La Bolivie a un Vice-président. Un savant mathématicien et sociologue formé à Mexico. Sa bibliothèque compterait plus de 10 000 livres, et lui-même en a écrit près d’une vingtaine. Il rédige même pendant qu’il vice préside et fait généreusement distribuer les exemplaires qu’il publie à compte d’État[1]. Il confère dans les universités, de Quito à Mexico et même à Sciences po[2]. Et il dialogue avec d’autres savants qu’il invite à venir le voir, sur les hauteurs de La Paz : Toni Negri, Boaventura de Sousa, Emir Sader, Enrique Dussel, Ernesto Laclau (†), Rodolfo Stavenhagen, Immanuel Wallerstein, Eduardo Galeano (†), Slavoj Žižek, entre autres.
Il délivre des cours magistraux aux responsables et militants de la gauche du monde entier, comme lors du IVe Congrès du parti de la gauche européenne (PIE), tenu à Madrid le 15 décembre 2013[3]. Ce mois-ci le Monde diplomatique s’honore de livrer à ses lecteurs une version amendée d’une conférence tenue à Quito (Équateur) intitulée : « Sept leçons pour la gauche ».
Je ne me lancerai pas ici dans l’analyse de ces productions discursives destinées au public des intellectuels et idéologues partisans, indubitablement de leur goût puisque le savant bolivien est régulièrement invité à leurs tribunes. Je me contenterai de donner quelques exemples des explications que sa science lui permet d’opérer entre physique ou astronomie et analyse politique ou historique lorsqu’il s’adresse au peuple bolivien – à la plèbe, comme il se plaît à dire.
À la question d’un journaliste qui lui faisait remarquer que le Movimiento al socialismo (MAS), son parti, avait dû se droitiser pour capter le centre politique bolivien, il répond : « J’ai critiqué ces analyses parce qu’elles se meuvent dans un espace euclidien primitif. Ma proposition académique, intellectuelle et politique lit l’espace politique comme un espace courbe et le raisonnement est très simple. On peut trouver un centre lorsqu’il y a deux propositions opposées. C’était bien de parler du centre en 2005 et en 2009, quand il y avait ces deux propositions contrastées. Depuis 2010, et cela s’est vérifié en 2014[4], il n’y a plus deux pôles, mais un champ politique unipolaire. Le MAS n’est plus celui de 2005, il a changé sa proposition, il est moins communautaire et il englobe (abraza) jusqu’au modèle crucénien capitaliste. Je poursuis mon idée. L’espace unipolaire enfonce, courbe l’espace… C’est le centre maintenant, mais avant c’était la gauche. Il n’a plus de contrepoids, tout tourne autour de lui…Ce n’est plus un pôle, c’est l’horizon de l’époque[5]». Au secours Einstein !
Second extrait. Lors de l’inauguration du 17e Congrès des syndicats paysans de Potosi, en juin 2013, il enseigne : « Notre président Evo Morales est la continuation de Túpac Katari, c’est la continuation de Tomás Katari, de Bartolina Sisa, de Zárate Villca[6], et d’autres qui ont tant souffert. C’est le continuateur, c’est la nouvelle lumière, et quand le président Evo (Morales) apparaît (surge)… l’obscurité venue avec le Vice-roi Toledo et les européens s’en va, l’empire Inca renaît, et à nouveau le soleil resplendit sur nos terres »[7]. Quelques semaines plus tard, à Santa Cruz, à l’occasion d’un meeting de la Confederación de Pueblos Indígenas del Oriente Boliviano (CIDOB), il complète sa fresque historique : « Evo, c’est la résurrection du peuple indigène, le président Evo est comme le christ ressuscité, comme le peuple indigène qui ressuscite »[8] ". Le président bolivien réalise enfin la synthèse du Christ et de l’Inca.
Enfin, à l’aube du referendum prévu le 21 février prochain pour entériner une modification de la Constitution de l’Etat plurinational qui permettra au président Evo Morales de briguer la présidence du pays tant qu’il le souhaitera, le Vice-Président fait à nouveau étalage de sa science astronomique. Tandis qu’il inaugure des bâtiments d’école devant un parterre de parents d’élèves de la communauté de Viliroco (département de La Paz), après avoir prié « Papas et mamans, n’abandonnez pas le président Evo, ne le laissez pas seul ! Ne l’abandonnez pas ! », il prophétise : « S’il est soutenu le Président Evo construira des collèges, s’il ne l’est pas les gringos reviendront, les traîtres à la patrie (vendepatrias) reviendront, les assassins reviendront et ils prendront tout aux enfants (las wawas) et ils n’auront plus d’avenir. Il y aura des pleurs (llanto) et le soleil se cachera et la lune s’en ira et, pour nous, tout deviendra triste [9]». Et voilà le cours des astres dépendant du sort d’Evo Morales…
Ces propos du Vice-président m’ont convaincu de l’inanité de son astrophysique sociale. Mais l’université du Savoir-faire devrait indubitablement lui délivrer deux diplômes d’excellence : celui du courtisan adulateur et celui de l’aboyeur bonimenteur.
[1] « Identidad boliviana: Nación, mestizaje y plurinacionalidad » (2014), par exemple.
[2] Institut d’études politiques (IEP), Paris.
[3] http://www.publico.es/internacional/vicepresidente-bolivia-imparte-leccion-magistral.html
[4] Dates d’échéances électorales lors desquelles le MAS l’a emporté.
[5] EL Deber, 18 novembre 2014. http://www.eldeber.com.bo/bolivia/saquense-chip-gobierno-dar-golpe.html
[6] Chefs de révoltes menées contre la couronne espagnole puis contre le pouvoir républicain dont le mouvement indianiste a fait des héros.
[7] El Día, 13 juin, 2013.http://www.eldia.com.bo/index.php?cat=148&pla=3&id_articulo=119682
[8] Página Siete, 17 décembre 2013. http://www.paginasiete.bo/nacional/2013/12/17/dice-eleccion-diputados-segun-costumbres-8890.html
[9] http://www.paginasiete.bo/nacional/2015/11/25/garcia-linera-asegura-escondera-todo-sera-tristeza-78126.html