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Billet de blog 1 février 2021

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Vous alliez au théâtre ? Eh bien, lisez-en maintenant

Dans une lettre ouverte, l’ensemble des maisons d’éditions indépendantes vouées et dévouées aux écritures pour la scène, s’alarme d’une situation en voie d’être dramatique. Théâtres fermés, spectacles en rade, les éditeurs – comme leurs auteurs – broient du noir mais, quoi qu’il leur en coûte, résistent.

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Les théâtres étant fermés au public jusqu’à une date indéterminée mais « ouverts » aux répétitions, les nouveaux spectacles se multiplient mais ne sont vus que par un « public restreint » réunissant quelques pros et quelques journalistes. Les conséquences seraient ubuesques si elles n’étaient dramatiques. On voit ainsi paraître des critiques de spectacles que le public ne pourra pas voir avant longtemps. Pire : on voit des spectacles qui, de dates annulées en reports multiples, finiront par n’être vus pas personne, des spectacles morts nés en quelque sorte. Nous avons ainsi entamé dans ce blog la triste « chronique des créations en voie de disparition », et mis au « frigo » les articles des spectacles pour le jour où le public pourra les voir, tout en envoyant ces articles aux équipes de création pour qu’elles aient un « retour ». Bref : la vie théâtrale est devenue une peau de chagrin.

Les conséquences sont plus que préoccupantes pour les auteurs. Faute de spectacles joués, n’ayant pas le statut d’intermittent du spectacle pour la plupart (quelques-uns sont aussi metteurs en scène, acteurs), ne bénéficiant que trop rarement de commandes effectuées par des théâtres, étant sujets aux aléas des bourses et résidences, ils sont privés de ce qui est ou devrait être leur principale ressource : les droits d’auteurs. Et les maisons d’édition qui les éditent reçoivent ici et là des aides à l’édition, mais sont privées de recettes.

Si les auteurs ne se sont pas réunis pour l’heure en « collectif », fait sans précédent, à l’exception de maisons d’éditions rattachées à un grand groupe éditorial (comme Actes Sud-Papiers), toutes les maisons d’édition indépendantes vouées au théâtre de langue française – soit L’Arche éditeur, Les Cygnes, Deuxième époque, éditions L’Espace d’un instant, éditions Espaces 34, éditions Koinè, éditions Théâtrales, La Fontaine, Lansman éditeur, L’Œil du Prince, Quartett éditions, Les Solitaires intempestifs – se sont réunies pour publier un cri d’alarme en forme de lettre ouverte. Extrait :

« Nous subissons depuis mars dernier la fermeture des théâtres et autres lieux de culture, avec une courte période de réouverture d’un mois et demi – de mi-septembre à fin octobre. Les ventes de livres au sein des théâtres sont rares, mais celles générées par l’actualité scénique en librairie sont désormais nulles. Les conservatoires, les écoles de théâtre et les ateliers de pratique amateur ont également été suspendus : là encore, une partie de notre clientèle a provisoirement (espérons-le) disparu. Les productions sont à l’arrêt, et celles et ceux qui voient leurs projets sans cesse reportés n’ont sûrement ni besoin ni désir d’aller découvrir de nouveaux textes ou de se plonger dans les répertoires – ceux qu’ils montent sont leur préoccupation centrale. »

Si le chiffres d’affaires de la librairie (romans, essais, beaux livres, etc.) n’a connu qu’une baisse de 4,5 % en 2020, il en va tout autrement pour les maisons d’éditions théâtrales qui subissent une baisse de 20 à 25 %.

