Souvenez-vous ! Voici un an, à peu de choses près, on apprenait qu’Evo Morales serait père d’un troisième enfant, un garçon né en 2007, conçu avec une Cochabambina[1] de 19 ans, Gabriela Geraldine Zapata Montaño. On apprenait aussi que la jeune maman occupait rien moins que le poste de gérante commerciale d’une entreprise chinoise, la CAMC Engineering, quiavait passé pour plus de 560 millions de contrats avec l’État bolivien. Le journaliste à l’origine de ces révélations, Carlos Valverde, soupçonnait un trafic d’influence de grande ampleur.
Où en est-on aujourd’hui ? De l’enfant, né des ébats du président avec la jeune Gabriela, on ne sait toujours rien. Selon la thèse officielle, il n’aurait jamais vu le jour.Du trafic d’influence qui aurait succédé à cette union, on ne sait rien non plus. Aucune enquête n’a été diligentée pour savoir quelle part de l’attribution des contrats aurait pris Gabriela.
Cependant, Gabriela Zapata a été appréhendée le 26 février 2016 et placée en détention préventive. Depuis, la machine gouvernementale, relayée par la justice, a déployé tous ses efforts pour en faire une coupable isolée, sans liens avec l’appareil d’État, ni avec Evo Morales. Pour faire bonne mesure on a aussi emprisonné la responsable du service du ministère de la Présidence où Gabriela Zapata recevait ses invités, et jusqu’au chauffeur affecté à ce service. Et puis, on a incarcéré quelques-unes des relations de l’ancienne maîtresse accusées d’avoir monté avec elle des combines illégales, petites combines qui suffiraient à expliquer l’enrichissement considérable de la jeune femme.
On a aussi mis à l’ombre sa tante[2] qui prétendait avoir eu connaissance de l’enfant. Enfin on a incarcéré l’un de ses avocats[3] ; les deux autres ayant eu le temps de prendre la fuite.Moyennant quoi, Gabriela Zapatasoutient maintenant qu’elle a été incitée par son entourage à monter cette histoire d’enfant et reconnaît que les accusations qu’elle avait portées contre Evo Morales et ses ministres, concernant l’enfant comme la signature des contrats, étaient fausses.
Jusqu’à maintenant, les demandes de libération des uns et des autres ont été rejetées.On attend les jugements. Celui de Gabriela est annoncé pour le 7 mars prochain.

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Même si ce feuilleton filandreux ne fait plus les unes des journaux, il n’a pas été oublié pour autant par les Boliviens. La question du trafic d’influence revient à l’occasion de chaque nouveau scandale de corruption auquel se trouvent mêlés des proches d’Evo Morales, et notamment le ministre de la Présidence. Ce fut le cas récemment après le tragique accident du vol de la compagnie LaMia dans lequel a péri l’équipe de football de Chapeco (Brésil) qui allait disputer la finale de la coupe interaméricaine de football, à Medellin, en Colombie.
La mainmise des Chinois sur l’économie nationale – que le scandale de la CAMC a révélée – inquiète. C’est le premier pays pourvoyeur de biens et de services. Et la dette à son égard, qui s’élevait à 606,4 millions de dollars (soit 80% du total de la dette bilatérale au 31 août 2016) pourrait atteindre prochainement 5.464 millions si les crédits offerts par le gouvernement chinois en octobre 2016 sont utilisés – au profit exclusif d’entreprises chinoises, comme l’accord le précise.Elle inquiète d’autant plus que ces sommes considérables sont pour beaucoup destinées à financer des projets d’infrastructure géants (routes, chemins de fer barrages…) et des travaux de recherche et d’exploitation des ressources du sous-sol (minerais, hydrocarbures), quelquefois inutiles et souvent vénéneux, et que le bilan des premiers travaux effectués par ces entreprises est fréquemment mauvais : chantiers abandonnés, dénonciations pour non-respect de la réglementation du travail, saccages environnementaux, commerces illicites de faune sauvage… Enfin, on s’interroge sur les remboursements à venir que la Bolivie aura du mal à honorer si son économie continue de décliner, d’autant qu’il n’y a pas de moratoire à espérer.
