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A l’espace Pasolini, voué à la danse comme le nom ne l’indique pas, Eva Aubigny présentait un résultat de trois ans de travail au titre on ne peut plus d’actualité dans la sphère artistiqiue assiégée par l’Etat et bien des régions : Tenir. Sa façon d’être, d’investir le plateau, de mettre son corps en jeu illustrait bien cet verbe qui appelle autant l’action que la résistance . Tenir, oui. Ce qui veut dire aussi innover, être à l’initiative. C’est ainsi que la Compagnie Organ Tumult et Eva Aubigny bousculent une règle du jeu, celle de la « feuille de salle » distribuée aux spectateurs où l’on parle du spectacle en l’expliquant préalablement tout en offrant à lire le générique des personnes ayant participé à la création. Adieu feuille de salle vive le « zine de salle » où chaque participant partage ses questionnements sur son métier durant les trois ans de travail pour donner naissance à Tenir. Léa Férec-Pourias et Zoë de Souza, les deux assistants chorégraphies, Louise Rustan qui signe les lumières Thibaut Langenais le musicien et compositeur, Sarah Bisson la scénographe et Gabrielle Marty la costumière, chacun.e s’explique. Début du texte de Gabrielle Marty :
« Il faut parfois « tenir » dans le spectacle vivant. Il faut s’accrocher, se maintenir, garder la tête hors de l’eau. Il y a des choses qu’on ne dit pas. Il y a des émotions qu’on ravale, des conditions qu’on laisse passer, des idées qui finissent par ne plus nous appartenir, de situations dont l’injustice coupe les souffles et amenuisent les voix, les font disparaître sous le tintement des verres des pots de Première ». Et d’énumérer ce que la créatrice de costumière qu’elle doit « souvent accepter : «des délais toujours plus courts, des conditions de travail précaires et dégradées, d’être moins payée, moins considérée, de renoncer aux pauses, aux crédits et aux droits d’auteurs.ice , accepter les paroles et les gestes déplacés, accepter d’être celle qui lave les culottes et qui parle chiffons ».
L’ukrainienne Kseniia Onishchenko signe avec Laurent Hatal et Lionel Palun, Kséniia, un prénom qui veut dire étrangère. Kseniia est seule en scène mais on la voit et on l’entend à travers un faisceau entre réel, virtuel et halo agencé par la compagnie Anima Motrix. Un jeu visuel double et trouble tout comme la vie de cette actrice qui a fait partie de la troupe du théâtre national de Kyiv avant de rejoindre le Wild theater, de fuir la guerre avec ses enfants et de se retrouver, esseulée, en exil dans un pays, la France, dont elle ne parle pas la langue mais l’apprend jour après jour. Le Phénix de Valenciennes l’a accueillie avec ses enfants. Elle vit désormais dans une ville d’un pays où elle n’avast jamais pensé vivre, loin de son pays, l’Ukraine, dont elle reste chaque jour à l’écoute. C’est tout cela que raconte son spectacle en cours de travail. On a pu en voir le début prometteur, une vingtaine de minutes, mêlant mots dits en français, saisissements visuels de Kyiv à l’heure des bombes et du couvre-feu, avec au sol, la valise de l’exil contraint.
« Mon doigt rêvait, je délirais en sourdine
Elle mit son bras sur le mien, elle me procura un plaisir pendant la rencontre de nos bras.
Il faut se supprimer pour donner. Je me voulais une machine qui ne serait pas machinale. Ma vie, c’était son plaisir. Je visais plus loin qu’Isabelle, je le faisais dans le ventre de la nuit. Nous nous accordions tant que nous disparaissions. Le râle. Elle se souleva, elle m’effraya. Déjà le spectre du plaisir, déjà. Mourrait-elle ou bien vivrait-elle? Le rythme le déciderait. Je suivais tout en elle, je voyais avec les yeux de l’esprit la lumière dans sa chair. J’avais dans la tête une Thérèse jambes ouvertes ; lancées au ciel, qui recevait ce que je donnai à Isabelle » C‘est là un extrait choisi au mitan de Thérèse et Isabelle de Violette Leduc, un texte qui n’est pas présenté comme un roman. C’est là un pan de sa vie. Simone de Beauvoir qui fut son amie parle de sa « sincérité intrépide »..
Le texte de Thérèse et Isabelle constituait la première partie de son roman Ravages. Il fut censuré en partie. Le roman parut donc amputé de son début, plus tard , Gallimard put faire paraître Thérèse et Isabelle (aujourd’hui disponible en Folio) et l’éditeur attendra l’an 2000 pour faire paraître la version intégrale de Ravages. Entre temps Violette Leduc avait frôlé le Goncourt avec La bâtarde.
Marie Fortuit , après le Pont du Nord (lire ici), La vie en vrai, son très beau spectacle sur Anne Sylvestre (lire ici) et Ombre (Eurydice parle), de Jelinek, creusant le même sillon féministe, a souhaité porter à la scène l’écriture de Violette Leduc en adaptant Thérèse et Isabelle et en rendant compte des rapports passionnants entre Violette et Simone, Simone de Beauvoir qui, outre en l’aidant financièrement discrètement via Gallimard incita tant et plus Violette Leduc à écrire. Pour ce spectacle, Marie Fortuit retrouve Lucie Sansen la pianiste de La vie en vrai. A Louise Chevillotte reviennent les rôles d’Isabelle puis de Simone de Beauvoir, à Raphelle Rousseau ceux de Thérèse et de Violette. Dans le rôle d’une collégienne observatrice des deux autres , Marine Helmlinger. Une distribution équilibrée et des actrices complices. Ce qui manque c’est...l’écriture de l’autrice Violette Leduc laquelle est abordée par ses contours et non par sa prose vibrante, incandescente entre ces deux corps de jeunes femmes qui découvrent l’amour autant que leur corps et la jouissance.
La seconde partie, se passe des années plus tard, Violette Leduc est dans une maison de repos, Simone de Beauvoir vient lui rendre visite. Les échanges (à parti de lettres, de souvenirs, d’écrits) entre les deux amies sont plus présents et mieux rendus. « Avez-vus bien travaillé ? « ne cesse de demander Simone de Beauvoir à sa protégée.
Ce spectacle a une immense vertu : il donne envie de découvrir ou de relire tous les livres de Violette Leduc à commencer par Thérèse et Isabelle.
Guerrières enfin, Séverine Ollivier et Aurélie Boulanger, les profs de Lettres options théâtre des deux lycées de Valenciennes, l‘un dans un quartier populaire, l’autre dans un quartier plus bourgeois. Chaque année, elles emmènent leurs élèves à voir plusieurs spectacles du Cabaret de curiosités. Après quoi, les élèves en font une restitution publique théâtralisée collective, rondement menée et toujours étonnante.
Enfin comment ne pas évoquer cette ancestrale guerrière qu’est la Mère Courage, l'héroïne de la pièce de Brecht. Cette dernière revue et corrigée par la mise en scène surprenante de Lisaboa Houbrechts a été créée au Phénix.Nous y reviendrons. La metteure en scène, associée à la direction du Toneelhuis d’Anvers a dû quitter vite Valenciennes pour l’Autriche où, lors d’un conférence de presse, Milo Rau allait annoncer que ce spectacle ouvrira le prochain festival de Vienne.
Le cabaret de curiosités s’est tenu du 25 au 28 février.
Tournée de « Thérèse et Isabelle » du 28 mars au 4 avril au Théâtre de la ville à Paris