, en remplacement d’une statue  de Christophe Colomb.   http://www.eldeber.com.bo/bolivia/ven-deterioro-estatua-evo-dio.html

[3] Allusion au scandale provoqué par l’achat de meubles et de tapis coûteux pour équiper le nouvel immeuble du   ministère de l’Économie.

[4]Cf. mon billet précédent : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-lavaud/blog/051216/penurie-d-eau-la-paz

[5]Empresa Pública Social de Agua y Saneamiento (Epsas) de La Paz.

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