Et rappelons au passage le cas de corruption le plus retentissant de ces dernières années : celui du Fondo Indígena, un compte public censé financer le développement en zone rurale.Pendant huit ans, sur les 729 millions de bolivianos affectés à des projets, 686 millions (près de 100 millions de dollars) ont été directement versés sur 1.040 comptes bancaires personnels[4].
La probité d’Evo Morales continue aussi de faire problème. Il a signé le certificat de naissance de son enfant, il a ensuite affirmé qu’il était mort, et il a fini par soutenir qu’il n’avait jamais existé[5]. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il a des difficultés avec la paternité. Il a fallu que la mère de sa fille Eva Liz (née le 24 septembre 2004), Francisca Alvarado, aille en justice pour obtenir la reconnaissance de l’enfant et une maigre pension, au bout de sept ans de procès. On ne sait pas si la reconnaissance de son fils Álvaro, né quelques mois après sa fille, issu d’une relation avec Marisol Paredes a été aussi laborieuse. Mais si l’on en croit une vidéo de 2009, l’enfant et sa mère, devenue infirme, vivaient alors dans la pauvreté[6].
Voici des extraits de deux chroniques qui abordent ces sujets, sur desquels il y a peu de chances qu’on connaisse la vérité dans un avenir proche. Le Zapatagate n’a donc pas fini de susciter recherches et commentaires.
Cecilia Lanza Lobo
Où est l’enfant ?[7]
Cochabamba, à la mi-journée. Une ronde de femmes dansent et chantent à cœur joie : Lero, lero, lero, ¡zas! Zapata, ¡zas! Zapata, où est l’argent ? (¿dónde está la plataaaa?) Lero, lero, lero, ¡zas! Zapata, ¡zas! Zapata, où est l’enfant ? (¿dónde está la wawaaaa?). Ce sont des enseignantes de la ville qui manifestent. Mais elles expriment, au fond, le malaise causé par une affaire en souffrance, comme une épine plantée dans la gorge du pays. Une affaire grave que ces femmes dénoncent sur un mode satirique, certes, mais qui montre que ce dossier n’est pas clos, en dépit des efforts du gouvernement. Où est l’argent ? Où est l’enfant ?
Non, non, ne te fatigue pas. Tu ne serines pas la même antienne anachronique, non. C’est juste que le gouvernement t’incite à penser qu’il ne s’agît que d’un feuilleton (telenovela), un incident mineur, maintenant dépassé et enterré. Le gouvernement d’Evo Morales veut se décharger de ce fardeau, mais il n’y arrive pas, et ni toi ni moi n’allons le lui permettre, même après des mois. Comment pourrions-nous taire que la mère d’un enfant du président a servi d’intermédiaire pour la signature de contrats millionnaires avec l’État sans que cela ne suscite de réaction?
Comment pourrions-nous oublier qu’elle a utilisé à cette fin des bureaux de l’État? Comment croire que des ministres ont signé les contrats sans le blanc-seing d’un président qui aurait ignoré que son ex-fiancée se livrait à ce trafic ? Et ce ne sont que quelques-unes des questions sans réponse, si nombreuses qu’elles ont permis le succès des jongleries gouvernementales destinées à masquer les pirouettes d’une énorme affaire de corruption.
Cela vaut donc la peine de démêler l’écheveau et de faire cas de la manifestation de ces enseignantes. Deux questions seulement se posent : où est l’argent ? Où est l’enfant ? La première est aussi pertinente qu’inutile. […]
La question est pertinente, car il importe bien de savoir dans quelles poches est passé l’argent des Boliviens, outre celui dont la señora Zapata fait étalage. Mais poser la question est aussi inutile, parce que même si on arrivait à soulever le couvercle du chaudron, il est clair que des coupables ne jugeraient pas des corrompus. Pour assister à cela nous devrions au moins imiter le Brésil[8].
La seconde question est très sérieuse. Où est passé l’enfant ?
Je me souviens de la mort du petit-fils de mon employée de maison. Un enfant de quelques mois laissé sans surveillance pendant quelques minutes par sa mère qui est tombé dans une baignoire et s’est noyé. Une fois les causes de la mort constatées, l’hôpital a appelé la police parce toute mort doit donner lieu à une enquête, ou être au moins enregistrée. C’est la loi. La mort de l’enfant x, de madame x, a donné lieu à une enquête.
