Les méga-barrages hydro-électriques
Suivant la ligne fixée par l’Agenda Patriótica 2025 qui consiste à engendrer des excédents économiques par l’exportation d’électricité et vise à faire de la Bolivie « le centre énergétique de l’Amérique du Sud », le gouvernement poursuit sa politique de construction de barrages géants sur les affluents de l’Amazone. Après avoir mené les études de faisabilité de deux barrages sur le rio Beni, El Bala et Chepete (3675MW), il vient d’annoncer l’expertise concernant le barrage binational (Brésil /Bolivie) du rio Madeira dont la puissance dépassera 3000 mégawatts. Le contrat qui a été souscrit conjointement par la Empresa Nacional de Electricidad (ENDE) et l’entreprise brésilienne Electrobras pour la somme de 6,6 millions de dollars, compte sur l’appui de la Corporación Andina de Fomento (CAF). Il est prévu pour 18 mois[1].
Ce barrage fera suite aux barrages de Jirau (3570 MW) (détenu en majorité par Engie, ex GDF-Suez-Electrabel), et de Santo Antonio (3568 MW) bâtis en aval du même fleuve, dans l’État brésilien voisin de Rondônia, terminés en 2016.
La saignée du territoire indigène et parc protégé national Isiboro-Sécure (TIPNIS)
« Le 13 août 2017, Evo Morales a promulgué la loi 266 qui met fin à « l’intangibilité » du Territorio Indígena Parque Nacional Isiboro-Sécure (TIPNIS). Concrètement, cela signifie que le TIPNIS perd son caractère de Parc national, ou du moins n’est plus réellement protégé et que sa gestion n’est plus vraiment assurée par les indigènes qui l’habitent.
Pour élaborer une réponse à cette loi, les dirigeants du TIPNIS se sont réunis fin août au sud de la communauté Gundonovia (au nord-est du parc, au bord du fleuve Isiboro), en présence de l’ancien médiateur (Defensor del pueblo), Pablo Villena et de la présidente de l’Assemblée permanente des droits de l’homme (APDHB), Amparo Carvajal[2]. Les fonctionnaires du gouvernement ont tenu une réunion parallèle dans un lieu proche, avec leurs comparses locaux. Les militaires de la Force navale qui accompagnaient la caravane officielle ont coupé le passage entre la ville de Trinidad et le rio Isiboro et bastonné divers indigènes et deux de leurs dirigeants[3]. Si bien que la présidente de l’APDH a eu beaucoup de mal à accéder au lieu de la rencontre. Mais elle y est parvenue. Une telle audace ne pouvait pas demeurer impunie. Le 21 septembre dernier des affiliés du MAS ont tenté, sans succès, de la déloger de sa présidence de l’APDHB[4].
La manœuvre d’intimidation a échoué puisque l’APDHB a présenté un recours en annulation de la loi 266 devant le Tribunal constitutionnel, en se référant aux articles de la Constitution qui protègent les droits des indigènes et à l’article 21 de la Convention américaine des droits de de l’homme qui protège les ressources naturelles nécessaires à la survie des communautés indigènes vivant sur un territoire donné[5].
À la 165e session de la Comisión Interamericana de Derechos Humanos tenue à Montevideo en octobre dernier le dirigeant indigène Adolfo Chávez, ancien président de la Confederación de Pueblos Indígenas de Bolivia CIDOB contraint à l’exil, a fait savoir que les cocaleros des fédérations du tropique de Cochabamba vassalisent et menacent les peuples indigènes du TIPNIS en détruisant leurs habitations et leurs cultures[6].
Et une délégation des dirigeants du TIPNIS a dénoncé les ravages qu’entrainerait la construction de la route qui doit couper le parc en son milieu devant le tribunal international des droits de la nature[7] qui s’est tenu à Bonn les 7 et 8 novembre dernier (en marge de la COP 23). Le tribunal a décidé d’étudier la possibilité d’envoyer une délégation dans la zone et demande un moratoire avant toute construction et exploration pétrolière[8].
Cependant, un reportage à risque[9] effectué au sein du TIPNIS en août dernier par une journaliste du quotidien Página Siete a permis de vérifier que la route avançait, que des ponts étaient en construction, que les planteurs de coca (cocaleros) contrôlaient étroitement les entrées dans la zone, y semaient la zizanie, et qu’ils vassalisaient les indigènes du parc dont ils faisaient leur main d’œuvre : les femmes et les enfants pour récolter les feuilles, et les hommes pour défricher»[10].

