Chers Flaubertiens, vous qui ne pouvez pas vivre sans ces mots de reconnaissances que sont des phrases comme « Ce fut comme une apparition » ou « C’est là ce que nous avons eu de meilleur ! dit Deslauriens» (L’éducation sentimentale), ou « Elle avait eu comme une autre, son histoire d’amour » (Un cœur simple), ou encore « Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert » (début de Bouvard et Pécuchet), gardez votre calme lorsque vous pénétrerez dans la salle du Théâtre de Nanterre et plus encore lorsque vous en sortirez : le texte du spectacle titré Bovary ne contient aucune, AUCUNE phrase de Gustave Flaubert.
S’inspirant de l’histoire de Madame Bovary réduite à un synopsis, commandité par Carme Portaceli, Mikael De Cock propose une version scénique du roman pour une actrice (Emma) et un acteur (Charles, son mari). Au début du spectacle l’actrice d’Anvers Maaike Neuville dit en flamand en s’adressant aux spectateurs (le spectacle est sous-titré en français )-: « voici mon mari Charles, modeste médecin dans une ville tout aussi modeste ». Soit. Plus loin ,elle poursuit: « je m’entiche désespérément d’autres hommes/ je les débusque dans des chambres d’hôtel, chez eux, dans des ruelles ». On est loin , très loin de Flaubert et de la façon dont il décrit son héroïne.
Toute l’adaptation du roman se concentre autour du couple ; lui le satisfait, elle l’éternelle insatisfaite et de l’évocation par elle-même des deux hommes qu’Emma dit avoir aimé, Léon et Rodolphe.
On retrouve en partie la trame du roman, manque cruellement la langue de Flaubert, un manque partiellement compensé par l’excellente interprétation de Maaike Neuville (Emma) et Koen de Sutter (Charles). Pourquoi Carme Portaceli et Michael De Cock (qui signe l’adaptation) croient bon de maltraiter et de tordre la langue de Flaubert ? Sans doute au nom d’une certaine et vaine modernisation. Par exemple Emma traite sa sa fille Berthe de « petite morveuse ») ; Cela va parfois jusqu’au contre sens , Emma parlant de « médiocrité bourgeoise »…
Relisons plutôt Flaubert . Au hasard : «Mais c’était surtout aux heures des repas qu’elle n’en pouvait plus, dans cette petite salle au rez-de-chassée qui suintaient les pavés humides ; toute l’amertume de l’existence lui semblait servie sur son assiette, et, à la fumée du bouilli, il montait au fond de son âme comme d’autres bouffées d’affadissement. Charles était long à manger ; elle grignotait quelques noisettes, ou bien, appuyée du coude, s’amusait, avec la pointe de son couteau , à faire des raies sur la toile cirée ». Qui dit mieux ?
Le spectacle s’achève par ces mots de Charles après qu’Emma se soit empoisonnée avec de la mort aux rats piqué dans la pharmacie de M Homais : « Peut-être est-ce la faute du destin, Peut-être étais-je simplement incapable de te sauver ». Le livre s’achève lui après mort de Charles Bovary. Trois médecins lui ont succédé en vain, le pharmacien Homais leur savonnant la planche. Et parlant de ce dernier Flaubert écrit cette dernière phrase : « Il vient de recevoir la croix d’honneur ».
Théâtre de Nanterre jusqu’au 3 mai., ven 20h, sam 18h
Puis du 7 au 10 mai (mar, mer, ven 20h, sam 18h), toujours au théâtres Nanterre-Amandiers, Carme Portaceli présentera son adaptation d’Anna Karénine en catalan surtitré