Quelqu’un a-t-il enquêté sur la mort du fils du président de l’État plurinational de Bolivie ? D’un fils légalement et publiquement reconnu par le président Evo Morales en personne ? Il semble que non. Pourquoi ? […]
Cecilia Lanza Lobo est journaliste. Elle a publié trois livres : Mayo y después. Los últimos días de la dictadura (1995); Cuando cae la noche. Las voces de los otros (2004) et Crónicas de la identidad. Jaime Sáenz, Carlos Monsiváis y Pedro Lemebel (Abya Yala, Quito, 2005). Elle a aussi réalisé des reportages télévisés dont certains sont accessibles sur la toile, via le canal Televisión América Latina (TAL). Voir son autoportrait : https://www.youtube.com/watch?v=Tx6PpBjtPvQ
Et ses reportages diffusés par TAL : http://tal.tv/video/cholas-cachascanistas-2/
Mery Vaca
La nouvelle version du cas Zapata [9]
Nous assistons actuellement à une réécriture du cas Zapata. Les acteurs sont les mêmes, mais la trame est distincte. Restons calmes. […]
Les principaux protagonistes de cette intrigue sont toujours le président Morales et son ancienne maîtresse Gabriela Zapata, bien que d’un chapitre à l’autre le premier soit passé rapidement du rôle de méchant (villano) à celui de victime, et la seconde ait quitté l’habit de victime pour endosser celui de la malveillante.
Pour le moment, il manque une héroïne ou un héros positif à ce feuilleton, un héros qui nous révèlerait toute, vraiment toute la vérité, quelles qu’en soient les conséquences. Ce serait le rôle de la justice, mais cette dame a plus l’allure d’une sorcière jeteuse de sorts que d’une héroïne.
Comme il est d’usage dans un bon scénario – que les journalistes n’ont pas écrit et n’écriront pas – la scélérate doit pourrir en prison ou bien se repentir et connaître la rédemption.
En théorie, Gabriela Zapata se trouve dans cette dernière situation ; elle se repent. Elle a commencé par renier publiquement chacune de ses accusations téméraires. Et elle s’oriente vers une ultime rétractation pour blanchir ceux qu’elle avait précédemment salis : Evo Morales, Juan Ramón Quintana[10], César Navarro[11] et par conséquent tout le gouvernement.
Dans ce que le MAS considère comme le dernier chapitre de l’intrigue, un juge a conclu que le fils d’Evo Morales et de Gabriela Zapata n’existait pas. Le journaliste Carlos Valverde (après réflexion[12]) a estimé que l’enfant n’était jamais venu au monde, et devant les autorités, Zapata en personne, a soutenu que le bébé était mort en 2009.
Pour sauver sa peau, Zapata a envoyé au bûcher (mando a la hoguera). ses amies, ses tantes par affection (de cariño), ses cousins par affinité (de afecto) et ses avocats. Elle les a accusés d’avoir inventé que l’enfant était en vie, et d’avoir machiné la présentation devant une juge d’un minot de cinq ans entraîné à mentir, affirmant qu’il avait 9 ans, vivait dans un hôtel particulier (palacete) à la Rinconada[13], et avait pour père le Président.
Mais cette histoire a ses absences (cabos sueltos), ses chapitres inachevés, ses demi vérités que le gouvernement veut gommer en tenant à réécrire l’ensemble de l’histoire et en accusant les journalistes d’avoir donné naissance à un « cartel du mensonge » destiné à déstabiliser le gouvernement.
Cependant, première vérité, le président et Gabriela Zapata ont eu une relation sentimentale. Les deux l’ont admis.
Seconde vérité : le président a signé devant les autorités compétentes l’acte de reconnaissance de l’enfant de Gabriela Zapata, et selon ses dires du 5 février 2016, le nourrisson serait mort rapidement.
Autrement dit, quand le gouvernement accuse les médias d’avoir inventé la fable de l’enfant, il devrait s’en prendre d’abord au président Morales qui a été le premier à en confirmer l’existence, après la révélation de l’affaire Zapata.
Le gouvernement devrait aussi s’en prendre au vice-président Álvaro García Linera qui a soutenu que le président avait connu son enfant et qu’il en avait financé les soins donnés à l’étranger, même s’il a proclamé ensuite que l’enfant n’existait pas, après que le juge d’instruction eut déclaré que le certificat de naissance (nacido vivo) était un faux.
