Evo Morales rêve depuis longtemps d’édifier une centrale nucléaire en Bolivie. Cette centrale aurait dû bénéficier de la technologie iranienne, selon les accords de coopération passés en 2010 entre les deux pays[1].
Finalement, le projet a pris corps en 2014, à la suite d’une rencontre entre Vladimir Poutine et Evo Morales. Et les premiers engagements avec l’entreprise publique russe ROSATOM ont été officiellement pris en mars dernier pour la construction d’un centre « de recherche et de développement nucléaire », dont Evo Morales assure qu’il sera « le plus moderne et le plus grand d’Amérique latine ». Le coût total du projet est estimé à 300 millions de dollars. Le centre sera bâti à El Alto, à une vingtaine de kilomètre de La Paz.
Les objectifs du programme ne sont pas clairs. Il est question d’un centre médical (cyclotron, et radio thérapie) et d’un réacteur nucléaire de faible capacité à des fins de recherche et de formation. Mais des doutes subsistent concernant la construction à venir d’une centrale nucléaire pour produire de l’électricité (un investissement de 2 milliards de dollars), en raison du secret qui entoure les négociations du gouvernement avec ses partenaires russes. « Non seulement il évite tout débat objectif concernant une affaire si importante, mais encore, et c’est pire, il refuse de donner une information transparente sur un thème qui est controversé sur l’ensemble de la planète », constate un éditorialiste d’un grand quotidien de La Paz[2].
Cependant, le 19 juillet dernier, le vice-président García Linera a fait savoir que le gouvernement renonçait à la construction de la centrale électrique, en raison des risques de contamination par les déchets radioactifs[3]. Mais ce n’est pas la première fois qu’il change de position sur ce sujet. Il convient donc de rester très attentif sur la manière dont vont être menés les travaux programmés du « centre de recherche et de développement nucléaire ».
Le texte acéré qui suit, écrit par Juan Cristóbal Mac Lean – diffusé peu avant l’annonce de l’abandon du projet de centrale –, pointe avec justesse le délire de grandeur du président bolivien et de son entourage, leur soif de paraître, et leur dessein de peser à l’échelon international.

Agrandissement : Illustration 1

Pouvoir et délire[4]
Pouvoir et délire est le titre d’un livre écrit et publié par Enrique Krause, en 2009. Le directeur de l’excellente revue Letras Libres (accessible sur la toile), tente de comprendre et d’expliquer le phénomène fatal du chavisme ; une histoire stupéfiante du présent à mi-chemin entre le reportage et l’essai.
On y trouve par exemple ce portrait d’Hugo Chávez: « L’envoûtement qu’il exerce sur le peuple est aussi effrayant que sa tendance à percevoir le monde comme un prolongement de sa propre personne ». Voilà qui fait penser à bien d’autres hommes politiques, et une telle définition convient pour tous les tyrans : Fideles ou Trujillos. Le plus préoccupant n’est pas la sombre et féroce tyrannie qu’ils mettent en place, mais le fait qu’ils donnent libre cours au délire qui l’accompagne. Délirer : voir ce qui n’existe pas, ou ne vouloir ni pouvoir saisir la réalité. De telle sorte que l’usage systématique du mensonge (a rajatabla) est une nécessité pour eux. Dans les régimes créés par des tyrans et des tyranneaux, la politique et le mensonge arrivent à l’acmé de leur union.
L’une des caractéristiques du délire est son caractère progressif. Il gagne en prétentions toujours plus fabuleuses comme une fièvre qui ne cesse de monter ; il enfle, s’exacerbe, se dilate. Et il n’y a pas de mélange plus vénéneux que le délire fondé sur le pouvoir. Plus il y a de pouvoir plus il y a de délire – et vice versa. Il suffit d’observer l’immense tragédie du Venezuela aujourd’hui. En écrivant son livre, Krause ne pouvait probablement pas s’imaginer que le désastre causé par Chávez et Maduro viendrait aux extrêmes de l’horreur actuelle. C’est que le délire entraîne des conséquences dans la réalité, ce n’est pas seulement une maladie du sujet. Non, le délire s’exprime, discourt mais aussi il œuvre, il opère.
En Bolivie, le triumvirat Morales-García-Quintana délire déjà depuis plusieurs mois. Et l’une des preuves irréfutables de ce délire, c’est de vouloir construire une centrale nucléaire dans un pays qui ne produit même pas un boulon. Une centrale construite par une entreprise publique d’un autre dangereux délirant : Poutine. Imbécillité, délire et pouvoir. Le mélange de ces trois ingrédients est suffisamment explosif pour nous faire tous sauter.
Et pourquoi construire une centrale nucléaire dans le pays le plus attardé et le plus pauvre d’Amérique du Sud (sauf peut-être le Venezuela actuel) ? Rien n’est clair. Les raisons alléguées pour justifier une dépense colossale dans un pays si démuni doté de piètres universités – améliorer la recherche scientifique et faciliter les avancées médicales – ne sont que des bobards ou des inepties. Les membres du triumvirat gagnés par le délire, pourraient d’ailleurs être sujets à d’autres fièvres atrabilaires. Mais pour l’heure, ils décident, au débotté de frapper un grand coup politique, et quoi de mieux que se doter d’une centrale nucléaire. Nous sommes une grande puissance ! Nous avons notre centrale nucléaire ! voulaient-ils crier, tel Tarzan se frappant le poitrail. Mais sûrement et heureusement, comme tout ce qu’ils touchent, le projet avortera avant d’être achevé. Et ses ruines viendront grossir l’amas de gravats qui s’accumulent au rythme des constructions entreprises en dilapidant l’argent du délire.
L’entreprise hydroélectrique El Bala est un autre de ces grands projets aux conséquences non moins funestes : la ruine de l’Amazonie en échange de quelques hypothétiques billets. J’y reviendrai dans un autre billet.
[1] Au temps où le président agrémentait d’une partie de football ses rencontres avec Mahmoud Ahmadinejad.
[2] http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20160711/editorial/mas-dudas-central-nuclear
Voir aussi l’article perspicace et argumenté du physicien Francesco Zaratti : http://www.hidrocarburosbolivia.com/bolivia-mainmenu-117/analisis-y-opinion/72216-matrioska-nuclear-opinion.html
[3] Au vu de l’énormité de l’investissement nécessaire, on peut se demander si le fort ralentissement de la croissance du pays n’est pas la cause principale de ce renoncement.
[4] http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20160721/columna/poder-delirio
JuanJuan Cristóbal Mac Lean est né à Cochabamba en 1958,
Il est poète, essayiste, traducteur (français et anglais), et peintre.
Livres de poésie :
Paran los clamores (1997),
Por el ojo de una espina (2005),
Tras el cristal (2012)
Al paso del instante (2012)
Essais:
Transectos (2001),
Fe de errancias (2008)
Cuaderno (2015).