« Et pourtant, poursuivent les éditeurs, nous maintenons le cap pour pénaliser le moins possible les auteurs et autrices que nous défendons, en soutenant également les équipes artistiques, techniques et administratives des théâtres et en appelant à la mobilisation des libraires pour faire vivre ce rayon “théâtre et arts du spectacle”. Malgré le fait que l’édition de théâtre continue d’être soutenue par certaines librairies, certains théâtres et le Centre national du livre via sa commission théâtre, le livre et la revue de théâtre souffrent actuellement. Que leurs soutiens, leurs lecteurs et lectrices, ne les oublient pas. »

Alors lectrices et lecteurs curieux, spectatrices et spectateurs en manque : soyez solidaires, lisez du théâtre. Des pièces, des essais, des revues. Relisez vos classiques dans de nouvelles traductions et découvrez des pièces nouvelles.

Tenez, pour commencer, ouvrez Jouer, c’est le titre du dernier numéro de la revue théâtre/public préparé, avant sa disparition, par Christian Biet. Par exemple, vous y retrouverez des artistes aimés comme Jolente de Keersmaeker (cofondatrice du tg STAN), Dominique Reymond, Valérie Dréville, Nicolas Bouchaud, Jean-Pierre Léaud, Angélica Liddell, David Lescot ou Steven Cohen. Un entretien avec Noma Dumezweni ouvre la revue dont le rédacteur en chef, Olivier Neveux, nous offre une passionnante approche du Bajazet de Castorf, spectacle qui devait être repris ces jours-ci.

Pour suivre, dévorez les derniers et fulgurants textes de Sonia Chiambretto, Gratte-ciel, et de Kate Tempest, Inconditionnelles (deux autrices éditées à L’Arche), la trilogie Iphigénie, Agamemnon, Electre sous la plume acérée de Tiago Rodrigues (Les Solitaires intempestifs), la somme de pièces italiennes allant de Marco Andreoli à Gabriele Vacis en passant par Ascanio Celestini, Marco Martinelli, Stefani Massini, Lina Prosa et bien d’autres, pièces et études réunies sous le titre 1990-2020, Le théâtre italien en résistance (cahier de la Maison Antoine Vitez, édité par Théâtrales), la dernière et neuvième pièce de David Léon, Toutes ces voix (éditions Espaces 34), Saleté, la première pièce publiée en traduction de l’auteur et metteur en scène hongrois Béla Pintér (éditions L’Espace d’un instant) dont on n’a pas oublié l’Opéra Paysan, ou encore la nouvelle pièce de Mariette Navarro, Les Désordres imaginaires sous-titrée « La destruction du pays par un jeune président à la mode », avec un avant-propos signé Samuel Gallet, une pièce écrite pour de jeunes actrices et acteurs, une commande du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique (Quartett éditions).

Voici les derniers mots de la pièce de Mariette Navarro : « Face au monde qui vient, je voudrais vous demander de continuer. Parce que ce qui s’avance doucement, avec son grand sourire vainqueur, n’épargnera personne. » Des mots qui semblent s’adresser à ses pairs, autrices et auteures, actrices et acteurs, metteur(e)s en scène, éditrices et éditeurs. Elles, ils écrivent, répètent, éditent. Lisez-les.

théâtre/public, n°238, Jouer, éditions Théâtrales, 136p, 16,90€

Sonia Chiambretto, Gratte-ciel, L’Arche, 144p, 14€

Kate Tempest, Inconditionnelles (traduction Dorothée Munyameza), L’Arche, 126p, 15€

Tiago Rodrigues, Iphigénie, Agamemnon, Electre, traduit du portugais par Thomas Resendes, Les Solitaires intempestifs, 160p, 15€

1990-2020, le théâtre italien en résistance, sous la direction d’Olivier Favier et Federica Martucci, Cahier de la maison Antoine Vitez n°13, éditions Théâtrales, 524p, 24€

David Léon, Toutes ces voix, éditions Espaces 34, 48p, 11,80€

Béla Pintér, Saleté, traduit du hongrois par Françoise Bourgeard, éditions L’Espace d’un instant, 100p, 15€

Mariette Navarro, Les Désordres imaginaires, éditions Quartett, 120p, 13€

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