Et par conséquent, nous, les journalistes, nous ne devrions être sanctionnés pour nos prétendus mensonges qu’après Gabriela Zapata, après le président Morales et après García Linera. S’il y a un cartel du mensonge (ce qui est faux, parce qu’un cartel est une association criminelle), il devrait aussi inclure Zapata, Morales et García Linera, les trois principales sources d’information des journalistes dans cette affaire. Et si, comme le prétend le gouvernement, l’opposition a quelque chose à voir avec ce montage, elle devrait aussi en rendre compte.
Pourquoi les médias devraient-ils payer la facture des autres ? Et pourquoi le mensonge répété par les médias n’est-il pas mesuré à l’aune de celui du président ?
Nous disions qu’il y a des vérités irréfutables dans cette affaire et l’une d’elle est que Gabriela Zapata a été gérante commerciale de l’entreprise chinoise CAMC, que cette entreprise s’est adjugée des contrats publics millionnaires, que Zapata utilisait le ministère de la Présidence pour son négoce et qu’elle est devenue millionnaire du jour au lendemain.
Le gouvernement prétend-t-il nous faire aussi réécrire cette partie de l’histoire ? Il pourra peut-être effacer l’existence de l’enfant supposé, mais les autres faits ne pourront être oubliés de ceux qui gardent les yeux ouverts.
Mery Vaca est journaliste et rédactrice en chef dans l’agence d’informations Fides (ANF). Formée à l’Université Complutense de Madrid, elle a enseigné le journalisme àl’université catholique bolivienne. Ayant une expérience en matière de presse, de radio, de télévision et de médias numériques, elle a effectué la plus grande partie de sa carrière au quotidien La Razón dont elle fut rédactrice en chef. Elle a été correspondante locale de BBC mundo pendant six ans. Et de 2008 à 2012 elle a assuré le relais en Bolivie de la chaîne Nuestra Tele Noticias (NTN 24), qui émet depuis Bogotá en direction des États-Uniset de l’Amérique latine.
[1] Habitante de Cochabamba, l’une des principales villes de Bolivie.
[2] Ce n’est pas une parente consanguine, mais une tante par affinité.
[3] Eduardo León a été jeté en prison préventive en mai 2016 au prétexte qu’il se serait servi d’un livret militaire falsifié pour obtenir son titre d’avocat. Le 6 janvier dernier le Tribunal Constitutionnel estimait que la justice devait revoir sa décision d’incarcération, car ses droits n’avaient pas été respectés. Et quelques jours plus tard on apprenait que le livret militaire sur lequel se fondait la décision n’existait pas et que son titre d’avocat était authentique et conforme. http://noticiasfides.com/nacional/seguridad/leon-pericia-revela-que-libreta-militar-no-existe-y-firmas-de-su-titulo-son-autenticas--374304
[4] http://eju.tv/2016/12/el-dinero-del-fondioc-se-transfirio-a-1-040-cuentas/
[5] Le 5 février 2016, le chef de l’État avait admis qu’il avait eu un enfant avec Gabriela Zapata en 2007, mais qu’il était décédé, et que, depuis, le couple s’était défait. Le lendemain de cette déclaration, une photo du couple, prise au carnaval d’Oruro de 2015, circulait sur les réseaux sociaux. Morales avait alors déclaré avoir accepté d’être pris en photo commune avec une femme qui s’était approchée de lui « dont il ne se souvenait plus très bien, une tête connue….»
[6] http://www.youtube.com/watch?v=7FYUlFuI8LE
Les relations semblent s’être normalisées depuis puisque les deux enfants sont apparus aux côtés de leur père en diverses occasions publiques.
[7] http://www.paginasiete.bo/opinion/cecilia-lanza/2016/9/26/donde-esta-wawa-111103.html
[8] Où la présidente Dilma Roussef a été destituée pour fraude et où l’ancien président Lula da Silva est jugé pour corruption.
[9] http://www.paginasiete.bo/ideas/2016/12/25/reescribiend-caso-zapata-121260.html
[10] Ministre de la Présidence
[11] Ministre des Mines et de la métallurgie.
[12] La parenthèse est de moi. Voici son argumentation : http://www.la-razon.com/index.php?_url=/nacional/Valverde-GabrielaZapata-EvoMorales-hijo-Twitter-Bolivia_0_2491550850.html
[13] Un parc luxueux de Santa Cruz.