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L’exploitation des hydrocarbures
Le décret 2366 promulgué en mai 2015 autorise l’exploration et l’exploitation pétrolière dans les réserves naturelles protégées[11].
Après avoir confié aux entreprises chinoises Sinopec et BGP l’ exploration par la technique sismique des blocs « Río Beni » et « Nueva Esperanza » situés au cœur du bassin amazonien Madre de Dios[12], le gouvernement réalise maintenant une campagne d’exploration pétrolière (pour partie avec l’entreprise brésilienne Petrobras) dans la réserve nationale de flore et de faune de Tariquia, une aire protégée de 246 870 hectares située dans le département de Tarija qui fait partie du corridor écologique bi national Tariquia-Baritu, entre le sud de la Bolivie et le nord de l’Argentine[13]. Il compte aussi y construire un barrage hydroélectrique[14]. Il conduit ces opérations en dépit de l’opposition de la majeure partie des populations qui y vivent – là comme ailleurs la tactique gouvernementale a consisté à diviser la population locale par l’intimidation et la corruption[15].
L’installation d’un réacteur nucléaire
Le 19 septembre 2017, l’Agencia Boliviana de Energía Nuclear (ABEN), et l’Institut soviétique d’État Rosatom, ont signé un contrat de 300 millions de dollars US pour la construction du Centre de recherche et de développement en technologie nucléaire qui sera bâti aux abords de la ville d’El Alto. Le centre comprendra trois unités : un cyclotron, une unité de rayons gamma à usages multiples, et un réacteur nucléaire de recherche. Selon l’entreprise Rosatom , le projet bolivien est le plus ambitieux de tous ses programmes en Amérique latine. Le centre a été déclaré prioritaire et d’intérêt national en raison de son caractère stratégique pour le développement d’applications de la technologíe nucléaire à des fins pacifiques.
Mais une telle entreprise ne laisse pas d’inquiéter nombre de personnes, à commencer par les riverains de la zone d’exploitation qui craignent les contaminations. Et beaucoup se demandent ce que cache la construction du réacteur nucléaire dont les caractéristiques et les objectifs sont volontairement occultés. Selon le paragraphe 2 de l’article 5 du contrat, « Les serviteurs publics de la Contraloría General del Estado ne pourront sous aucun prétexte divulguer, céder et communiquer les données, les rapports et les résultats à des tiers ; ils sont uniquement et exclusivement réservés à la ABEN”[16].
De plus, on se souvient que l’alimentation en eau potable de la connurbation La Paz –El Alto est devenue problématique. La chaleur croissante de l’atmosphère entraîne des sécheresses et les glaciers de la cordillère proche fondent à vitesse accélérée, tandis que la population ne cesse de s’accroître. Si bien qu’à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017 l’eau de la ville a dû être rationnée pendant plusieurs mois. Or on sait que les centrales nucléaires qui ont besoin d’être refroidies en permanence sont très gourmandes en eau. C’est la raison pour laquelle elles sont souvent construites près de rivières de lacs ou d’un océan. Où va-t-on trouver les milliards de litres d’eau nécessaires quotidiennement pour la marche de cette centrale ? Et que va-t-on faire des déchets ?
Conclusion
Ces quelques aperçus ne donnent qu’une petite idée de la vitesse à laquelle le saccage de l’environnement bolivien progresse actuellement. J’ai déjà consacré des billets de ce blog à la pollution des lacs et des rivières (déchets miniers, déchets urbains…) et des zones humides comme le Pantanal (à la frontière de la Bolivie et du Brésil, ainsi qu’aux ravages multiples qui tuent l’Amazonie et d’autres régions comme le Chaco (incendies, déforestation, barrages, routes, exploitation minière et pétrolière...). Il faudrait aussi mentionner les conséquences de la loi General de la Hoja de Coca de mars 2017 qui a fait passer l’aire de culture légale des plants de coca de 12000 à 22 000 ha. Or cette culture est un désastre pour l’environnement. Elle avance continuellement sur la forêt et notamment dans les parcs protégés. Elle épuise et pollue les sols, car c’est une monoculture amendée aux nitrates et bourrée de pesticides et d’herbicides. Et sa transformation en drogue, devenue courante dans le pays, nécessite l’usage de produits chimiques nocifs (acide sulfurique, kérosène...) qui sont ensuite rejetés dans les ruisseaux et rivières. Plus un pouce du pays n’échappe au saccage et à la contamination[17]. Et à chaque fois ce sont les populations locales de condition modeste, souvent indigènes, qui pâtissent le plus durement de cette folie de prédations et de souillures accélérée par les politiques du gouvernement du « changement » et du « bien vivre » (buen vivir). La Bolivie change, Evo tient ses promesses (Bolivia cambia, Evo cumple), clame la propagande. Quelles promesses ? Certainement pas celles qui sont inscrites dans la Constitution qu’il a fait adopter en 2009 concernant la préservation de la Pachamama (Terre Mère) et le bien-être des populations indigènes qui en vivent[18].
