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Billet de blog 2 avril 2023

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Rambert : le doux, l’amer amour d’une mère morte

Pièce écrite pour les comédiens et élèves du TNS à la demande de Stanislas Nordey, Pascal Rambert signe « Mon absente »  autour d’une mère morte. Fils, fille, petits-enfants et autres s’y reflètent. Rambert fait du Rambert, Quand il s’éloigne de ses terres, cela s’embourbe. Rambert aime les actrices, les acteurs et c’est réciproque. Tout baigne.

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Illustration 1
Scène de "Mon absenteé © Jean-Louis Fernandez

Il y a quelques années, Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg, avait proposé à Pascal Rambert, l’un des auteurs associés au TNS, d’écrire une pièce pour les actrices et acteurs associés, et ce, avant qu’il ne parte de la direction du théâtre qu’il aura extraordinairement dirigé pendant plusieurs mandats. Comme Rambert aime particulièrement écrire pour les actrices et les acteurs (il avait pensé à Stanislas Nordey et Audrey Bonnet en écrivant Clôture de l’amour, très belle pièce traduite en de nombreuses langues), il n’allait pas dire non à une telle proposition. Rambert a choisi cinq des actrices et acteurs associés au TNS ; Audrey Bonnet qu’il connaît plus que bien et d’autres pour lesquels il n’avait jamais écrit : Vincent Dissez, Claude Duparfait et Laurent Sauvage, et, bien sûr, l'acteur Stanislas Nordey. La distribution comprend également des anciens élèves du groupe 44du TNS  avec lesquels Rambert a avait déjà monté un spectacle : Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa,Yanis Padonou, Mélody Pini, Claire Toubin . Mata Gabin, venue d’ailleurs, complète la distribution. Onze personnages. Chaque actrice et chaque acteur a donné son prénom au personnage interprété.

Au départ, Rambert pensait partir de Véronique Nordey, la mère de Stanislas Nordey (Stan dans la pièce), actrice et professeur de théâtre renommée, disparue il y a quelques années. Il s’en est éloigné : reste une morte. Celle de la pièce , titrée Mon absente, écrivait des livres avec des héroïnes femmes et plutôt féministes (on pense vaguement à Duras ou Wittig), elle a vécu entourée de ses enfants et des enfants de ces enfants, les pères (la mère a eu deux maris) semblent loin, inexistants. En revanche, Rambert nous apprend que le grand-père de Stanislas Nordey était noir (comme l’arrière grand-père de Pouchkine), ce qui orientera la fiction vers une coloration en partie africaine. Tout se passe aujourd’hui (les portables bipent, envoient et reçoivent des sms) autour du cercueil entouré de fleurs de la mère dont les propos reviennent dans la bouche de certains de ses enfants.

Il y a là ses fils : Laurent « le préféré », un peu rebelle, un peu paumé et complètement fauché; Stan « le petit affectueux » devenu ornithologue il vit sur une île pelée et, malade, marche avec une canne ; Claude, le moins disant, le plus vieux jeu ; Houedo surnommé « le petit sensible », Vincent « l’aimé », le petit dernier qui porte une robe et l’ôtant dansera nu devant le cercueil de sa mère ; enfin l’unique fille Audrey aux nerfs fragiles, amoureuse des oiseaux, elle écrit des poèmes et, à la fin, s’est beaucoup occupée de sa mère incontinente, lui essuyant sa merde, la faisant manger.

Il y a là les enfants des enfants. i Claire, la fille de Claude (elle n’aime guère son père, est une grande lectrice des livres féministes de la morte) et sa compagne Ysanis  (couple de filles ce qui insupporte Claude); Océane, la fille de Stan (« Oui tu es comme elle, nous reproduisons nous reproduisons à l’infini les mêmes schémas toi tu laisses ta fille tu as laissé ta fille je ne t’en veux pas j’ai de la tendresse pour toi mais pas d’amour » dit-elle à son père); enfin Mata la belle-mère de Houédo et Melody, sa fille.

La plupart ne se voient plus. La vie, le temps, l’espace, les rancœurs, les jalousies , etc , les ont séparés, la morte les réunit. En commun souvenir, le vaste appartement parisien au quatrième étage du 102 boulevard Haussmann où ils ont vécu enfants et ados dans l’immeuble où habitait naguère Proust (au premier), partageant des souvenirs d’Afrique noire francophone où la mère et les enfants ont vécu. Le mari, les maris de la morte, sont invisibles, absents, morts peut-être, ils sont hors sujet. Tout ce qui relève de l’intime, du familial, de l’amoureux est, comme souvent chez Pascal Rambert, bien venu, c’est là que son écriture carbure à plein régime. En revanche, dès qu’elle s’ éloigne de la sphère intime, en prenant la pose ou en se mêlant d’Histoire, l’écriture faiblit, se banalise. C’est le cas lorsque Rambert évoque les guerres en Afrique, les massacres, les exils. La platitude, le convenu, voire la fiche Wikipédia plombent alors l’écriture. Quand il revient aux relations de chacun avec la morte, l’écriture se muscle, Rambert est là dans son registre d’élection. Tout se passe comme si le cercueil était un aimant et un miroir où chacun.e est, tour à tour, attiré et se reflète. Le reste du temps chacun rôde alentour. Enfin il y a une chose qui passe bien à la lecture mais très mal à la scène, ce sont les accumulations de sms. Ils ont la vertu de nous entraîner ailleurs en un clic, d’évoquer une autre face du personnage mais théâtralement c’est pauvre et projetés en lointains sous-titres cela n’arrange rien.

L’amour de la mère est partagé, l’amour entre frères et entre frères et sœur et entre père et fille, ne l’est pas ou peu. Comme si la mère servait de miroir révélateur et d’exutoire pour chacun.e.

Houedo, « la pièce rapportée », songe à raconter cette famille. Stan en a trouvé le titre du futur livre: « Les conséquences » . Je me souviens qu’aux États-Unis il y a une ville qui a pour nom « Truth or conséquences ». Renseignements pris, la ville doit son nom, non à Pascal Rambert mais au titre d’une émission à succès de la télévision américaine. Dans le livre de Houedo « on verrait la vie l’amour la souffrance ceux qui en réchappent ceux qui sombrent ceux qui s’émancipent et ceux qui deviennent fous » dit Stan. Un peu comme dans la pièce. Les acteurs et les actrices, tous à louer, savourent cette écriture qui les enveloppe, faisant en sorte que le public lui caresse le poil. C’est écrit sans ponctuation comme toujours sur l’ordinateur jamais en panne de Pascal Rambert, grand pourvoyeur de scènes de vie, amoureuses et filiales.

Mon absente, au TNS ts les jours à 19h jusqu’au 6 avril. Le spectacle a été crée le 23 mars à Chateauvallon, il sera en tournée la saison prochaine à Bonlieu-Annecy, à la MC93 de Bobigny, au Théâtre de Nice, à Marseille au théâtre de la Criée, etc.

Comme toute l’œuvre de Pascal Rambert, le texte de la pièce suivi de Je te réponds est paru aux éditions Les solitaires Intempestifs, 94 p, 15€.

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