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Billet de blog 11 octobre 2016

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L’assassin du Che. Evo en remet une couche

Comment Evo Morales refait l’histoire pour figurer au Panthéon de la révolution

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Samedi 8 octobre. Evo Morales inaugure le Centre culturel “Che” Guevara de Vallegrande[1], à l’occasion du 49e anniversaire de la mort du guérillero.

Il se délecte de prendre à nouveau pour cible le général Gary Prado. On se souvient qu’en juillet dernier, il l'avait accusé d’avoir exécuté le « Che ». Il avait twitté : "Jerjes le socialiste, Chato le guérillero et Sánchez Berzaín le renard[2] défendent Gary Prado, général de la dictature, assassin du "Che" et séparatiste »[3].

Voici la traduction littérale de sa nouvelle diatribe : « Selon sa recherche (de l’historien Gustavo Rodríguez Ostria[4]), documents à l’appui, la CIA a ordonné d’assassiner « Che » Guevara par le truchement du général Prado, celui-ci a reçu l’ordre d’assassiner le « Che », et ce général a confié la tâche à une autre personne pour qu’il l’exécute ». Et pour le cas où son auditoire l’aurait mal compris, il a répété son accusation avec la même gourmandise : «…la CIA a ordonné au général d’assassiner, et lui, il a donné mandat à un autre militaire pour qu’il assassine « Che » Guevara, il y a 49 ans ».

Selon la version de tous les historiens sérieux et notamment celle de Carlos Soria Galvarro dans le Tome 5 de El Che en Bolivia, documentos y testimonios[5], Prado a livré vivant Guevara à ses supérieurs dans le village La Higuera (Vallegrande). C’est aussi ce que n’a jamais cessé de clamer le général, qui a plusieurs fois narré aussi bien les circonstances et le moment de l’arrestation que le déroulement des heures qui ont suivies[6]. La décision de mettre fin à la vie d’Ernesto Guevara vient du président Barrientos, et l’ordre est transmis par le haut commandement de l’armée. La CIA et les autorités nord-américaines auraient nettement préféré le garder vivant[7].

Evo Morales réécrit donc l’histoire de la fin du « Che ». Et il ment. Sciemment. Obstinément.

Mais cela vaut la peine. Ne porte-t-il pas en lui quelque empreinte du Che ? N’en est-il pas l’héritier ? Lors de cette même cérémonie d’inauguration, le ministre de la culture de Cuba, Abel Prieto, a déclaré :  "Par votre victoire, votre œuvre et celle de votre peuple, avec cette nouvelle Bolivie fondée par ce leader exceptionnel qu’est notre frère Evo, vous avez redonné une seconde vie au Che. C’est comme si toute cette œuvre sociale assurait le triomphe du Che après sa mort "[8].

Illustration 1

Et pour faire bon poids dans la louange extatique, le secrétaire exécutif de la Centrale ouvrière bolivienne de Santa Cruz s’est écrié : « Le Che n’est pas mort ; il revit à travers Evo Morales »[9].

Il n’y a pas de limite à l’enflure mythomaniaque. Mais qu’Evo Morales se prenne tour à tour pour l’Inca, Tupac Katari[10] ou « Che » Guevara, et qu’une cour de thuriféraires l’aide à endosser ces déguisements n’est pas l’essentiel.

Son entreprise mensongère va bien au-delà. Le terme mensonge est faible, voire impropre, pour désigner un discours répétitif qui consiste à imposer le vrai indépendamment des faits, fussent-ils avérés. On devrait plutôt parler d’une stratégie de la tromperie, de la fausseté et de la dissimulation. Une stratégie soigneusement élaborée. Elle n’est pas seulement le fait d’Evo Morales ; elle est au cœur de la propagande du gouvernement tout entier qui y accorde beaucoup de son temps, de son énergie et des ressources financières du pays. Et c’est ainsi qu’en matière de politique de l’environnement, de protection et de secours à l’égard des populations indigènes vulnérables, de respect des droits de l’homme et de la démocratie cette équipe fait exactement le contraire de ce qu’elle énonce et diffuse, quotidiennement, avec aplomb, par tous les moyens médiatiques à sa disposition.

Et la cérémonie d’inauguration du centre culturel de Vallegrande demeure somme toute modeste au regard des festivités envisagées l’année prochaine pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort du guérillero. Quelle mise en scène nous réserve-t-on pour accréditer la filiation du président indien au héros mythique ? Et quelle nouvelle infamie inventera-t-on pour discréditer et accabler le général?


[1] « Che » Guevara a été exécuté au village La Higuera, province de Vallegrande, département de Santa Cruz.

[2] Jerjes Justiniano, ambassadeur de Bolivie au Brésil de 2012 à2015 ; Osvaldo « Chato » Peredo, adhérent du MAS depuis ses débuts et ancien conseiller municipal de Santa Cruz pour le compte de ce parti ;Sanchez Berzain, ancien ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Gonzalo Sánchez de Lozada.

[3] Voir mes trois précédents billets.

[4] Historien, nommé ambassadeur de Bolivie au Pérou en 2014. Pour le moment, je n’ai pas vu figurer de telles allégations dans l’œuvre de Gustavo Rodríguez Ostria . Mais peut-être n’ai-je pas tout lu.

[5] El Che en Bolivia. Documentos y testimonios, La Paz, Editorial La Razón, 2005.

[6] Son dernier témoignage date du 8 octobre : http://www.eldeber.com.bo/bolivia/gary-prado-salmon-hice-cosas.html Voir aussi la mise au point récente de Carlos Mesa Gisbert : https://carlosdmesa.com/2016/08/12/sobre-la-muerte-del-che/

[7] Sur la part de la CIA dans la guérilla, voir Thierry Noël, La dernière guerilla du Che, Vendémiaire, 2014.

[8] http://hoybolivia.com/Noticia.php?IdNoticia=207245&tit=la_nueva_bolivia_que_evo_fund%F3_le_dio_una_segunda_vida_al_che_prieto

[9] http://hoybolivia.com/Noticia.php?IdNoticia=207245&tit=la_nueva_bolivia_que_evo_fund%F3_le_dio_una_segunda_vida_al_che_prieto

[10] Leader d’une rébellion indigène contre la couronne espagnole à la fin du XVIIIe siècle dont les indianistes ont fait leur héros.

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