La faillite du MAS[1]
L’échec du (Movimiento al socialismo) MAS et de ses dirigeants politiques et syndicaux actuels, ce n’est pas tellement celui de l’avalanche des votes pour le Non prévue pour dimanche prochain[2], c’est la débâcle irréversible de l’utopie qu’il incarnait il y a dix ans pour des milliers de boliviens et de latino-américains. C’est la défaite infligée à l’Homme Nouveau par la Femme Nouvelle[3], celle qui symbolise le racisme exacerbé au point de nier sa propre origine, c’est la soumission de la femelle au macho, c’est la gauche qui cherche à s’enrichir à tout prix et qui exhibe les symboles les plus évidents du capitalisme décadent.
La défaite profonde du MAS n’est pas la perte de ses places fortes de La Paz et de El Alto, c’est la déroute de plusieurs générations qui depuis les années 1960 et la résistance aux dictatures des années 1970 se sont nourries de la lutte armée, de la révolution, de l’instrument politique, du changement ; celles de la désillusion pour l’échec de la social-démocratie, de la survie pendant les années néolibérales, celles qui étaient toujours prêtes pour la guerre et qui savent maintenant qu’une chirurgie esthétique est plus importante que l’appartenance ethnique.
C’est la défaite de ceux qui parièrent pour une gauche différente, austère, au mode de vie frugal, égalitaire, opposée au gaspillage et au consumérisme, et qui sait maintenant à coup sûr que toutes les alertes de cette décade, ignorées parce qu’elles étaient soi-disant lancées par la CIA , rendaient compte de la dure réalité : l’amour des nouveaux riches pour le luxe, qu’il s’agisse des cultivateurs de coca, des trafiquants de terres, des dirigeants du FONDIOC[4], des leaders des mouvements sociaux ou des adolescentes amoureuses.

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C’est la débâcle de l’indigénisme qui construisit à ses débuts un imaginaire du natif andin et amazonien, honnête, quasiment pur, gardien de la tradition, de la famille, du respect entre les générations. JAMAIS, JAMAIS avant ces dix dernières années … nous n’avions vu ces scènes scabreuses de sexe, de drogues, de chantages orchestrés par des fonctionnaires publics de haut rang.
Les marxistes aussi sont vaincus parce que selon leur théorie les processus historiques ne peuvent dépendre d’une ou deux personnes. Mais maintenant un MAS messianique mise sur un individu et son partenaire dont ils font les illuminés du siècle ; des ex-ministres, des ex-dirigeants syndicaux communistes, des ex-activistes qui défendaient, il y a peu, l’indépendance de classe des mineurs et de la Centrale Ouvrière Bolivienne, souscrivent à ce projet.
Mais surtout, c’est l’échec de la bataille contre le racisme parce que Gabriela n’est pas la seule acolyte du MAS qui se teint les cheveux et modèle son corps pour ne pas paraître ce qu’elle est. L’épouse de l’ex-président d’YPFB[5] fit de même, sans compter les autres Gabriela qui inscrivent leurs enfants dans les collèges de gringos ou les envoient en Europe en nourrissant le rêve qu’ils cessent d’être Indiens, qu’ils deviennent « karas »[6], beaux, riches et très blonds.
[1]12 février 2016 http://eldeber.eldeber.com.bo/opinion/derrota-del-mas.html
[2] Le referendum doit trancher par oui ou par non sur la modification de la Constitution permettant à Evo Morales de présenter à nouveau sa candidature à la présidence du pays en 2019. Il a commencé son mandat actuel en janvier 2015.
[3] La Femme Nouvelle désigne Gabriela Zapata Montaño mise en lumière parce qu’elle est soupçonnée d’avoir bénéficié d’un trafic d’influence de la part du président Evo Morales. Elle travaille comme cadre commercial (gerente comercial) pour une entreprise chinoise adjudicataire de 7 contrats avec l’Etat bolivien. Evo Morales a admis avoir eu un enfant avec elle en 2007 ; selon lui il serait mort peu après sa naissance.Sur ce sujet voir mon précédent billet: "Evo Morales. Vers une présidence à vie?"
[4] Les dirigeants du Fondo de Desarrollo Para los Pueblos Indígena Originarios y Comunidades Campesinas (FONDIOC) sont impliqués dans une énorme affaire de corruption. Plus d’une vingtaine sont sous les verrous. La ministre de l’Agriculture est éclaboussée, mais n’est toujours pas inculpée. Voir mon précédent billet : « Corruption à tout-va en Evolandia »
[5] Yacimientos PetroliferosFiscales Bolivianos, l’entreprise publique bolivienne d’exploitation des hydrocarbures.
[6] Littéralement pelés en aymara. Désigne les Blancs.