Fernando Prado Salmón[1]
Un gouvernement de Blancs à bannière indigène[2]
Le chancelier a exprimé son désir profond qu’il n’y ait plus un seul ministre Blanc au sein du cabinet ministériel, et le vice-président ne cesse de jouer les Cassandre en augurant les atrocités que les Blancs feraient subir aux Indigènes dans le cas où il ne serait plus là pour les défendre. Cependant ce gouvernement est le plus Blanc que j’ai jamais connu : le « Vice » est Blanc, tout comme le ministre Secrétaire, le ministre de l’Intérieur et celui de la Défense. Les ministres de l’Economie, des Autonomies, de L’éducation, de la Santé, des Cultures, des Travaux publics, et de la Mine sont Blancs aussi, sans oublier le président de la Cour des comptes (Contralor) et le procureur général ; et c’est aussi le cas de la présidente de la Chambre des députés et du président du Sénat. Les indigènes ont été relégués dans des postes de bien moindre importance ; comme on dit en langage populaire : on leur a seulement laissé les miettes (les han dejado los huesos).
Vous me direz peut-être que le Président, la pièce centrale, est indigène ; cependant, je le classe plutôt dans la rubrique dirigeant syndical « interculturel[3] paysan » que dans celle d’Indigène. Mais il est clair qu’Evo Morales est plus que jamais l’étendard indispensable que le petit groupe de Blancs doit agiter aux yeux des Indigènes pour leur signifier : « Vous voyez, vous détenez le pouvoir ». Ceci explique aussi pourquoi sans Morales, ils ne sont rien. Au fond, c’est le ténébreux projet politique d’un groupe hétérogène de léninistes, guévaristes, staliniens et national socialistes dont l’habileté principale a été de prendre le pouvoir grâce aux votes jusque-là dispersés de la nombreuse population indigène du pays, et de s’appuyer sur elle pour parvenir à la conquête du pouvoir total, au sens le plus « totalitaire » du mot.
Ils sont unis par une philosophie machiavélique du pouvoir : une fois conquis, celui-ci ne doit jamais être abandonné, et sa conservation justifie tout. S’ils doivent demeurer au pouvoir, il est logique de faire fi des valeurs « bourgeoises » susceptibles de remettre en cause cet objectif majeur. Si bien que nous avons face à nous un groupe de personnes sans éthique, sans principes et sans valeurs, disposées à tout pour préserver l’unique bien auquel elles aspirent : se maintenir à tout prix au pouvoir. Ce groupe, qui se présente comme celui du changement, qualifie de droitiers (derechistas) tous ceux qui le remettent en question, sans vouloir accepter qu’une grande partie de la gauche bolivienne d’aujourd’hui, la plus valeureuse, la plus méritante, la plus éthique, est dans l’opposition. Si vous faites le compte, vous verrez que le gouvernement ne compte dans ses rangs que très peu de gens de gauche connus. La plus grande partie est dans l’opposition. Et cela les met en furie.
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Agrandissement : Illustration 1

Pour illustrer ce constat, rappelons les propos récents du Chancelier Choquehuanca : « Ils veulent nous diviser, nous devons nous unir. Ils ne veulent pas le succès du gouvernement indigène. Alors que nous nous sommes organisés pour nous gouverner nous-mêmes, mes frères. ». Et il ajoute, « Un jour nous devrons ressembler à l’Afrique (…) en Afrique tous les ministres sont Noirs... (Il n’y a pas) un seul Blanc, mes frères »[4].
Et répétons quelques-unes des diatribes du vice-président qui assimile Blancs, gringos et droite pour les diaboliser :
1.- Devant les élèves de l’école de Viliroco, La Paz. (25 novembre 2015) : « Quand il bénéficie d’appuis, le président bolivien construit des collèges; s’il vient à en manquer les gringos reviendront, les traîtres à la patrie (vendepatrias) reviendront, les assassins reviendront et les enfants seront privés de tout ; il n’y aura plus d’avenir et il y aura des pleurs ».
2.- Devant les enfants de l’école de Porco, Potosi (1 février 2016) « Si d’ici à cinq ou dix ans quelqu’un veut vous enlever le pétrole ou l’électricité, préparez vos cartouches de dynamite et jetez le dehors à coups de pied ».
3.- Devant les habitants de Cocapata, Cochabamba (7 avril 2016): « Si vous laissez Evo Morales tout seul, ils vont le crucifier, ils vont lui trancher la gorge ; la droite va nous faire manger avec les chiens »[5].
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Il me paraît nécessaire d’accompagner la chronique de Fernando Prado d’un commentaire. Pour argumenter son constat d’une contradiction entre la propagande du gouvernement et sa conduite, il se moule dans le cadre de l’opposition Blancs/Indigènes ou Indiens qui est précisément celui que le Mouvement pour le socialisme (MAS) impose au pays pour mener à bien son entreprise de mobilisation ; une entreprise qu’il accentue ces derniers mois comme en témoignent les déclarations du chancelier et du vice-président. Or – je ne me lasse pas de le répéter – la société bolivienne est profondément métissée[6] et ce n’est qu’au prix d’une simplification abusive et, il faut le dire, de la mise en scène officielle, souvent haineuse, de la coupure raciale que de tels constats deviennent possibles.
Cependant, cet article a le grand mérite de mettre en évidence la supercherie d’un gouvernement qui fait le contraire de ce qu’il affirme et affiche en matière de représentation raciale. Et il révèle crûment son principal objectif : durer à tout prix.
[1] Fernando Prado Salmón est architecte et spécialiste de planification urbaine. Il vit à Santa Cruz où il dirige le Centro de Estudios para el Desarrollo Urbano y Regional (CEDURE) qui réalise à la fois des recherches, des plans de développement urbain et des séminaires de formation Pour plus d’informations cf. https://www.cedure.org/
[2] http://www.eldeber.com.bo/opinion/gobierno-blancos-estandarte-indigena.html
[3] Allusion au fait que les syndicats de colons (ou colonisateurs) qui se sont installés à partir des années 1950-1960 dans les Basses Terres de Bolivie (dont ceux des cultivateurs de coca) qui ont fondé la Confederación Sindical de Colonizadores de Bolivia (CSCB) en 1971 ont décidé de changer leur dénomination en se faisant appeler Confederación Sindical de Comunidades Interculturales Originarios de Bolivia – CSCIOB. Alors que le gouvernement entendait décoloniser le pays, il devenait difficile de s’intituler colonisateur. Il fallait gommer cette image désastreuse. Ils ont donc inventé la CSCIOB qu’ils présentent comme «l’organisation mère des peuples originaires reconstitués de Bolivie, mal nommés colonisateurs, qui luttent pour l’autodétermination des nations originaires et du Kollasuyo et de l’Amazonie ». De telle sorte que maintenant ils s’avancent masqués et peuvent envahir tranquillement les territoires ancestraux des populations des Basses Terres.
[4] Página Siete, 11 mars 2016.
[5] http://eju.tv/2016/04/las-7-frases-mas-polemicas-del-vicepresidente-garcia-linera/
[6] Jean-Pierre Lavaud et Isabelle Daillant, La catégorisation ethnique en Bolivie. Labellisation officielle et sentiment d’appartenanceParis, L’Harmattan, 2007. Le métissage démarre avec la colonisation. Sur ce sujet, je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du nouveau monde dont le tome 2 s’intitule précisément : Les métissages, Paris, Fayard, 1993.