[1] http://recursosnaturales-ceadl.blogspot.fr/2017/11/hidroelectrica-comienza-estudio-para.html?spref=tw
[2] http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/8/25/exdefensor-pueblo-visita-tipnis-pide-unidad-indigenas-149640.html
[3] http://eju.tv/2017/08/senador-pide-informe-a-defensa-sobre-hostigamiento-de-militares-en-el-tipnis/
[4] http://www.paginasiete.bo/sociedad/2017/9/21/apdhb-denuncia-grupos-afines-intentan-desconocer-presidenta-152914.html
[5] http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/10/20/asamblea-respalda-demanda-contra-tipnis-156425.html
[6] http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/10/27/ante-cidh-chavez-denuncia-avasallamientos-tipnis-157265.html
[7] https://www.france-libertes.org/fr/france-libertes-tribunal-droits-de-nature/
[8] http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/11/11/tribunal-analiza-enviar-comision-tipnis-pide-aplazar-carretera-159106.html
[9] La presse n’est pas admise dans le TIPNIS et chaque visiteur est soumis à un interrogatoire, si bien que la journaliste et le photographe qui l’accompagnait se sont fait passer pour des gens du commun. Le reportage a reçu le prix de l’Asociación de Periodistas de La Paz (APLP). L’ensemble des articles est accessible par le lien suivant : http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/12/6/esta-investigacin-sobre-tipnis-gan-premio-nacional-periodismo-162156.html
[10] http://www.paginasiete.bo/nacional/2017/8/20/indigenas-tipnis-peones-propia-tierra-148990.html
[11] https://es.mongabay.com/2017/06/bolivia-tariquia-tarija-area-protegida-hidrocarburos/
[12] https://www.cedib.org/post_type_titulares/la-industria-petrolera-amenaza-pueblos-no-contcatados-en-la-amazonia-internationalcry-20-2-17/
[13] http://www.elpaisonline.com/index.php/2013-01-15-14-16-26/ecologia/item/269217-advierten-que-magnetotelurica-en-tariquia-abre-las-puertas-a-la-exploracion-de-hidrocarburos
[14] http://lavozdetarija.com/2017/10/17/cedib-advierte-que-hidroelectrica-cambari-afectara-nucleo-de-la-reserva-tariquia/
[15] http://www.elpaisonline.com/index.php/2013-01-15-14-16-26/ecologia/item/259576-caritas-pastoral-de-tarija-responsabiliza-al-gobierno-por-las-amenazas-de-expulsion-de-tariquia
[16] http://m.la-razon.com/economia/Ley-confidencialidad-Centro-Investigacion-Nuclear_0_2814918519.html
[17] Par exemple, au sein du Parque Nacional y Área de Manejo Integrado (ANMI) Madidi et de la Reserva de la Biosfera y Tierra Comunitaria de Origen (TCO) Pilón Lajas il y avait, fin 2016, 41 exploitations minières, selon l’ Autoridad Jurisdiccional Administrativa Minera (AJAM) dépendante du ministère de la Mine, et neuf de plus demandaient des permis. Ces mines exploitent l’or alluvial. Cet or est aggloméré à l’aide de mercure qui contamine les sols et se dissémine dans l’eau et dans l’air. Hautement toxique ce métal lourd ne se dégrade pas. http://www.paginasiete.bo/economia/2016/12/12/madidi-area-pilon-lajas-existen-operaciones-mineras-120066.html . La même situation se répète, sous d’autres formes, dans toutes les aires protégées.
[18] Selon le chapitre 4 de la Constitution concernant les droits des nations et peuples indigènes, ceux-ci ont le droit de vivre dans un environnement sain, en gérant et profitant de façon adéquate des écosystèmes, et ils doivent être consultés chaque fois que des mesures législatives ou administratives sont susceptibles de les affecter. Et selon l’article 385, les aires protégées sont un bien commun et font partie du patrimoine naturel et culturel du pays…Là où il y a superposition d’aires culturelles et de territoires indigènes originaires paysans, la gestion partagée se fera selon les normes et procédures propres des nations et peuples indigène originaire paysans, en respectant le but de la création de ces aires.